Licenciement d’un cadre dirigeant pour l’envoi de messages privés à caractères sexuels = licenciement nul pour violation de la vie privée.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Elise de Langlard, Juriste.

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Explorer : # vie privée # liberté d'expression # licenciement # harcèlement sexuel

Ce que vous allez lire ici :

Un cadre a été licencié pour avoir envoyé des mails à caractère sexuel depuis son ordinateur professionnel. La cour a jugé le licenciement nul, affirmant que ces messages relèvent de la vie privée du salarié, protégée par la loi, et ne peuvent justifier un licenciement disciplinaire.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans un arrêt publié au bulletin du 25 septembre 2024, la Cour de cassation a prononcé la nullité du licenciement pour faute grave d’un ancien directeur général cadre dirigeant notamment pour l’envoi de courriels à caractère sexuel depuis sa messagerie professionnelle.

La Cour de cassation considère que ces échanges relèvent de la sphère privée et qu’ils n’excèdent pas les limites de la liberté d’expression, rendant ainsi le licenciement injustifié.

Cette décision doit être saluée.

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I) Faits.

Dans cette affaire, un cadre dirigeant avait été licencié pour faute grave, en raison de l’envoi de mails à caractère sexuel depuis son ordinateur professionnel ; propos tenus dans une conversation privée avec trois personnes.

L’employeur arguait que ces messages appelaient à un licenciement conformément à son obligation générale de prévention au harcèlement sexuel et agissements sexistes.

La cour d’appel avait conclu que ces courriels relevaient de la sphère privée, qu’ils ne visaient personne en particulier et n’impliquaient aucun fait pénalement répréhensible.

Ainsi, elle a estimé que les mails envoyés par le salarié relevaient de sa liberté d’expression, exercée sans abus.

Elle a jugé le licenciement nul, car se fondait, au moins partiellement, sur l’exercice non abusif de la liberté d’expression du salarié.

L’employeur s’est pourvu en cassation

II) Solution.

Le pourvoi est rejeté.

Il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et L1121-1 du Code du travail que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.

Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.

Ensuite, il résulte des articles L1234-1, L1234-5 et L1234-9 du Code du travail, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Le caractère illicite du motif du licenciement fondé, même en partie, sur le contenu de messages personnels émis par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, en violation du droit au respect de l’intimité de sa vie privée, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.

Doit en conséquence être approuvé l’arrêt qui prononce la nullité du licenciement d’un salarié et condamne l’employeur à payer diverses sommes à ce titre, après avoir constaté que le salarié avait été licencié pour faute grave, notamment en raison de propos échangés lors d’une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, dans un cadre strictement privé sans rapport avec l’activité professionnelle, ce dont il résultait que, cette conversation de nature privée n’étant pas destinée à être rendue publique et ne constituant pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, était insusceptible d’être justifié et était atteint de nullité comme portant atteinte au droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié

III) Analyse.

Cette jurisprudence rappelle que si l’employeur peut ouvrir des fichiers présumés professionnels, il ne peut pas sanctionner un salarié pour des contenus relevant de sa vie privée, même s’ils ont été envoyés depuis un outil professionnel, sauf s’il y a usage abusif de l’outil informatique.

Concernant l’argumentaire développé par la Cour de cassation, l’avocate générale critique dans son avis, l’usage de la notion de liberté d’expression dans ce contexte, précisant que le licenciement pour l’envoi de mails à caractère sexuel devrait davantage se baser sur une éventuelle atteinte à la vie privée ou sur un usage abusif des outils professionnels.

Ainsi, la Cour de cassation n’aurait pas eu nécessairement à prononcer la nullité du licenciement, mais seulement son absence de cause réelle et sérieuse retenue habituellement en cas d’atteinte à la vie privée.

En effet, bien que soit retenu un argumentaire sur la liberté d’expression, l’arrêt de la Cour de cassation permet de mettre en lumière un principe essentiel : la protection de la vie privée des salariés, même dans le cadre professionnel, notamment en ce qui concerne leurs communications personnelles. Selon les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 9 du Code civil, et L1121-1 du Code du travail, les salariés bénéficient d’un droit au respect de leur vie privée, incluant le secret des correspondances, même au travail.

Ainsi, un employeur ne peut pas sanctionner un salarié en se fondant sur le contenu de messages à caractère personnel, émis ou reçus via un outil informatique mis à disposition pour le travail, sans violer ce droit fondamental. Cette protection est prévue aux articles L1234-1, L1234-5 et L1234-9 du Code du travail précisent qu’un motif tiré de la vie privée du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf si cela constitue une violation de ses obligations professionnelles.

Concernant les motifs de la Cour de cassation sur la liberté d’expression du salarié, en référence à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, plusieurs éléments clés ressortent dans la solution de la cour, notamment sa protection et ses limites. Il est à cet égard fondamental de noter que toute restriction à la liberté d’expression des salariés doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est claire sur ce point, en ce qu’elle souligne que la liberté d’expression est un droit fondamental protégé dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, sous réserve qu’il n’y ait pas abus.

En effet, sur ce point, la Cour de cassation a développé une jurisprudence constante concernant la liberté d’expression, précisant que le contrôle de l’abus repose sur la caractérisation de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs (Soc., 22 mars 2017, n°15-25.992).

Au final, pour qu’un abus soit retenu, ces comportements doivent être caractérisés, et dans l’arrêt du 25 septembre, la cour s’est appuyée sur cette ligne jurisprudentielle, en cohérence également avec l’arrêt Clavaud (Soc., 28 avril 1988, n°87-41.804), dans lequel elle avait déjà affirmé que la liberté d’expression s’exerce pleinement hors de l’entreprise, sous réserve de l’absence d’abus.

De son côté, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme invite à une approche par étapes lorsqu’il s’agit de vérifier la légitimité d’une restriction à la liberté d’expression. Trois critères doivent être remplis : l’ingérence doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime, et être nécessaire. L’arrêt Tex de la Cour de cassation du 20 avril 2022 (Soc., 20 avril 2022, n°20-10.852) s’inscrit dans cette logique, la Cour ayant jugé que les propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l’égard des femmes, justifiaient le licenciement en raison de leur impact potentiel sur les intérêts commerciaux de l’employeur.

Enfin, la question des propos sexistes ou de harcèlement sexuel dans l’entreprise soulève un autre débat juridique. En vertu de la directive 2006/54/CE et des évolutions législatives récentes, les propos dégradants notamment sexistes tenus dans l’entreprise sont désormais strictement interdits et peuvent justifier un licenciement pour faute grave.

A cet égard, l’employeur a l’obligation légale de prévenir et de sanctionner de tels comportements, comme le prévoit l’article L1153-5 du Code du travail, lié à l’obligation de sécurité de l’employeur envers ses salariés. Il s’agit ici de protéger les salariés victimes de tels actes et d’assurer un environnement de travail exempt de comportements humiliants ou offensants. Cette affaire montre finalement que le caractère privé et le contexte des échanges peuvent limiter l’étendue du pouvoir disciplinaire de l’employeur.

Au final, la décision renforce le principe selon lequel la liberté d’expression est protégée dans l’entreprise, et qu’un salarié ne peut être licencié pour des propos qui, bien qu’inappropriés ou critiquables, ne constituent pas un abus manifeste de cette liberté.

Pour les salariés, cette décision est importante car elle rappelle que l’équilibre entre les intérêts de l’entreprise et les droits fondamentaux des salariés doit être respecté.

Source.

Cass. soc., 25 septembre 2024, n° 23-11.860
Rapport du Conseiller
Avis de l’avocate générale.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Elise de Langlard, juriste
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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