Avant toute chose pour mieux comprendre les enjeux de la protection fonctionnelle, il convient d’évoquer quelques chiffres significatifs de 2023 [1] :
- Sur les 5.264 demandes, 3.796 ont été accordées.
- 91,37% sont des atteintes volontaire à l’intégrité de l’agent
- Sur 4.632, 46,5% des auteurs sont les représentants légaux tandis que 21,6% sont les élèves et étudiants et 17,9% sont les agents entre eux.
La protection fonctionnelle, principe général de droit [2] est un dispositif permettant à tout agent public, titulaire ou non-titulaire, d’être protégé des atteintes subies en raison de ses fonctions ou de sa qualité d’agent public. Cette protection fonctionnelle se décline en 3 modules : soutenir, assister, réparer.
Le 30 décembre 2024, le logement de fonction d’une CPE, situé dans l’enceinte du collège Ferdinand-Buisson à Juvisy-sur-Orge, a été visé par des tirs d’arme à feu de 9mm. Une enquête pour tentative d’assassinat est en cours. Loin d’être un fait divers, cette attaque reflète parfaitement le risque qu’encourent certains agents publics académiques.
Le mercredi 8 janvier 2025, une violente agression précédée de mots injurieux [3] a eu lieu à l’encontre d’une professeure dans le lycée François Mansart à Saint-Maur-des-Fossés. Frappée à coup de pied, menacée, insultée, les cheveux arrachés dénotent de la violence que certain(e)s élèves ont à l’égard des enseignants. La raison : une remarque sur le comportement de la jeune élève. La protection fonctionnelle lui a été accordée.
Ces deux faits distincts dans leurs conséquences, mais d’une grande -et non plus exceptionnelle- gravité nous amène à considérer un peu plus cette nécessité de protéger les agents publics de l’enseignement.
I. Les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle.
L’agent de l’administration « qui n’agit jamais pour son propre compte (et) ne saurait non plus rester seul face aux périls de sa charge », Bernard Pacteau.
La protection fonctionnelle n’est pas un dispositif automatique dès lors qu’elle est sollicitée, mais doit répondre à des conditions particulières. Au-delà de la qualité de la personne (A), les faits eux-mêmes sont analysés pour accorder ou non cette protection (B). La protection des agents publics et particulièrement celle des enseignants a pris une place importante au point que dès 2020, une circulaire vient rappeler solennellement que les enseignants sont - avec les autres agents du service public - les premiers garants des valeurs de la République que celle-ci doit, à son tour, protéger. Depuis lors, plusieurs circulaires rectorales précisent les modalités de la protection fonctionnelle. En 2022, une circulaire prévoit 4 axes du nouveau plan relatif à la laïcité dans les écoles et les établissements scolaires (C).
A) Les bénéficiaires de la protection fonctionnelle.
1. Pour qui ?
En principe, la protection fonctionnelle est garantie pour l’ensemble des agents publics, mais ils ne sont pas les seuls puisque celle-ci est accordée aux :
- Agents publics et anciens agents publics (article 134-1 CGFP)
- Ayants-droits : conjoints, concubins, partenaire, enfants et ascendants directs (art. 134-7 CGFP)
- Stagiaires, vacataires, contractuels [4] et collaborateurs occasionnels du service public [5].
Toutefois, il est possible pour certains rectorats de limiter cette protection fonctionnelle aux emplois d’avenir professeur.
Il existe une exception principale à l’octroi de la protection fonctionnelle : la faute personnelle détachable des fonctions
2. Par qui ?
Bien entendu, l’initiative de la protection fonctionnelle vient essentiellement du fonctionnaire sollicitant ladite protection.
Toutefois, la protection fonctionnelle peut également être à l’initiative de l’administration dès lors qu’elle dispose de tous les éléments susceptibles de le faire de manière éclairée. Le recteur ès-qualité de supérieur hiérarchique peut lui-même déposer plainte en lieu et place du fonctionnaire victime.
C’est ainsi que les dirigeants des établissements publics sous tutelle du ministère sont compétents pour octroyer la protection fonctionnelle à leurs agents, sauf lorsque cette demande met en cause celui-ci. Dans ce cas, l’article R222-24-7 du Code de l’éducation précise que ce sont les recteurs de région académique qui statuent sur ces demandes. Il en est également ainsi pour les recteurs de région académique qui connaissent des demandes formées par les présidents et les directeurs d’établissements publics d’enseignement supérieur de leur ressort.
