La mise à pied conservatoire : principes et limites.

Par Cécile Reyboz, Avocat.

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Explorer : # mise à pied conservatoire # procédure disciplinaire # licenciement pour faute grave # droits des salariés

Parmi les sanctions disciplinaires que l’employeur peut prendre en cas de faute d’un salarié, nous connaissons l’avertissement, le blâme, la mutation disciplinaire, la mise à pied, ou le licenciement.
La mise à pied est dans ce cas une sanction, soit un nombre de jours durant lesquels le contrat de travail est suspendu et le salarié, « interdit de travail », non payé.

-

L’exécution de cette sanction clôt l’épisode disciplinaire, et l’employeur ne pourra prononcer une nouvelle sanction ou un licenciement qu’en cas de nouvelle faute, dont la gravité justifiera la nouvelle sanction.

A la différence de la mise à pied-sanction, la mise à pied conservatoire n’est pas une sanction disciplinaire, mais une mesure provisoire de dispense de travail le temps d’une procédure de licenciement.

A quoi sert la mise à pied conservatoire ?

Cette mesure est prévue par l’article L1332-3 du Code du travail :
« Lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l’article L. 1332-2 ait été respectée. »

Elle permet donc à l’employeur d’écarter le salarié de son poste et de l’entreprise, pendant la durée de la procédure de convocation à entretien préalable, et jusqu’à la notification de la décision prise.

L’employeur invoque parfois la nécessité d’enquêter au sein de l’entreprise sur les faits reprochés sans que le salarié en cause ne puisse interférer.

Cette durée, qui peut possiblement couvrir plusieurs semaines, ne donne pas lieu à versement de salaire, puisque le salarié ne vient pas travailler.

La mise à pied conservatoire est donc indissociable d’une procédure disciplinaire, et ne peut être notifiée avant un licenciement pour un motif autre que disciplinaire (insuffisance professionnelle par exemple).

Les « faits reprochés » au salarié doivent être, a priori, suffisamment grave, et rendre impossible le maintien du salarié à son poste de travail pendant la durée de la procédure initiée.

Il peut s’agir par exemple de faits de violence, ou d’agissements frauduleux contraires aux intérêts de l’entreprise, ou de comportements néfastes auprès des clients.

En toute logique, le licenciement envisagé – puisque la faute est donc grave – sera un licenciement pour faute grave, voire pour faute lourde.

Peut-on refuser une mise à pied conservatoire ?

La question est souvent posée, tant la mesure peut être brutale et sans signe avant-coureur.

Il est impossible de refuser de quitter son poste pour cause de mise à pied conservatoire, mais il sera possible d’en contester le bien fondé et/ou la durée après coup, avec la contestation du licenciement prononcé dans la foulée.

La mise à pied conservatoire est parfois notifiée dans le même courrier que celui de la convocation à entretien préalable, mais elle peut aussi être notifiée avant même toute convocation à entretien.

Elle peut même être verbale puisque la loi ne prévoit pas de modalité particulière de notification.

En pratique, et par précaution, la notification sera faite par écrit, par lettre recommandée avec AR ou par lettre remise en mains propres contre décharge, afin d’en conserver une trace écrite et de ne laisser aucune ambiguïté sur la date de début.

L’écrit sera daté, mentionnera l’éventualité d’un licenciement disciplinaire à venir, et mentionnera pour objet « mise à pied conservatoire », afin d’éviter toute confusion avec une mise à pied disciplinaire.

En revanche, aucune motivation n’est exigée, l’employeur n’est pas tenu d’évoquer le détail des faits qui sont à l’origine de la mesure.

A notre sens, un salarié mis à pied verbalement pourrait à tout le moins en demander confirmation écrite immédiate, par mail ou courrier remis en main propre, afin d’éviter toute confusion et tout reproche d’absence injustifiée !

L’employeur n’a aucun intérêt à lui refuser une confirmation écrite.

Une mise à pied conservatoire a-t-elle automatiquement pour suite un licenciement pour faute grave ?

