La relégation physique ne doit pas s’accompagner d’un arbitraire juridique à l’égard des détenus.
C’est ainsi que l’on pourrait décrire la politique volontariste menée par le Conseil d’Etat ainsi que par les autres juridictions administratives pour limiter et circonscrire la notion administrative de mesure d’ordre intérieur dans les lieux privatifs de libertés comme les prisons.
Mais tout d’abord, il est essentiel de définir la notion de mesures d’ordres intérieures.
Il s’agit de mesures prises à l’intérieur d’un service et visant à aménager et à faciliter son fonctionnement, ce sont des mesures qui tiennent à la vie de l’établissement.
A l’origine, le juge administratif estimait qu’il ne s’agissait pas de décisions susceptible de faire l’objet de recours pour excès de pouvoir (REP) conformément à l’adage : De minimis non curat preator.
En effet, le Conseil d’Etat avait estimé, dans sa formation la plus solennelle, que le placement d’un détenu en quartier de haute sécurité n’était pas une décision faisant grief :
« Constitue une mesure d’ordre intérieur non susceptible d’être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir ; que, dès lors et sans qu’il y ait lieu d’examiner les moyens soulevés par M. X... à l’appui de sa demande d’annulation de ladite mesure cette demande doit être rejetée » (CE ASS 27 janvier 1984 n°31985).
Pourtant, depuis une dizaine d’années (CE ASS 17 février 1995 Marie n°97754 ; Garde des sceaux Ministre de la Justice / BOUSSOUAR n°290730), la haute Juridiction a finalement assoupli sa position compte tenu de la gravité de ces mesures sur la vie des détenus.
C’est d’ailleurs à cette occasion, qu’on constate que le Conseil d’Etat se pose en défenseure des droits fondamentaux des détenus ; individus placés dans une situation de vulnérabilité extrême, à la merci d’un système pénitentiaire coercitif, à l’instar des malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques et de manière générale de tout lieu privatif de liberté.
Ce mouvement jurisprudentiel n’a pourtant pas été aussi linéaire qu’il n’y parait.
En effet, l’isolement d’un détenu a été considéré, à l’origine comme une mesure purement interne qui ne pouvait être contestée devant le juge administratif (CE 8 décembre 1967 n°69544 ; CE 12 Aout 1967 n°70236).
Par la suite, il a été jugé que la mise à l’isolement, qui n’aggrave pas les conditions de détentions d’un détenu n’est pas susceptible d’exercer une influence sur la situation juridique de l’intéressé :
« qu’une telle mesure, qui n’a pas pour effet d’aggraver les conditions de détention, n’est pas, par nature, susceptible d’exercer une influence sur la situation juridique de la personne qui en est l’objet ; qu’elle constitue, ainsi, une mesure d’ordre intérieur qui n’est pas susceptible d’être déférée au juge administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir » (CE 28 février 1996 FAUQUEUX).
Néanmoins, cette position a été remise en question, comme le démontre deux décisions récentes (CAA de Paris n°07PA00126 ; CE 14 décembre 2007 n°290420) concernant le maintien en isolement d’un détenu ainsi que sur le déclassement d’emploi.
En effet, ces deux décisions, présentent une analogie en ce qu’elles fondent leurs argumentations sur les effets de telles mesures :
Sur les droits des détenus et notamment sur la possibilité de se procurer des revenus,
Sur les conséquences de ces mesures sur la dynamique de réinsertion sociale.
Ainsi, il est manifeste que le Conseil d’Etat reste bel et bien une juridiction protectrice des droits et libertés fondamentales des détenus, en réaffirmant que la prison ne doit pas être simplement un lieu de privatif de libertés (souvent et malheureusement criminogène) à l’origine d’une disqualification sociale et économique, mais au contraire un lieu qui ne ferme pas les portes de la réinsertion des détenus.
Cependant, on ne doit pas perdre de vue que juridiquement le Conseil d’Etat n’abandonne pas pour autant la notion de mesure d’ordre intérieur, puisqu’il estime que toutes mesures prises à l’intérieur d’un établissement n’est susceptible de faire griefs que si et seulement si ces mesures mettent directement en cause les libertés et droit fondamentaux des détenus.
Cette position s’explique par le fait que la haute juridiction ne souhaite pas paralyser la bonne marche des établissements pénitentiaires, tout en conditionnant ces mesures d’ordres intérieurs au respect du droit des détenus.
Mais désormais, force est de constater qu’il n’existe quasiment plus de mesures administratives auxquelles le juge administratif n’opposent son contrôle, conformément aux principes de légalité et de maintient de l’Etat de droit.
Par voie de conséquence, les établissements pénitentiaires ne sont désormais plus des zones de non-droits et que les décisions rendues par les juridictions administratives, viennent utilement nourrir un droit pénitentiaire en pleine construction.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que l’Avocat en tant que protecteur naturel des droits et libertés des personnes les plus vulnérables, à toute sa place dans ce monde pénitentiaire et plus particulièrement dans l’assistance des détenus durant les procédures disciplinaires.
Maître Marc Lecacheux
Avocat au barreau de Paris
Doctorant à L’université Paris VIII Saint-Denis