Enfin, depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, l’article 134-6 du CGFP prévoit que
« Lorsqu’elle est informée, par quelques moyens que ce soit, de l’existence d’un risque manifeste d’atteinte grave à l’intégrité physique de l’agent public, la collectivité publique prend, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d’urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l’aggravation des dommages directement causés par ces faits ».
B) Les faits susceptibles de justifier la protection fonctionnelle et la nécessité d’un lien avec les fonctions.
1. Des faits.
L’article 134-5 du CGFP dispose que
« La collectivité publique est tenue de protéger l’agent public contre les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle ne puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ».
Toutefois, il ne s’agit pas d’une liste limitative et d’autres faits peuvent fonder la protection fonctionnelle encore faut-il que l’agent ait personnellement subi l’atteinte. En effet, celui-ci ne doit pas avoir été le simple témoin d’un crime ou d’un délit à l’encontre d’un collègue.
Cette protection fonctionnelle est telle que parfois même des faits ou des termes a priori non injurieux et modérés peuvent représenter des injures au sens du CGFP dès lors que ces « appréciations » portait sur les capacités de l’agent, son objectivité, sa compétence voire son assiduité [6].
En 2021, le tribunal Judiciaire de Melun a condamné, un élève en terminale à 5 mois de prison avec sursis probatoire de 2 ans, 140h de travaux d’intérêt général, un stage de citoyenneté et des soins psychologiques pour son impulsivité.
Les faits : le lycéen, qui voulait sortir de la salle de classe, avait tiré brutalement la poignée de la porte faisant alors chuter violemment la professeure.
Attention toutefois, à l’enseignant qui se trouverait dans la situation d’être lui-même auteur d’une infraction puni d’une peine criminelle ou délictuelle : la séquestration.
2. Un lien avec les fonctions.
De plus, il ne suffit pas que l’agent ait été touché par des faits répréhensibles pour se voir attribuer une protection fonctionnelle. En effet, celle-ci n’est accordée que lorsqu’il existe un lien avec les fonctions, c’est-à-dire en raison de sa qualité, de ses activités et de son comportement professionnel. Par conséquent, même pour des faits commis au sein de l’établissement, si des faits portant atteinte à l’intégrité de l’agent public relèvent de la vie privée, alors la protection fonctionnelle se peut être accordée.
Il en est ainsi pour une professeure victime de violence de la part de son ex-conjoint ayant des répercussions sur sa vie professionnelle [7].
Il est plus délicat de caractériser le lien avec les fonctions en matière d’atteinte aux biens notamment les dégradations de véhicules ou biens matériels des agents publics. Il s’agit là d’une question de preuve d’un lien de rattachement avec la qualité d’agent public et les méfaits accomplis...
3. Absence de faute de l’agent.
En cas de faute personnelle détachable de l’exercice de l’agent, celui-ci ne pourra pas bénéficier de la protection fonctionnelle.
C) La protection spécifique en cas d’atteintes aux principes de la République.
À la suite du terrible assassinat de Samuel Paty en 2020 puis celui de Dominique Bernard et d’Agnès Lassalle en 2023, il a été nécessaire d’améliorer la protection fonctionnelle de la communauté éducative. Par conséquent, depuis la loi de 2021 confortant le respect des principes de la République et une circulaire de la même année, l’administration a l’obligation de protéger l’agent dans 3 cas :
- Lorsqu’existe un risque manifeste d’atteinte grave à l’intégrité physique de l’agent. Dans ce cas précis, l’administration devra prendre sans délai et à titre conservatoire les mesures d’urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l’aggravation des dommages causés par ces faits.
- Lorsque l’agent est victime d’attaques à l’occasion de l’exercice de ses fonctions (celles prévues à l’article 134-5 CGFP)
- En cas de poursuites pénales à son encontre, alors l’agent entendu en qualité de témoin assisté bénéficie de cette protection.
Élément important, le doute profite toujours à l’agent lorsque les faits sont suffisamment établis, en tout ou partie, pour estimer que les conditions d’octroi sont réunies ou lorsqu’une enquête est en cours.
II. La procédure d’octroi de la protection fonctionnelle.
La protection fonctionnelle découle d’une procédure particulière qui se compose en 3 étapes clé : la demande (A), la constitution du dossier (B) puis l’instruction de la demande (C)
A) Demande de protection.
