Les « zones d’ombre » du procès de Monique Olivier.

Par Martine Bouccara, Avocate.

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Explorer : # zones d'ombre # procès criminel # mémoire défaillante # justice française

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Les zones d'ombre font référence aux points non élucidés d'un dossier criminel; points essentiels et non simplement un détail. Ces points restent flous car les accusés refusent d'y répondre ou donnent des réponses évasives. Elles peuvent persister malgré de longues enquêtes et procès.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans l’affaire qui concerne Madame Monique Olivier, ex-épouse Fourniret, la plus poignante des zones d’ombres a pris la forme d’une supplique familiale : Où est le corps d’Estelle ?

À l’heure à laquelle cet article est écrit, Monique Olivier dit qu’elle ne le sait pas.

-

De quoi parle-t-on quand on utilise cette expression de zone d’ombre ? Elle a d’ailleurs été utilisée lors de l’audience de jugement de ce premier "cold case" français jugé à Nanterre.

En général, il s’agit d’un point du dossier qui reste non élucidé, et d’un point fondamental, pas d’un simple détail.
Il s’agit aussi d’un point que la Justice elle-même n’est pas parvenue à éclaircir sans la participation active du ou des accusés.
(Pour mémoire, il y a eu des fouilles pour retrouver le corps d’Estelle, elles sont demeurées vaines).

Il s’agit d’un point sur lequel le ou les accusés ne répondent pas, répondent de manière évasive ou d’une façon qui ne « colle » pas avec les autres éléments du dossier.

Et enfin, hélas, c’est un point non résolu qui risque de hanter longtemps l’esprit des proches des victimes pour qui le combat contre l’horrible ne semble jamais finir, mais aussi ceux des enquêteurs, des magistrats, et je vous l’affirme, en connaissance de cause, des avocats.

Il m’arrive très souvent de repenser à des affaires, en repassant devant les lieux du crime, parce qu’un crime similaire se produit et m’y fait penser, parfois ex-nihilo et de me dire : on ne saura jamais...

La frustration, même partielle, de la vérité ne fait pas bon ménage avec la recherche de la manifestation de la vérité, annoncée comme le but de l’instruction criminelle et du procès d’assises, surtout lorsque l’on considère le caractère illimité des moyens mis en œuvre pour accomplir cette noble mission.

Notre Justice française est si bien faite qu’elle prévoit par anticipation que les accusés ne disent pas toujours l’entière vérité. Judiciairement parlant, il faut donc savoir qu’existent des circonstances qui sont majeures pour les parties, mais pas forcément rédhibitoires pour rendre une décision de condamnation, et c’est rassurant pour l’ordre public qu’il ne faudrait pas oublier en route.

En voici un premier exemple : dans la célèbre affaire criminelle qui a suivi la disparition d’Agnès le Roux, héritière du casino du Palais de la Méditerranée de Nice, Maurice Agnelet a été condamné pour l’assassinat de la jeune femme dont le corps n’avait pourtant pas été retrouvé.

Un autre exemple me vient à l’esprit : la question du mobile du crime, essentielle aux yeux des parties civiles, et on le comprend très bien, n’est pas un élément constitutif de l’infraction. Ce qui importe, c’est de caractériser (ou pas) l’intention criminelle, ce qui n’est pas la même chose que le mobile.

Ceci ayant été posé, venons-en aux raisons pour lesquelles ce phénomène judiciaire des zones d’ombre se produit. J’en ai répertorié quelques-unes pour les avoir rencontrées lors de ma vie d’avocate pénaliste.

- La mémoire défaillante :

L’ancienneté des faits, ce qui est une caractéristique des "cold cases", les faits multiples, l’âge avancé de l’accusé, rendent possible une érosion de la mémoire.

Après, on peut simuler une perte de mémoire, et on ne vit pas aux États-Unis où se pratique le polygraphe qui est un détecteur de mensonge.

En France, rappelons-le, c’est essentiel, c’est tout le contraire : on a le droit de mentir pour sa défense !
Cela ne signifie pas que la Cour va croire l’accusé, car le reste des éléments peuvent peser suffisamment, mais c’est un droit de ne pas dire la vérité, de mentir par omission.

- Le déni de réalité :

Mon seul formateur et Maître, le très grand Hervé Temime, hélas trop tôt disparu, m’a appris une grande leçon.

Il m’avait envoyée visiter en prison un homme mis en examen pour viol sur la personne d’une jeune femme. Il contestait les faits depuis son arrestation.

Le rapport ADN était tombé et il l’accusait de façon certaine à 99,99%, ce dont je l’informe.
Contre toute attente, il maintient son positionnement : il n’est pas un violeur.

Rentrée au cabinet, j’en parle à Hervé car, je m’inquiète de la peine qui attend notre client.
Il m’explique que la peine sera très lourde, que cet homme le sait, mais qu’il préfère cela plutôt que de passer auprès de son épouse, ses enfants, amis et collègues pour un violeur.
C’est toute la différence entre sa vie judiciaire et sa vie qui va reprendre un jour ou l’autre.

La zone d’ombre utilitaire :

Traditionnellement et couramment pratiquée dans le milieu du grand banditisme, le silence est d’or.
Et si, acculé par les preuves, un accusé décide de parler, il ne parle que pour lui-même.
Je n’ai jamais entendu un malfaiteur dénoncer ses complices quand bien même, ils seraient présents dans le box à ses côtés, pas davantage s’ils sont en cavale et encore moins s’ils n’ont pas été identifiés.

Dans d’autres typologies criminelles, moins habituées aux rouages du système judiciaire, il y a des raisons utilitaires également comme la crainte que l’on découvre d’autres preuves, d’autres corps dont la Justice en ignore encore l’existence. Ce serait s’accabler davantage, alors mieux vaut laisser planer une zone d’ombre que de s’incriminer soi-même.

- La zone d’ombre résultat d’un état psychologique ou psychiatrique :

Seuls les Experts judiciaires de ces deux matières ont compétence pour dire si tel accusé ou accusée a un fonctionnement ou une pathologie qui explique que sa mémoire est comme figée, ou que sa capacité mémorielle est diminuée ou au contraire entière.
Cet aspect physiologique, est important à la compréhension des zones d’ombre, mais il n’est pas de ma compétence, vous l’aurez compris.

En définitive, il est fréquent que des zones d’ombre demeurent après de longues instructions criminelles et des procès fleuves.

On ne le souhaite pas aux proches des victimes qui ont besoin de réponses et d’accomplir des rituels humains comme d’enterrer leurs morts.

Est-il possible d’apprendre après le procès de nouveaux éléments ?
Oui, cela peut arriver, notamment par le biais de la justice restaurative, ou par le fait de hasards de la vie comme la découverte d’un corps par un randonneur.

Le procès criminel est cathartique, mais il ne faut pas lui en demander trop, et en tout cas pas d’éliminer par principe toutes les zones d’ombre.

En espérant que le procès de Monique Olivier me donnera tort et que la famille d’Estelle Mouzin pourra retrouver le corps de cette dernière, que la France n’oubliera jamais.

NDLR : Vous pouvez suivre les épisodes du podcast de Martine Bouccara dédié au procès de Monique Olivier ici.

Martine Bouccara,
Avocate pénaliste française Honoraire,
Avocate au Barreau de New-York,
Diplômée de Criminologie de l’Université de New-York CUNY.

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