Cette décision a retenu notre attention puisqu’elle intervient quelques mois après la jurisprudence du Conseil d’Etat « Société JSA Technologie » du 20 décembre 2024 [2].
Dans cette décision remarquée, le Conseil d’Etat avait eu à trancher la question de savoir si, pour les parties de l’ouvrage réservées à la réception, le délai décennal de l’article 1792-4-3 du Code civil devait commencer à courir à compter de la levée des réserves ou à la date de la réception, peu important le sort des réserves émises à la réception.
Suivant les conclusions de son Rapporteur public Nicolas Labrune, le Conseil d’Etat avait retenu la seconde option en jugeant que l’action du maître d’ouvrage tendant à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle des constructeurs se prescrit par dix ans à compter de la date d’effet de la réception, que les travaux aient été réceptionnés sans réserve, avec réserves ou sous réserve de l’exécution concluante d’épreuves ou de l’exécution de prestations.
Dans sa décision du 11 avril 2025, la cour administrative d’appel a quant à elle jugé que la réception ne constituait pas le point de départ unique de la prescription de l’action en responsabilité contractuelle visée à l’article 1792-4-3 du Code civil, introduisant ainsi un certain flou sur le point de départ de cette prescription.
La cour en effet distingué deux hypothèses.
- Hypothèse 1 : dans le cas de désordres affectant des parties de l’ouvrage n’ayant pas fait l’objet de réserves au moment de la réception.
Dans cette première hypothèse, la Cour Administrative d’Appel de Marseille juge que :
« le délai d’action court à compter de la date d’effet de cette réception, même dans l’hypothèse où cette dernière est prononcée sous réserve de l’exécution de prestations manquantes ».
La cour s’aligne ainsi sur la jurisprudence Société JSA Technologie précitée en confirmant qu’en présence de désordres non réservés à la réception, le délai d’action court à compter de la réception de l’ouvrage, y compris lorsqu’elle est prononcée sous réserve de l’exécution de prestations manquantes.
- Hypothèse 2 : dans le cas de désordres affectant des parties de l’ouvrage ayant fait l’objet de réserves au moment de la réception.
Dans cette seconde hypothèse, en revanche, la cour s’éloigne de la position du Conseil d’Etat en jugeant que :
« le délai de prescription court à compter de la date d’effet de la levée des réserves ».
A l’instar de la jurisprudence dégagée en matière de garantie décennale [3], la cour retient qu’en présence de désordres ayant fait l’objet de réserves à la réception, le délai d’action commence à courir non pas à date de la réception mais à la date de la levée desdites réserves.
Il est curieux que la cour ait entendu opter pour cette solution au regard de son principal inconvénient parfaitement mis en évidence par Nicolas Labrune dans ses conclusions rendues dans l’affaire « Société JSA Technologie ».
En effet, la réception mettant fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs concernant la réalisation de l’ouvrage [4], cette solution prive ainsi le maître d’ouvrage de la possibilité de rechercher la responsabilité contractuelle des constructeurs pour les désordres réservés à la réception.
Et une fois les réserves levées, l’action en responsabilité contractuelle de l’article 1792-4-3 ne trouverait finalement à s’appliquer
« que dans les cas où le maître d’ouvrage recherche la responsabilité des constructeurs non pas à raison de désordres affectant l’ouvrage mais à raison des droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, ou alors dans le cas où le maître d’ouvrage recherche la responsabilité du maître d’œuvre à raison de manquements à son devoir de conseil » [5].
Il sera donc intéressant de surveiller les décisions qui seront rendues par les juges du fond pour savoir si la réception est confirmée comme le point de départ de l’action en responsabilité contractuelle de l’article 1792-4-3 du Code civil y compris pour ce qui concerne les parties de l’ouvrage faisant l’objet de réserves non levées.