La notification d’une mise à pied est souvent, en toute logique, le préambule d’un licenciement pour faute grave (rupture immédiate du contrat, sans préavis ni indemnité).

Néanmoins, la notification d’une mise à pied conservatoire n’oblige pas l’employeur à prononcer un licenciement pour faute grave : il n’est pas lié par cette mesure de précaution, et doit prendre sa décision en fonction de la gravité de la faute reprochée, et près avoir recueilli les éventuelles explications du salarié lors de l’entretien préalable.

Si la mise à pied n’aboutit pas à un licenciement pour faute grave mais à un licenciement pour cause réelle et sérieuse (avec préavis et indemnité de licenciement), l’employeur doit alors rémunérer après coup toute la période de mise à pied.

Même chose si la sanction retenue est une simple mise à pied disciplinaire : la durée de cette sanction sera déduite de la mise à pied conservatoire, et le solde sera payé.

Attention :

  • Notifier une mise à pied conservatoire interrompt le délai de prescription de 2 mois à compter de la prise de connaissance de la faute par l’employeur.
  • Si le salarié est un salarié protégé, l’inspecteur du travail doit être informé dans les 48 heures
  • La convention collective ou le règlement intérieur de l’entreprise peuvent prévoir des dispositions spécifiques sur la mise à pied conservatoire (commission paritaire, conseil de discipline préalable, etc.)

Quelle est la durée limite de mise à pied conservatoire ?

La Cour de cassation a admis que la mise à pied conservatoire n’ait pas de durée déterminée : elle se termine au plus tard au prononcé de la sanction disciplinaire.

Cependant, elle ne peut pas se prolonger abusivement et sans raison valable : l’employeur qui notifie une mise à pied conservatoire doit convoquer le salarié à un entretien préalable sans délai.

La jurisprudence peut cependant accorder un délai plus long si une enquête est nécessaire, dans l’intérêt du salarié (Cass. soc., 14 septembre 2016, n°14-22.225).

Mais attention :

Si aucun motif ne justifie la durée excessive d’une mise à pied conservatoire, les juges peuvent la requalifier en une mise à pied conservatoire, interdisant / invalidant dès lors le licenciement prononcé pour les mêmes motifs : un même fait fautif ne peut déclencher 2 sanctions.

(non bis in idem) !

Il sera dans ce cas possible de réclamer aux juges des dommages et intérêts pour le préjudice spécifique né de cette longue période sans salaire.

Cécile Reyboz Avocat

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Discussions en cours :

  • J’ai reçu une mise à pied de 12 jours suite à laquelle mon enployeur me notifie par messagerie que je devrais reprendre mon poste mais dans une autre de ses entreprises très loin de mon domicile. Ai je le droit de lui demander les mesures d’accompagnement ? ( Les frais de transport)

  • par Patrick Gois , Le 17 juillet 2019 à 13:16

    J’ai ete mis a pied apres 4mois de travaille sur un contrat d’un an.cars le 12 juillet l’education a lancee une alerte au casier judiciaire ,cars je n’ai le droit de travailler dans un centre de vacance.
    Que ce passe t’il pour moi ?

  • par Cloughey , Le 7 avril 2019 à 12:31

    Bonjour,
    Je suis en mise à pied conservatoire depuis le 21 avril, jour de ma reprise de travail après un accident du travail. J’ai été reçu en entretien préalable à licenciement le 1er avril pour faute grave. Mon PC m’a été retiré , les accès au logiciel fermés, Le badge du nouveau local non donne (pour ces éléments je n’ai aucune preuve, signe aucune document). A savoir, un retard, et un soi disant insuffisance de résultat alors qu’aucun résultat ne m’est demandé dans mon contract et que certains postes occupés - on tourne- ne peuvent générer de résultats. Il n’y a aucune faute grave. L’entretien s’est déroulé assez cordialement.
    On m’a indiqué oralement me payer ma semaine en mise à pied et celle qui suivait et « voir » pour un licenciement pour faute simple, la relation étant de toutes façons entachées maintenant.
    Je n’ai aucune nouvelle.
    Puis je etre considéré en abandon de poste si je ne donne pas de nouvelles ? Dois je contacter mon employeur ?

