[Interview] Le "délit d'écocide" : nouvel outil juridique de défense de l'environnement ?

[Interview] Le "délit d’écocide" : nouvel outil juridique de défense de l’environnement ?

Propos recueillis par Marie Depay
Rédaction du Village de la Justice.

3841 lectures 1re Parution: Modifié: 3.44  /5

Explorer : # écocide # crime environnemental # protection de l'environnement # juridictions spécialisées

En novembre 2020, la ministre de la Transition écologique et le garde des Sceaux ont annoncé conjointement la création d’un nouvel outil juridique pour sanctionner les atteintes graves à l’environnement : le délit d’écocide, ainsi que la mise en place de juridictions spécialisées de l’environnement en France.
Ces annonces ont fait sensation, mais n’ont pas été accueillies favorablement par tous. Quelles en sont les raisons ? Quelle réalité se cache derrière le "délit d’écocide" ? Ce nouvel outil juridique est-il bien nommé ? Ces annonces sont-elles suffisantes pour lutter contre les atteintes à l’environnement et dissuader leurs auteurs ?

Pour répondre à ces questions, le Village de la Justice s’est tourné vers Corinne Lepage, avocate engagée dans la protection de l’environnement.

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Village de la justice : Le Gouvernement envisage de créer le délit d’écocide, est-ce une avancée pour la protection de l’environnement ? Est-ce suffisant ?

« Disposer d’un outil pénal général serait un progrès »

Corinne Lepage : « Créer un délit général d’atteinte à l’environnement constitue indéniablement une avancée. Il faut néanmoins souligner le fait que c’est une obligation communautaire depuis 2008, obligation à laquelle la France a jusqu’à présent refusé de se plier.
Si nous avons en effet des infractions pénales pour la pollution de l’eau, il n’en existe pas pour l’air ou les sols. De plus, l’essentiel des infractions en matière environnementale est de nature purement administrative c’est-à-dire le non-respect d’une mise en demeure adressée par le préfet.
Disposer d’un outil pénal général serait donc un progrès, sachant que jusqu’à présent, nous utilisons le droit pénal général comme par exemple la mise en danger délibéré d’autrui lorsqu’il y a des morts des blessures graves liées à une infraction environnementale. Mais, ce délit général n’a strictement rien à voir avec l’écocide. »

Voudriez-vous détailler ce qu’est le délit d’écocide ? Le Gouvernement emploie t-il la bonne terminologie ?

« Il ne peut donc pas s’agir d’un simple délit mais bien d’un crime (...) »

« Etymologiquement, Écocide signifie "tuer l’écosystème". Il ne peut donc pas s’agir d’un simple délit mais bien d’un crime comme l’homicide ou le féminicide.
Le terme de écocide est donc utilisé par le gouvernement de manière totalement impropre pour tenter de donner l’illusion de répondre à la demande de la convention citoyenne.

L’écocide vise en effet des destructions massives avec des conséquences fortes sur le vivant, qu’il soit végétal ou animal et sur l’homme de telle sorte qu’à mon sens il faudrait lier et écocide et humanicide. Ce terme recouvre un crime contre l’humanité particulier en ce qui ne vise pas les individus appartenant à telle ou telle religion, civilisation ou pays mais les humains dans leur qualité de terriens.

La difficulté avec l’écocide tient au caractère massif des conséquences et c’est la raison pour laquelle cette infraction serait particulièrement utile au niveau international. La déforestation massive du Brésil, la recherche de pétrole en Arctique pourraient, par exemple, entrer dans cette catégorie dans la mesure où les conséquences pour la survie de l’humanité et du vivant sont considérables. On peut donc comprendre les réticences à créer nationalement un crime d’écocide mais il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas honnête d’utiliser ce terme pour les infractions qui sont visées. »

La création de juridictions spécialisées de l’environnement en France représente t-elle une réponse efficace pour lutter contre la pollution et ses auteurs ?

« Il faudrait déjà commencer par renforcer les outils existants qui fonctionnent bien. »

« Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il existe d’ores et déjà deux pôles santé /environnement et un office spécialisé l’OCLAESP. Ce sont des outils extrêmement précieux mais, les moyens dont ils disposent, en particulier les pôles, sont notoirement insuffisants.
Il faudrait donc déjà commencer par renforcer les outils existants qui fonctionnent bien. La création de juridictions spécialisées ne me paraît pas indispensable.
La France manque cruellement de magistrats, de greffier, d’assistants de justice. Beaucoup de magistrats se font aujourd’hui spécialistes du droit de l’environnement et de très belles décisions ont été rendues par les juridictions de droit commun qu’il s’agisse de l’Erika avec la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ou l’incinérateur de Vaux-le-Pénil avec le tribunal correctionnel et la cour d’appel de Paris.
Des chambres spécialisées au sein des tribunaux de droit commun comme il en existe pour le droit de la propriété, le droit de la famille ou d’autres spécialités seraient largement suffisantes. Et, en toute hypothèse il serait suicidaire de déshabiller un peu plus Paul pour habiller Pierre en réduisant encore les magistrats des juridictions de droit commun. »

Quel(s) serait(aient) selon vous le(s) meilleur(s) outil(s) juridique(s) pour lutter efficacement et durablement contre les atteintes à l’environnement ?

« Arrêter de détricoter le droit de l’environnement comme on le fait (...) »

« Tout d’abord d’arrêter de détricoter le droit de l’environnement comme on le fait depuis trois ans.
Il faudrait également :
- renforcer le droit des citoyens et des associations pour lesquels la recevabilité des recours notamment devant les juridictions administratives se réduit comme une peau de chagrin ;
- renforcer les moyens des DREAL [1] et,
- favoriser beaucoup plus la prévention en réduisant le pouvoir d’opportunité des préfets de ne rien faire en face de pollution grave sous prétexte de ne pas gêner l’activité économique.

Sur le plan strictement pénal, l’usage d’un outil général d’atteinte à l’environnement est bienvenu avec des sanctions dissuasives mais à la condition que les procédures ne durent pas des dizaines d’années comme c’est le cas aujourd’hui, ce qui décourage notamment les victimes de quelque action que ce soit. »

Propos recueillis par Marie Depay
Rédaction du Village de la Justice.

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Notes de l'article:

[1NDLR : Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL).

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