Commande publique : quand le juge rappelle à l'acheteur ses propres règles. Par Xavier Françoise et Jérôme Da Costa, Juristes.

Commande publique : quand le juge rappelle à l’acheteur ses propres règles.

Par Xavier Françoise et Jérôme Da Costa, Juristes.

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Explorer : # publicité extérieure # règlement local de publicité # concession de services # mise en concurrence

La Ville de Paris a engagé courant mai 2016, une consultation en vue d’attribuer une concession de services relative à l’exploitation de mobiliers urbains d’information à caractère général ou local supportant de la publicité.

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A l’issue de cette consultation, le 28 mars 2017, la Ville de Paris a désigné la société des mobiliers urbains pour la publicité et l’information (la Somupi), attributaire de la concession de services.
Clear Channel France et Exterion France ont alors chacune saisi le tribunal administratif de Paris d’un référé précontractuel qui par deux ordonnances du 21 avril 2017, annulait la procédure de passation.
Saisi de quatre pourvois en cassation contre les ordonnances rendues (Ville de Paris et Somupi), le Conseil d’État a le 18 septembre dernier (CE 18 septembre 2017, Ville de Paris / Société des mobiliers urbains pour la publicité et l’information – n°410336, n°410337, n°410364, n°410365), rendu une décision dans laquelle il confirme l’annulation de la procédure de passation lancée par la ville de Paris.
Si cette décision porte principalement sur l’annulation d’une concession de services, elle constitue également un apport intéressant en matière de réglementation sur la publicité extérieure.

1/ Contenu illicite et manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence

La décision du Conseil d’État nous rappelle tout d’abord que l’acheteur doit respecter les règles qui s’appliquent au domaine d’activité du contrat envisagé.
Ainsi, à l’image de l’obligation faite aux candidats de déposer une offre respectant les prescriptions légales et réglementaires applicables, les acheteurs doivent rédiger des documents de consultation naturellement eux-mêmes respectueux des prescriptions légales et réglementaires existantes.
C’est donc de façon parfaitement logique que le Conseil d’État a sanctionné la méconnaissance par le Ville de Paris de sa propre réglementation, au motif que la consultation qu’elle avait lancée portait sur un contrat relatif à l’exploitation par le concessionnaire, d’une partie de dispositifs supportant de la publicité numérique alors même que son propre règlement local de publicité (ci-après « RLP ») interdit ce type de publicité à l’exception de celle apposée sur les toitures-terrasses (article P.4.1.1 du RLP).
Le Conseil d’État rappelle ainsi par là même occasion qu’une personne publique en qualité d’acheteur ne peut s’affranchir de règles qu’elle a elle-même adopté en qualité d’autorité de police.

Le Conseil d’État avait d’ailleurs rendu une décision similaire en 2009 dans le même domaine d’activité en annulant une procédure de passation d’un marché de mobilier urbain, au motif que l’acheteur avait méconnu une prescription relative à la réglementation applicable aux personnes à mobilité réduite (CE, 4 février 2009, Commune de Toulon, n°311344).
Cette décision s’inscrit donc dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’État et nous rappelle que l’acheteur ne peut pas conclure un contrat comportant des conditions d’exécution contraires aux règles légales et réglementaires en vigueur sous peine de manquer à ses obligations en matière de publicité et de mise en concurrence.

2/ La lecture combinée des règles locales et des règles nationales applicables a la publicité extérieure

Au-delà du rappel auquel le Conseil d’État procède dans sa décision, il éclaire surtout les praticiens sur la réglementation de la publicité extérieure.
En effet, ainsi que cela a été indiqué plus haut, la Ville de Paris avait lancé une consultation visant à attribuer un contrat de concession portant sur des mobiliers urbains dont une partie pouvait recevoir de la publicité numérique. Parallèlement, le RLP qu’elle avait elle-même adopté en 2011, c’est-à-dire le document régissant l’implantation de la publicité sur son territoire interdisait la publicité numérique sauf sur les toitures-terrasses.
Énoncé comme cela, on ne perçoit certes pas immédiatement la subtilité du dossier !

En réalité celle-ci provenait de la réforme de la réglementation de la publicité extérieure intervenue en 2012 - soit après l’adoption de son RLP par la Ville de Paris en juillet 2011 - lequel a ouvert la possibilité d’exploiter de la publicité numérique sur le mobilier urbain.
Ainsi donc, alors même qu’une interdiction générale de la publicité numérique figurait dans un des articles de son RLP (l’article P4.1.1) relatif à ladite publicité, la Ville de Paris soutenait malgré tout que celle-ci était admise, en vertu d’un article spécifique (l’article P3) relatif au domaine particulier du mobilier urbain en application de la… réglementation nationale issue du Décret susvisé.
En suivant ce raisonnement, la Ville indiquait pouvoir bénéficier de la réforme de 2012 autorisant la publicité numérique sur le mobilier urbain.
La question posée à la juridiction administrative était donc relative à la combinaison qu’il convenait de faire entre d’une part, le RLP de la Ville de Paris qui date de juillet 2011 et qui traite du mobilier urbain dans un article P3 et de la publicité lumineuse dans un article P4.1.1 et d’autre part la réforme de 2012 qui admet la publicité numérique sur le mobilier urbain.

Reprenant les textes, le Conseil d’État a estimé que le RLP de la Ville de Paris interdit toute publicité numérique autre que la publicité éclairée par projection ou transparence, et ce, y compris sur le mobilier urbain.
Pour les hauts magistrats, si le Code de l’environnement a effectivement été modifié dans le cadre de la réforme de 2012 pour autoriser ce type de publicité sur le mobilier urbain dans les grandes agglomérations, le RLP de la Ville de Paris qui interdit la publicité numérique est quant à lui demeuré inchangé.
Le Conseil d’État juge que le renvoi au Code de l’environnement qui figure à l’article P3 du RLP ne peut donc être lu comme ayant autorisé la publicité numérique à Paris.
Cette décision constitue donc un apport en ce qu’elle éclaire la lecture qu’il convient de faire du RLP de la Ville de Paris sur la question de la publicité numérique tout en illustrant la combinaison qu’il convient de faire entre règles issues du Code de l’environnement modifié par la réforme de 2012 et les règlements locaux de publicité qui sont antérieurs à cette réforme.

Xavier FRANCOISE - Jérôme DA COSTA
CLEAR CHANNEL FRANCE - Direction Juridique

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