La légistique en droit et libertés fondamentales. Par Eliott Fassenet, Etudiant.

La légistique en droit et libertés fondamentales.

Par Eliott Fassenet, Etudiant.

835 lectures 1re Parution: 3.97  /5

Explorer : # légistique # droit des libertés fondamentales # interprétation des normes # réforme législative

« L’écriture dispose d’un statut autonome vis-à-vis de la parole » nous disait Vincent Forray. Ainsi, la question de la légistique est primordiale dans la confection d’un droit des libertés fondamentales protégeant efficacement les valeurs qu’il porte.

-

La légistique est un ensemble de techniques de création de la norme. C’est donc la science formulatrice du droit.

Il faut garder en tête que l’interprétation d’une norme est un enjeu vital car selon les individus et les différents courants de pensée, elle change du tout au tout. Ainsi, concernant la matière du droit des libertés fondamentales, deux interprétations principales se dégagent, l’interprétation sécuritaire et l’interprétation libertaire.

L’interprétation sécuritaire, qui peut se rattacher à un penseur comme Thomas Hobbes, interprète le droit des libertés fondamentales comme protégeant la sécurité des individus face aux excès du groupe. L’interprétation libertaire, elle, vise à développer les libertés en puissance des individus et des groupes.

Elle est représentée par des philosophes tel que Benjamin Franklin dont la citation suivante représente bien cette pensée : « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’un ni l’autre et finit par perdre les deux ».

À travers nos développements, nous nous attacherons à démontrer comment, par la communication et la rédaction d’une norme, l’efficacité d’une norme peut être accrue.

Montesquieu en parlait déjà quelque siècle auparavant : « Si je pouvais faire en sorte que ceux qui commandent augmentassent leurs connaissances sur ce qu’il doivent prescrire et que ceux qui obéissent trouvassent un nouveau plaisir à obéir, je me croirais le plus heureux des hommes ».

Mais comment une légistique repensée des normes permettrait-elle de protéger véritablement les citoyens dans l’exercice et le respect de leur droits et libertés fondamentales ?

I. Enjeux de la technique de légistique.

Pierre Lascoumes [1] nous décrit les instruments d’actions publics comme des outils n’étant pas « inertes » mais qui « détiennent une force d’action autonome ». Aujourd’hui nous ne les remettrions plus véritablement en question que ce soit dans leur fonctions, usages ou disponibilités quand selon lui ils sont justement à remettre au cœur du débat quant à l’action publique.

Il en ressort trois points importants :
1°) : « L’instrument produit des effets d’agrégation », il rassemble les individus acteurs sur des questions communes afin de poursuivre un but commun.
2°) : « L’instrument est producteur d’une représentation spécifique de l’enjeu qu’il traite », ainsi les interprétations plurielles sont écartés.
3°) « L’instrument induit une problématisation particulière de l’enjeu », et ainsi produit un système interprétatif concret.

Ici, l’instrument d’action publique dont nous allons faire état se trouve être la légistique, plus précisément dans le cadre des droits et libertés fondamentales.

Tout d’abord, il s’agira de définir ce qu’est la technique de légistique avec la définition que Légifrance fait du guide de légistique à disposition de nos élus parlementaires : « Le guide de légistique a pour objet de présenter l’ensemble des règles, principes et méthodes qui doivent être observés dans la préparation des textes normatifs : lois, ordonnances, décrets, arrêtés » et ce sont ces notions qui sont primordiales dans notre étude : règles, principes et méthodes, ou comme il est définit dans le document de Boris Barraud, intitulé « La légistique », cette technique comme « science qui formule ».

