La médiation dans l'espace OHADA. Par Jean-Louis Lascoux.

Extrait de : Tribunes et points de vue

La médiation dans l’espace OHADA.

Par Jean-Louis Lascoux.

2892 lectures 1re Parution: 4.5  /5

Explorer : # médiation # corruption # systèmes judiciaires africains # développement économique

L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires - OHADA a fait entrer la médiation dans ses textes. Une bonne nouvelle ou un effet de mode ? L’amabilité dont a bénéficier l’annonce de ce travail mérite de se pencher sur l’organisation elle-même, ses objectifs et de voir de quoi il retourne quand il est question de "médiation".

-

L’OHADA, a été créée en octobre 1993 par les gouvernements d’une dizaine de pays Africains. L’un des objectifs affiché était de contourner les effets de la corruption. L’ambition était de faire face aux multiples freins aux investissements et d’élargir l’influence d’une volonté commune de développement économique.

L’OHADA a ainsi reçu pour mission de développer la confiance des entreprises en sécurisant leur environnement juridique et judiciaire au sein des pays membres. Cependant, les systèmes juridiques et d’arbitrage étant tributaires de l’intervention interprétative de tiers, les risques de dysfonctionnement sont permanents. Le constat est encore fait et se répète à chaque étude sur les systèmes judiciaires en Afrique : la corruption est si présente qu’elle gangrène jusqu’à la perception même des institutions. La barre de l’ambition reste haute, si haute que l’OHADA a été elle-même sujette aux tourmentes des malversations.

Depuis 1999, l’arbitrage n’a pas apporté de crédibilité et l’OHADA n’a pas échappé aux habitudes, ce qui peut expliquer le succès très relatif de cette organisation de promotion du droit qui devait témoigner de fiabilité quant à sa gestion et à son fonctionnement.

Vingt-cinq ans plus tard, le projet balbutie encore. Il peine à mobiliser. Sur 54 pays du continent africain, 17 pays sont quand même impliqués : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée, Guinée Équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo. En septembre 2017, un rapprochement du Maroc a été annoncé.

Une idée récente a été de faire entrer le concept « médiation » dans les dispositifs OHADA. C’est fait, avec une entrée en force en fin 2017 pour finalement n’apporter rien de nouveau. C’est un recyclage à rebours. Le savoir-faire a démontré qu’ici encore, avec du neuf, on peut faire du vieux. La vieille école juridique, sous l’influence de cabinets occidentaux, a mis en place des consultations et fait passer ses propres conceptions en rejetant d’autorité ce qui n’abondait pas dans son sens. Pendant les travaux préparatoires à Abidjan, les interventions des médiateurs professionnels n’ont pas abouti à faire adopter la définition de la médiation comme une intervention d’un tiers visant la libre décision des parties. La tutelle juridico-judiciaire est restée le principe. Foin de l’entente. La forme qui lui est donnée reste dans la ligne antérieure de la « médiation d’autorité », avec une définition confuse inspirée de la conciliation et néanmoins refermée sur l’esprit de souveraineté.

"Le terme « médiation » désigne tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord (ci-après le « différend ») découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des États.

A savoir qu’un rapport conflictuel ne saurait découler d’un rapport juridique, mais se situe bien en amont dans une relation, c’est-à-dire dans la dégradation d’une entente. Les rédacteurs ont les habitudes de rédaction aussi dures que la peau de leurs vieilles habitudes de pensée. Dans le texte, la médiation est considérée comme une procédure ou un processus, sans nuance. La neutralité du tiers n’est même pas un sujet. Bref, contrairement à ce qui est proclamé, la médiation version OHADA, si ce n’est l’usage du mot, n’est porteuse d’aucune innovation.

Il reste aux médiateurs professionnels, spécialistes des projets relationnels, initiateurs du « droit à la médiation » promoteurs de la liberté de décision et de l’entente, de poursuivre leur travail en montrant l’efficacité de leur savoir-faire favorable au développement de « l’entente sociale » et de la « qualité relationnelle ». Même si les chemins peuvent se croiser, leurs interventions se poursuivra donc par-delà OHADA.

Il reste ainsi que le droit à la médiation est à faire connaître par la pratique, ce qu’aucune législation ne sait promouvoir et aussi ne peut empêcher. Il revient à la société civile d’en assurer le développement, en dehors de l’esprit d’adversité qui règne naturellement dans l’environnement juridico-judiciaire.

Il pourrait être opportun que l’OHADA s’inspire de la conception de la liberté de décision associée à l’élaboration d’un projet commun fondé sur l’entente plutôt que sur le contrat, soit la qualité relationnelle plutôt que le droit, en l’occurrence le droit napoléonien, héritage d’une dictature ayant rétabli l’esclavage.

A mon avis, il reste aux pays africains à développer une approche culturelle plus proche des fondamentaux du lien social qu’ils peuvent faire évoluer à partir de leurs propres racines. C’est sans doute pour une prochaine mouture...

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF) ; Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF) ; Médiation en milieux hostiles (ESF). Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle - www.creisir.fr

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

16 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 550 membres, 28198 articles, 127 292 messages sur les forums, 2 600 annonces d'emploi et stage... et 1 500 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• 1er Guide synthétique des solutions IA pour les avocats.

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs