Introduction : le pacte fiscal en question.
Dans toute société moderne, l’impôt constitue un pilier central qui soutient l’infrastructure étatique et garantit la redistribution des richesses. Ce mécanisme, conçu pour financer des services publics essentiels tels que l’éducation, la santé, les infrastructures et la Sécurité sociale, permet à l’État de promouvoir l’égalité de traitement parmi ses citoyens. Pourtant, à l’ère de la mondialisation et des inégalités croissantes, le système fiscal subit des tensions sans précédent. Tandis que les citoyens continuent de remplir leurs obligations fiscales, beaucoup se demandent si ces contributions leur garantissent réellement des services publics de qualité, capables de leur assurer une vie digne et équitable (Chigubu and Thabo Legwaila (2021).
Cet article examine la relation entre le pacte fiscal, la dignité sociale et les disparités socio-économiques à l’échelle mondiale.
1. Impôt et dignité : une relation faussée par les inégalités.
L’impôt, en tant qu’outil de redistribution, ne peut remplir efficacement son rôle que si l’accès aux services publics est universel et de qualité. Cependant, dans de nombreux pays, une part croissante de la population est contrainte de recourir à des services privés dans des domaines tels que l’éducation ou la santé, malgré leur participation fiscale. Cela révèle un échec des États à garantir l’universalité des services publics promis par un système fiscal censé être juste et redistributif (Hermann, 2016).
La dépendance accrue aux services privés exacerbe les inégalités sociales, créant un sentiment d’injustice parmi les citoyens qui constatent un fossé entre leurs contributions fiscales et les bénéfices qu’ils en retirent. En outre, la privatisation des services essentiels mine non seulement la confiance des citoyens dans l’État, mais elle perpétue également un cycle de marginalisation des plus démunis. Il s’agit d’une double trahison : non seulement le système fiscal n’atteint pas ses objectifs de redistribution, mais il semble aussi accentuer les inégalités structurelles.
Dans des pays comme les États-Unis, où le taux de prélèvements est élevé, l’accès aux soins de santé demeure largement privatisé, accentuant ainsi le sentiment d’injustice fiscale. En comparaison, les pays nordiques, où la redistribution est plus équilibrée, illustrent le lien entre une fiscalité juste et une dignité sociale garantie.
2. La captation fiscale des multinationales : l’érosion de la base imposable.
Un défi majeur de la justice fiscale réside dans la capacité des multinationales à pratiquer une optimisation fiscale agressive, exploitant les failles des systèmes fiscaux nationaux et internationaux. Le phénomène d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (BEPS) est devenu l’illustration la plus flagrante de l’injustice fiscale à l’échelle mondiale (Apeldoorn, 2018).
Bien que l’initiative BEPS de l’OCDE ait cherché à endiguer ce phénomène, elle reste limitée par l’absence de règles mondiales contraignantes. En conséquence, les multinationales continuent de tirer parti des divergences fiscales entre les pays, tandis que les citoyens supportent une part disproportionnée du fardeau fiscal (Dagan, 2017). Cette situation affaiblit la légitimité de l’impôt et renforce la défiance vis-à-vis des institutions fiscales.
L’affaire Apple en Irlande et les débats sur la taxation des GAFA dans l’Union européenne illustrent bien la capacité des entreprises à réduire leurs obligations fiscales malgré leurs profits colossaux.
3. Le principe de transparence fiscale : un impératif démocratique.
Pour restaurer la confiance des citoyens dans le système fiscal, il est impératif de renforcer la transparence des finances publiques. La transparence permet non seulement de savoir comment les impôts sont utilisés, mais aussi de comprendre qui paie l’impôt et à quel niveau, notamment dans le cas des niches fiscales, qui bénéficient souvent principalement aux grandes entreprises (Umar et al., 2017).
L’instauration de mécanismes tels que les budgets participatifs, la publication régulière de rapports sur l’utilisation des fonds publics et l’accès à des données fiscales détaillées sont essentiels pour rétablir la confiance et garantir une véritable redevabilité démocratique. Cela permettrait aux citoyens de voir clairement l’usage de leurs contributions fiscales et d’exercer un contrôle sur la gestion publique.
La Suède, où les informations fiscales sont en partie accessibles au public, constitue un exemple de succès. L’accès à ces données a permis de réduire les écarts entre les contributions fiscales perçues et les bénéfices des services publics, renforçant ainsi la confiance publique.
4. Fiscalité verte et justice fiscale : une nouvelle ère de redistribution ?
La transition écologique représente une opportunité unique de réinventer la justice fiscale à travers la fiscalité verte. Les taxes environnementales peuvent non seulement contribuer à la réduction des émissions de carbone, mais aussi financer des programmes sociaux destinés aux plus vulnérables (Brock, 2015).
Cependant, pour que cette fiscalité soit perçue comme équitable, il est important de mettre en place des mécanismes redistributifs clairs.
Les ménages à faibles revenus, souvent les plus touchés par les politiques de transition écologique, doivent être protégés contre une augmentation disproportionnée des coûts de la vie. La fiscalité verte doit ainsi devenir un outil de réduction des inégalités sociales, plutôt qu’un fardeau supplémentaire pour les plus démunis.
Le mouvement des Gilets jaunes en France, provoqué par la taxe carbone, montre les dangers d’une fiscalité verte mal pensée. Cela souligne la nécessité d’accompagner ces réformes d’une redistribution équitable des recettes fiscales vers les plus vulnérables.
5. Réinventer le contrat social à l’ère numérique.
Le XXIe siècle nécessite la réinvention d’un contrat fiscal adapté aux défis de la mondialisation et de l’économie numérique. Les grandes entreprises du numérique échappent largement aux régimes fiscaux traditionnels, augmentant l’érosion des recettes fiscales et affaiblissant la légitimité des systèmes nationaux (Dagan, 2017).
Une coopération internationale plus poussée est nécessaire pour imposer un cadre fiscal mondial capable de répondre à ces nouvelles réalités. Ce cadre doit intégrer des principes d’équité sociale et environnementale, garantissant que les géants du numérique contribuent équitablement à la société, en fonction de leur empreinte économique et sociale.
La taxe GAFA mise en place en France illustre une première tentative de régulation fiscale dans l’économie numérique, montrant qu’une réforme est possible, bien que complexe.
Conclusion : vers une fiscalité éthique et responsable.
Pour restaurer la justice fiscale, il est indispensable de redéfinir le rôle de l’impôt dans nos sociétés contemporaines. L’impôt ne doit plus être perçu comme une simple obligation légale, mais comme un instrument de justice sociale. Pour cela, il est essentiel que le système fiscal soit transparent, équitable et réciproque. Une réforme en profondeur, intégrant les enjeux écologiques et numériques, est nécessaire pour que l’impôt devienne un vecteur de dignité sociale et d’égalité pour tous.
Références bibliographiques.
Chigubu and Thabo Legwaila (2021)Converging Tax Policy and Human Rights in the Face of Tax Abuse : A Developing Country Perspective
Hermann, C. (2016). The public sector and equality. Global Social Policy, 16(1), 21-24.
Apeldoorn, L. (2018). BEPS, tax sovereignty and global justice. Critical Review of International Social and Political Philosophy, 21(4), 478-499.
Dagan, T. (2017). International tax and global justice. Theoretical Inquiries in Law, 18(1), 1-35.
Umar, M., Derashid, C., & Ibrahim, I. (2017). What is wrong with the fiscal social contract of taxation in developing countries ? SAGE Open, 7(1).
Brock, G. (2015). What burden should fiscal policy bear in fighting global injustice. In E. Liston-Heyes (Ed.), Palgrave Handbook of International Development (pp. 185-201). Palgrave Macmillan.