Si avant cette décision, tout vice de forme [2] voire une simple coquille pouvait condamner la procédure de passation d’un marché public, il n’en est plus du tout de même depuis cette décision, laquelle a rendu beaucoup plus difficile le recours au référé précontractuel puisque le requérant ne peut désormais plus invoquer que des manquements à une règle de mise en concurrence ou de publicité, qui l’ont lésé ou risqué de le léser.
Avec cette décision, le Conseil d’État a ainsi mis fin à l’utilisation que beaucoup de requérants faisaient du référé précontractuel, à savoir une séance de rattrapage, à laquelle ils recouraient d’autant plus facilement que la jurisprudence accueillait très largement ce type d’actions.
Nombreux ont ainsi été les candidats malheureux à un marché public qui ont « instrumentalisé » cette procédure de référé précontractuel pour faire annuler une procédure de passation et retenter leur chance lors d’une nouvelle procédure de mise en concurrence.
SMIRGEOMES a ainsi sifflé la fin de la partie et des innombrables exagérations sur le sujet en réintroduisant non seulement des conditions beaucoup plus drastiques au recours à la procédure de référé précontractuel mais aussi à une certaine exigence de bonne foi que le Conseil d’État érigeait d’ailleurs comme principe un an plus tard dans sa décision Commune de Béziers [3] cette fois non plus dans l’avant contrat mais dans l’exécution du contrat administratif.
Dans ce nouveau contexte où la bonne foi des parties constitue un élément majeur d’appréciation du juge, les candidats aux marchés publics ont dû profondément revoir, et pour certains d’entre eux totalement modifier, leur attitude durant la phase précédant la remise des offres tant les demandes de précisions sur le contenu du dossier de consultation des entreprises avant le dépôt d’une offre, ont pris une importance majeure aussi bien au stade de la passation des marchés, qu’au stade de l’exécution des marchés.
De l’importance des demandes de précisions avant la remise de l’offre : le référé précontractuel
Les candidats se trouvent parfois confrontés en phase d’élaboration de leur offre, à une situation dans laquelle ils doivent interroger l’acheteur pour bien comprendre son besoin afin d’être certain d’élaborer la réponse la plus compétitive.
Face à un manque de clarté, de précision voire des contradictions des documents de la consultation, la jurisprudence impose, qu’en toute bonne foi, les candidats lèvent leurs doutes et obtiennent les précisions nécessaires à l’élaboration de leur offre, au travers de questions et de demandes d’éclaircissements adressées à l’acheteur.
Les questions et les demandes d’éclaircissements durant la phase de passation d’un marché public, sont ainsi devenues importantes voire décisives et la jurisprudence rendue en la matière par les juridictions administratives, en donne une parfaite illustration.
Quand l’imprécision des documents ne lèse pas, faute de l’avoir relevée !
L’attitude adoptée avant le dépôt de son offre, par le requérant ayant déposé un référé précontractuel, est ainsi appréciée par le juge (certains diront avec sévérité, d’autres diront avec objectivité).
Au terme de la jurisprudence et dans la droite ligne de SMIRGEOMES, le juge considère que le requérant ne peut pas avoir été lésé d’une imprécision que l’acheteur aurait laissé passer dans les documents de la consultation, si le candidat pouvait par le biais d’une demande d’éclaircissements, faire corriger l’élément imprécis sur lequel il se fonde en référé précontractuel.
Comment être lésé de quelque chose qu’on a laissé prospérer alors même qu’on pouvait l’éviter ?
Si les civilistes invoqueront le fameux adage « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans », le juge administratif ne va pas jusque là mais on perçoit au travers des différentes décisions rendues en la matière qu’il n’en est pas si loin.
Le juge administratif considère en effet que ne saurait être lésé le requérant qui préalablement à la remise de son offre, n’a posé aucune question visant à solliciter des précisions indispensables à l’établissement de son offre [4] ; un tel requérant – de mauvaise foi pourrait-on dire - ne peut se plaindre d’une imprécision qu’il pouvait faire corriger par l’acheteur [5], et ce quand bien même cela concernerait les critères de jugement des offres [6]
Il revient donc aux candidats en tant que professionnels d’être très attentifs et de poser toutes les questions nécessaires à l’acheteur avant la remise de leurs offres, s’il s’avère qu’ils ont besoin d’informations complémentaires. A défaut, ils devront en assumer les conséquences et ne pourront pas s’en prévaloir devant le juge du référé précontractuel.
Quand la méconnaissance des précisions apportées ne lèse pas
Si le candidat qui ne pose pas de question sur une imprécision ne peut avoir été lésé au regard de celle-ci dès lors qu’il pouvait l’éviter, il en va de même du candidat qui ne respectant pas les réponses apportées aux demandes de précisions dépose une offre non conforme…
La décision CE 12 mars 2013, Commune de Villiers sur Marne n°353826, illustre parfaitement le propos [7] , puisque dans cette affaire, le requérant avait totalement ignoré les précisions qui lui avaient pourtant été apportées par la Ville avant la date de remise des offres.
Il ne suffit donc pas seulement de poser des questions ou de déposer des demandes de précisions sur tel ou tel élément du dossier de consultation des entreprises, encore faut-il prendre toute la mesure des réponses apportées par l’acheteur et s’y conformer sous peine de déposer une offre irrégulière, dont on sait qu’elle ferme la porte du référé précontractuel [8].
Quand la non-pertinence des questions ne lèse pas
Si l’absence de questions et la méconnaissance des réponses apportées aux questions amènent immanquablement au rejet du référé, la question de la pertinence des questions constitue également un écueil à éviter
On peut légitimement penser que les candidats qui interrogent un acheteur le font dans la perspective de mieux appréhender les documents de la consultation et qu’en conséquence les demandes qu’ils formulent sont justifiées et logiques et nécessitent donc bien une réponse appropriée de la part de l’autorité organisatrice.
A cette fin, le juge administratif est venu préciser les choses en indiquant qu’à défaut de demander de vraies précisions, le requérant qui a écrit à l’acheteur durant la phase de passation sans pour autant recevoir de réponse, ne saurait être lésé [9] .
Le juge apprécie donc ici la teneur et l’utilité des demandes de précisions formulées, de telle sorte que la formulation des questions et des demandes de précisions nécessitent là encore, une attention toute particulière.
Au travers des différentes décisions et sans que le juge administratif ne l’ait encore admis expressis verbis à ce jour, on voit néanmoins clairement que la notion de bonne foi est quasi érigée à titre de principe au stade de la passation des marchés publics.
Pour résumer : une imprécision, une incompréhension, une contradiction doit être levée par les candidats au cours de la procédure et non être soumise au juge pour la première fois, sans quoi le juge ne manquera pas de considérer que le requérant n’a pas été lésé. Il en ira de même si les demandes de précisions sont jugées sans intérêts par le juge.
De l’importance des demandes de précisions après la remise de l’offre : de l’attribution a l’exécution
De l’importance des demandes de précisions de l’acheteur avant la notification du marché
Après la remise des offres et avant la notification du marché, les demandes de précisions changent de camp pourrait-on dire, puisque à ce stade, au stade de l’attribution du marché, les demandes n’émanent plus sauf exception du candidat (pour se renseigner par exemple sur la date de réponse de l’acheteur en raison d’un délai de validité des offres qui arrive à échéance) mais de l’acheteur.
Toutefois, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, l’acheteur peut seulement solliciter des éclaircissements et des clarifications sur le contenu d’une offre pour laquelle il s’interroge.
Les précisions apportées par les candidats devant en effet seulement permettre à l’acheteur de comparer les offres, dans le respect de l’égalité de traitement des candidats et sans affecter le jeu de la concurrence.
On rappelle s’il en était besoin, qu’il est interdit aux candidats en application du principe d’intangibilité des offres, de modifier le contenu de leur offre après la remise de celle-ci.
La jurisprudence est constante, riche et bien fournie en la matière (CE 16 janvier 2012, Département de l’Essonne, req. n° 353629/ CAA Nancy du 9 février 2012, Société EUROVIAALSACE FRANCHE-COMTE, req. n° 11NC00127) : à ce stade, seules peuvent être corrigées les erreurs de calcul dont l’acheteur ne pourrait se prévaloir de bonne foi (CE, 21 septembre 2011, Département des Hauts-de-Seine, n° 349149) [10].