Il est nécessaire d’informer immédiatement l’autorité compétente à savoir les recteurs. Cette information doit passer par la voie hiérarchique sauf en cas de refus de transmission des chefs d’établissements. Le directeur, le principal ou le proviseur a l’obligation d’informer le fonctionnaire de son droit à la protection fonctionnelle quand bien même celui-ci connaîtrait son existence. Il doit par conséquent, indiquer l’ensemble des conditions d’octroi et les différentes étapes de la procédure.
Au sein de l’Éducation nationale, la demande de protection fonctionnelle s’effectue à travers l’application Colibris.
B) Constitution du dossier et étude des pièces.
Le fonctionnaire doit faire état, par écrit au recteur de l’ensemble des faits, des motivations et les différentes preuves afin que celui-ci étudie l’ensemble des conditions d’octroi cette protection.
C) Instruction de la demande.
Une fois accordé, il y a une assistance judiciaire sous la forme d’un dépôt de plainte. Celle-ci peut accompagner ou substituer celle de l’agent victime.
Nonobstant, la grande prudence à l’égard des agents publics victime, un grand nombre de demandes de protection fonctionnelle n’est pas accordé. En effet, 27,9% des demandes ont reçu un refus implicite ou explicite.
La raison ? Sur 5 264 demandes, 146 (19,62%) refus exprès pour des faits non établis, 267 (35,89%) pour des faits hors articles L134-1 et suiv. du CGFP et 183 (24,60%) pour d’autres motifs non précisés.
Toutefois, en cas de refus, la décision peut évidemment faire l’objet d’un recours contentieux devant le tribunal administratif.
Le silence gardé par l’Administration pendant deux mois vaut refus implicite. Dans ce cas-là, il y a un délai de deux mois pour contester ce refus.
III. Les différents modules découlant de la protection fonctionnelle.
Il existe trois modules attachés à la protection fonctionnelle. Il existe tout d’abord un module de soutien et de prévention à l’égard des agents qui constitue un premier pas (A), ainsi qu’un module d’assistance juridique et judiciaire dans la mesure où les faits nécessitent d’aller plus loin (B) et enfin un module de réparation, nécessaire à la réparation des atteintes portées à l’encontre de l’agent académique (C).
A) Le module soutien et prévention.
L’agent public bénéficie dès les prémices d’un soutien moral et matériel si nécessaire. En effet, celui-ci peut bénéficier d’une prise en charge médicale, d’un changement d’affectation, d’une protection policière en cas de dépôt de plainte ou encore l’attribution d’un nouveau numéro de téléphone professionnel si celui-ci a été révélé ou encore du déclenchement d’une procédure disciplinaire à l’encontre du ou des prétendu(s) auteur(s)
B) Le module assistance juridique et judiciaire.
Un défenseur est proposé, mais l’agent est libre d’en choisir un par lui-même. Il existe toutefois une limite à la prise en charge. En l’absence de conclusion d’une convention, la collectivité publique « peut ne prendre en charge qu’une partie des honoraires lorsque le nombre d’heures facturées ou déjà réglées apparaît manifestement excessif » (article 7 du décret n°2017-97 du 26 janvier 2017).
De plus, l’administration ne peut se dégager de son obligation que pour des raisons d’intérêt général.
Une plainte simple peut être déposée (soumis à l’opportunité de poursuites du procureur de la République) ou une plainte avec constitution de partie civile en sollicitant des dommages-intérêts. (contournement du procureur de la République si classement sans suite et saisine d’un juge d’instruction).
Il est également possible, mais aux risques et périls de l’agent, d’effectuer une citation directe (le prévenu comparait par simple citation). Cette procédure est extrêmement rapide et permet une comparution du prévenu dans les plus brefs délais. Toutefois, cette procédure ne doit être utilisée que lorsque les faits ne relèvent d’aucune ambiguïté, que les preuves sont nombreuses et ont une force probante telle, que la condamnation paraît inéluctable. Dans le cas contraire, la victime s’expose à une amende civile et des dommages-intérêts.
C) Le module réparation.
En ce qui concerne les différents préjudices subis par l’agent, en principe, la collectivité peut assurer la réparation des préjudices subis par ses agents.
Cette réparation peut concerner les préjudices matériels et financiers ainsi que les préjudices moraux.
Toutefois, lorsque l’auteur a réparé le préjudice, alors cette obligation de l’administration cesse puisqu’il ne s’agit de réparer, le dommage, rien que le dommage, mais tout le dommage.