  • Dernière réponse : 10 mars 2019 à 19:52
    par Sylvain , Le 16 septembre 2018 à 15:44

    Bonjour,
    Le 30/08 il m’a été notifié une mise a pied conservatoire en vue d’un licenciement pour faute grave. J’ai donc signé un papier qui me l’a notifiait et qui me donnait rdv le 8/09 pour un entretien avec le patron. Lors de cet entretien il m’a été exposé les faits reprochés et j’ai donné ma version. A la sortie le patron m’a dit qu’il allait faire part de mes réponses aux personnes m’accusant et qu’il me tiendrait au courant mais je n’ai eu aucun autre papier à signer. Nous sommes le 16/09 et depuis je n’ai plus de nouvelles. J’ai essayé de contacter le patron mais il ne décroche pas et ne me rappelle pas non plus. Que dois je faire ? Est ce légal ? Merci de bien vouloir m’éclairer car cette situation m’angoisse et m’empêche de dormir depuis quinze jours maintenant. D’avance merci. Sylvain.

    • par joseph , Le 15 octobre 2018 à 09:24

      La mise à pied conservatoire est une arme que les patrons utilisent de plus en plus pour se séparer à bon prix de certains employés .Souvent il est fait mention de témoignages réels ou fictifs provenant de la part de certains collègues.
      Pour avoir été licencié à plusieurs reprises pour faute grave ou lourde ,mais ayant toujours obtenu réparation devant les tribunaux,un patron en pleurs ayant même proposé ma réintégration dans l’entreprise après deux ans de procédure,je vous conseille de prendre du recul et de répondre systématiquement par écrit à toutes les provocations dont vous pouvez faire l’objet ,la mise à pied étant la plus part du temps une provocation.
      Sachez aussi que vous pouvez postuler à d’autres emplois et commencer à travailler ailleurs ,pendant votre mise à pied.en effet le contrat se trouvant suspendu nulle obligation de le respecter tant de votre part que de celle de votre patron.Simplement si votre patron vous rappelle pour travailler et que vous n’y allez pas vous serez sans doute licencié pour abandon de poste sans indemnité de licenciement.Et je suis curieux de voir s’il osera vous poursuivre devant les tribunaux.
      Votre patron n’a aucune obligation de vous répondre (pas de loi) mais cela pourrait lui être reproché et servir aux juges pour ce faire une intime conviction.
      Si vous avez commis les faits qui vous sont reprochés par vos collègues et patron vous pouvez vous justifier auprès d’eux (y compris vos collègues)par écrit .
      Si ce n’est pas le cas engagez une procédure en diffamation à leur encontre ,vous verrez que la majorité d’entre eux modifiera ses propos.
      Soyez combatif,n’ayez pas peur,faites savoir ce qui vous arrive au plus grand nombre et surtout soyez généreux..........si on vous donne UN coup rendez en DEUX !!!!!!!
      Courage

    • par Roxane , Le 10 mars 2019 à 19:52

      Bonsoir , il m’arrive actuellement la même chose une mise à pied conservatoire. Des fait les sont reprochés mais je ne sait pas lesquels . Sur ma convocation il n’y a pas de motifs..
      sont il dans leur droit de ne pas me dire ce qu’il ont à me reproché jusqu’a La convocation ?
      merci Roxane

  • par tata07 , Le 4 mars 2019 à 11:32

    bonjour
    j ai ete mise a pied conservatoire mercredi 27/02 pour vol il m a dit qu il avait porté plainte m a fait signé une reconnaissance de dette or a ce jour du 04/03 facteur deja passer j ai toujours pas recu de convocation a l entretien il a dit qu il allait faire des recherches plus poussées je sais que je suis en tord j ai reconnu merci de m eclairer

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