Seules sont donc possibles des demandes d’éclaircissements d’une offre qui présente certaines incohérences ou ambiguïtés et que l’acheteur souhaite lever pour s’assurer de bien disposer de tous les éléments pour son choix.
On relèvera que l’acheteur n’a aucunement l’obligation de demander des précisions aux candidats, le nouveau code des marchés publics (Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics) l’affirmant tant pour l’appel d’offres que pour le dialogue compétitif ou encore les marchés de conception-réalisation.
Il revient en effet aux candidats d’être particulièrement prudent dans l’élaboration de leurs offres en n’omettant pas d’élément dont l’absence pourrait en altérer la bonne compréhension.
De l’importance des précisions pour l’exécution du marché
Corollaire des questions posées au stade de la passation du marché, l’attribution du marché tient naturellement compte des réponses apportées par l’acheteur et les candidats avant la remise des offres.
Une fois le marché attribué, toutes les précisions apportées - qu’elles émanent du candidat ou de l’acheteur - font partie intégrante du marché et s’imposent au candidat devenu titulaire autant qu’à l’acheteur.
L’acheteur et l’attributaire, devenus parties au contrat vont exécuter le marché ainsi complété - dans le respect des principes applicable à la commande publique - des différents éléments échangés avant la notification.
Dans les faits, on note bien souvent que les acheteurs apportent des précisions sur les documents de la consultation, durant la phase de passation, sans pour autant procéder formellement à la correction de ceux-ci et donc du contrat qui sera exécuté, de telle sorte qu’il peut s’avérer parfois difficile, au stade de l’exécution, de faire un lien immédiat entre une disposition et la précision apportée à celle-ci par l’acheteur au moment de la passation du marché.
Il est donc de ce point de vue aussi important au stade de l’exécution de se reporter au contrat notifié qu’à la phase de passation laquelle a pu préciser des éléments du contrat et apporter des précisions sur l’interprétation de celui-ci.
La mise au point du marché - laquelle intervient avant la notification du marché - permettra de modifier les documents de la consultation pour tenir compte des réponses apportées aux demandes d’éclaircissements.
Les parties pourront utilement mettre à profit la mise au point pour ainsi disposer de documents complets et corrigés.
Ainsi, les questions posées par les candidats et l’acheteur et les réponses apportées par chacun d’entre eux ayant permis de lever les doutes quant à l’interprétation de telle ou telle disposition contractuelle, l’exécution du marché n’en sera que plus sereine et empreinte de bonne foi.
En effet, en application du principe de loyauté des relations contractuelles, les parties au marché doivent faire preuve de bonne foi dans l’exécution de leurs obligations et ne peuvent se prévaloir d’imprécisions, d’incohérences ou encore d’un manquement aux règles de passation précédant la notification du marché public pour s’affranchir d’une partie de leurs obligations (par exemple CAA de Nancy 2 avril 2015, Société GRENKE LOCATION, req. n° 14NC01887).
Discussions en cours :
Le principe d’intangibilité des offres a été largement battu en brèche par la dernière réforme de la commande publique : « les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses » (Décret 2016-360, art. 59-II).
Il convient toutefois que la régularisation n’entraîne pas une modification des caractéristiques substantielles de l’offre.
La régularisation d’une offre n’est qu’une simple faculté, offerte à l’acheteur par le décret n°2016-360 : l’acheteur n’est pas tenu de demander au soumissionnaire la régularisation de son offre.
l’auteur de l’appellation de l’ordonnance et du décret relatifs à la nouvelle réglementation du droit des marchés publics : "nouveau code des marchés publics".
Celui-ci prendrait le nom de "code de la commande publique".
Un code étant pour moi des dispositions en effet émanant d’ordonnances, lois ou décret mais "codifiés", ce qui n’est pas le cas ici et donc ne peut s’apparenter à un "nouveau code des marchés publics".
Sinon excellent article merci beaucoup !