Car justement, il faut questionner l’instrumentation des modes d’actions publics, dans « Les instruments d’action publique, traceurs de changement », par Pierre Lascoumes, les travaux décrits mettent « l’accent sur leur dimension cognitive ainsi que leur impact sur la mise en oeuvre ». La dimension cognitive décrite est un enjeu essentiel selon nous car ce que nous questionnons ici est l’appréhension du droit par la norme, d’où la question de légistique en droit et libertés fondamentaux. Il poursuit en écrivant « L’instrumentation de l’action publique, c’est-à-dire le choix et les usages des techniques de régulation et des modes d’opérer, est une question qui est souvent un impensé de la sociologie politique ». Nous rejoignons le terme d’« impensé de la sociologie politique », car cette technique de légistique et, selon nous, mise à l’écart des réflexions.

Ensuite vient un enjeu subsidiaire au précédent, c’est le lien que Pierre Lascoumes fait entre entre expression politique et droit à l’information du public, nous partons ici de l’idée que l’information du public se ferait par la légistique dans l’intelligibilité de la norme. Pour que l’individu se positionne sur la norme, il doit la comprendre ; c’est-à-dire qu’il doit dans un premier temps être convenablement informé, mais qu’aussi la norme soit intelligible.

Ce qui nous renvoie à l’enjeu de l’intention de l’émetteur de la norme. On ne retrouve pas toujours les intentions de ce dernier ; il y en a pourtant toujours une.

De Vinci disait « Dans la nature, tout a toujours une raison. Si tu comprends cette raison, tu n’as plus besoin de l’expérience », et bien, si l’on fait une interprétation analogique à notre situation, que l’on connait l’intention du législateur, on comprendra la substantifique moelle de la norme. Cet enjeu est important à notre réflexion car nous considérons que l’appréhension de la norme par l’individu est subordonnée à l’intention de l’émetteur de la norme.

Dès lors, soulevons la portée interprétative de la légistique. Nous savons que cette technique est utilisé par le législateur afin de savoir comment écrire une loi, c’est le premier « mouvement » de la légistique. Mais étant désireux de reconnecter le pouvoir émetteur du pouvoir récepteur de la norme, on considère que cette technique devrait servir au juge pour, dans un mouvement inverse, interpréter la norme en elle même.

Ce guide de légistique mis à la disposition de nos élus doit aussi avoir une portée interprétative, il est actuellement une base créatrice de normes, mais il pourrait aussi être un prisme interprétatif de ces dernières. En ce sens, une liaison s’opérerait par la norme entre notre pouvoir législateur et judiciaire, une liaison d’ailleurs loin d’être perverse ou dangereuse, au contraire elle ne serait qu’un biais, utilisable de plein gré.

Enfin se soulève l’enjeu final qu’est la problématique de pluralité d’interprétation de la norme. En tout cas, le juge (le pans récepteur de la norme en général, soit le justiciable et l’avocat aussi) a à sa portée plusieurs interprétations possibles face à une situation donnée. Et le but que nous désirons inculquer à la légistique serait de filtrer les interprétations, gommer les intérêts inhérents à l’être humain.

II. Dysfonctionnement de la légistique actuelle.

Le problème de la légistique tel qu’on la conçoit, c’est bien son manque d’exhaustivité. Ainsi, certaines lois, de par leur exhaustivité limitée, ne précisent que trop peu leur champ d’application concret. Cela a, par conséquent, nombres de conséquences négatives sur le droit des libertés fondamentales. D’abord, l’interprétation en devient plus confuse. Il va s’en dire que l’application le devient tout autant.

Prenons un exemple connu de tous. L’article L141-5-1 du Code de l’éducation. Il dispose que : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

Dans ce cas, que veut signifier la loi par « manifester ostensiblement une appartenance religieuse » ? Il n’y a pas de curseur mis en place afin de déterminer à partir de quand une tenue devient ostentatoire. De ce fait, certains élèves ayant des tenues similaires pourraient être traités différemment selon les établissements sur le fondement d’une même loi.

Néanmoins, cette loi se base sur un principe non mieux défini qu’est le principe de laïcité.

Il est communément admis que ce principe a été consacré suite à la loi sur la séparation des églises et de l’état du 9 décembres 1905.

Le mot laïcité n’est, en revanche, pas mentionné dans la loi. Il n’est donc pas défini juridiquement. De plus, dans une décision du 21 février 2013, le Conseil Constitutionnel admet que seul un des deux articles de la loi de 1905 a valeur constitutionnelle.

Il convient de rappeler que c’est une notion évoquée dans l’article 1er de la Constitution.

Nous voyons bien les conséquences d’un manque de clarté législative lorsque, lors de débats à ce sujet, chacun y apporte sa propre définition. Un homme politique qu’on l’on placerait plutôt à la gauche, ou l’extreme gauche de l’échiquier n’en aura certainement pas la même définition qu’un autre qu’on l’on envisagerait à son extreme droite.

Plus une loi manque de précision, plus son interprétation en devient large donc, ce qui multiplie les abus. Cela crée des divergences d’une part chez les exécutants de la loi, qui ne se mettent pas d’accord sur la façon d’appliquer cette norme mais aussi, et surtout, au sein des justiciables même. Ces derniers vont souvent interpréter une loi dans un sens bien plus liberticide qu’elles ne le sont réellement.
Voilà les problèmes qu’impliquent la légistique actuelle des normes écrites

III. Proposition de refonte de la légistique.

Une légistique avant-gardiste.

Afin de répondre aux enjeux actuels auxquels doit répondre le droit des libertés fondamentales, sa légistique doit évoluer en profondeur. L’une des première problématiques que doit résoudre cette légistique d’un type nouveau est l’association de certains termes à certaines idées.

L’association des termes constitue un réel pouvoir politique selon le conférencier Idriss Aberkane. Cela s’est effectivement vérifié lors d’une expérience menée sur des supporters de football anglais. Lors de cette expérience on leur a fait lire différents mots suivis auparavant d’une image subliminale le temps de quelques dixièmes de secondes. Ainsi, on s’est aperçu que lorsqu’on leur faisait lire le mot infirmière précédé d’une image subliminale de seringue, les sujets arrivaient à lire ce mot plus vite. Cela veut dire qu’inconsciemment, ils faisaient le lien entre ces deux mots là au sein d’un même champ lexical. Mais cela peut avoir des conséquences plus néfastes.

En poursuivant l’expérience, ils se sont rendu compte qu’en affichant une image subliminale d’homme noir avant de leur faire lire le mot violent, là aussi, ils le lisaient plus rapidement.

C’est ce qu’on appelle l’amorçage inconscient. Et cela explique beaucoup de phénomènes.

Prenons par exemple le mouvement de lutte pour les droits des afro-américains des black panthers. Il fut perçu à l’époque comme un mouvement bien plus violent qu’il ne l’était réellement. Cela vient d’une énorme campagne médiatique instauré par les pouvoirs publics en place à cette époque afin de mettre en place cette association dans l’esprit de la population.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ces associations, cet amorçage inconscient, ne sont pas innées mais acquis. Ce sont des constructions culturelles, aussi malléable que n’importe quel autre et qu’il n’importe qu’à nous de faire évoluer.

Ce que nous proposons par exemple est une modification radicale du mode de rédaction des normes en vigueur. L’idée ici est de parvenir à rendre les lois plus inclusives, plus appropriables par les justiciables. Nous pouvons utiliser des pronoms comme la première personne du pluriel afin de renforcer le sentiment d’appartenance à une norme commune.

Ainsi, l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme relatif à la propriété privée, au lieu de sa rédaction initiale, pourrait être rédigé de cette sorte : 

« La propriété privée étant un droit sacré et inviolable, nous n’en seront privés, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, nous l’exige et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Ce genre de techniques et tant d’autres sont nécessaires afin de déterminer une force autonome à la norme. Le législateur serait comparable à un architecte sondant l’état du sol afin de déterminer s’il pourra supporter l’édifice. La différence étant que dans ce cas, le sol serait la société et l’édifice, les normes de droit des libertés fondamentales.

Ce que nous parait nécessaire également, c’est la création d’un code légistique, une sorte de code de code à destination à la fois des entités émettrices (législateur) et réceptrices (juges, justiciables). Il permettrait de renforcer le lien qui les unit entre eux et à la norme.

Les conditions de mise en œuvre.

Notre objectif est donc d’autonomiser la norme le plus possible. Vincent Forray dans « Flottements du droit - Note sur l’écriture juridique », Les Cahiers du Droit, Vol. 54, n°4, 2013, pp. 909-940, opère une distinction du texte et de la parole dans leur rapport au monde, que le juriste doit choisir entre application ou explication du texte.

Ce que nous recherchons, c’est une liaison quasi indéfectible de ces notions que l’on trouverait dans la légistique, une sorte de nouvelle machine normative, d’usinage de la pensée juridique qui écarterait les interprétations malveillantes.

On a tenté cette approche par :
- l’exhaustivité des normes (avec l’exemple du problème de la laïcité trop vague)
- l’inclusion par les normes (avec l’expérience de l’amorçage inconscient)
- enfin, la création d’un code de légistique générale (une sorte de code de code).

Encore reste-t-il la question de la mise en œuvre de cette légistique refondée.

Avant d’appliquer une norme, de la questionner, il faut déjà la connaitre, qu’elle soit apprise. Nous partons du postulat que les grandes maximes de liberté, d’égalité, de fraternité doivent être mobilisées dès le plus jeune âge (car elles le sont déjà, enseignées au moins à partir de l’école primaire), et que l’apprentissage fait la pratique. Pour qu’une chose soit intégrée, pratiquée et répétée il faut y prendre du plaisir. En plus de bien écrire une norme, elle doit être transmise dans la raison humaine par le biais de de jeux, de chansons, de la dopamine. Quand on sait que les jeunes élèves anglais apprennent leurs verbes irréguliers en les chantant, pourquoi ne pas proposer des comptines de droits et libertés fondamentales ?

Mais aussi, avant que la norme ne soit adoptée, elle doit être votée. Ainsi, pour continuer dans notre principe d’exhaustivité de la norme, nous pensons qu’une Assemblée doit commencer par les points sur lesquels elle n’est pas d’accord, voter par la négation pour l’acception. Rousseau prend l’exemple des demandes de l’Assemblée romaine qui s’exprimaient par acclamation ou réprobation. Selon lui, ça serait la négation qui tendrait vers le consensus idéal. Cela est intéressant dans le sens où il est vrai que les êtres humains ont souvent été plus à même de trouver un désaccord plutôt qu’un compromis.

Pour prendre un exemple pratique, afin qu’un amendement soit passée dans un vote de loi, il ne s’agirait de voter pour ou contre, mais seulement contre. L’Assemblée dans ce cas évacuerait toutes les issues refusées par une majorité des élus, afin d’arriver à un point qui ne dérange plus grand monde.

Ce système pourrait être comparé au système suisse qui oblige la cohabitation de toutes les forces politiques mais qui mène à une collaboration obligatoire de tous. Il est vrai que ce processus serait long et laborieux mais il aboutirait à une exhaustivité quasi parfaite.

Pour finir, nous avons dépeint un humain passionné qui ne peut toujours faire une bonne interprétation de la norme, car rempli de d’intérêts, de douleurs, de subjectivité. L’on critiquera le fait que cette légistique proposée sera une création humaine, donc toute aussi imparfaite ? Certes, mais elle serait dans un premier temps adoptée démocratiquement, pour des raisons évidentes, mais encore sera unique et donc générale (proposée à la lecture de chaque code) facultative, déshumanisé, sans interprétation donc objectivisée.

Pour ouvrir le débat en radicalisant cette critique, on pourrait soulever l’intérêt d’une intelligence artificielle en tant que biais légistique (cela pourrait mêler les intérêts traducteurs en droit international, sociologiques, économiques, écologiques…).

Eliott Fassenet
Étudiant en 3e année de droit public à l’université lumière Lyon 2

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

1 vote

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1« Les instruments d’action publique, traceurs de changement », Politiques et Sociétés, Volume 26, Issue 2–3, 2007, p. 73–89.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27868 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs