Le nouvel article L.600-7 du Code de l’urbanisme, un an après.

Par Jean-Philippe Debruge-Escobar, Avocat.

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Explorer : # recours abusifs # indemnisation # urbanisme # réforme législative

Un an après la loi ELAN, quel retour sur l’appréciation par le Juge administratif des nouvelles dispositions de l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme ?

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Un an après, quel retour sur l’appréciation par le Juge administratif des nouvelles dispositions de l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme ?

I. Sur l’historique de la réforme.

L’article L.600-7 du Code de l’urbanisme tel que modifié par l’article 80 de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « loi ELAN » dispose ainsi :
« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. »

Rappelons qu’aux termes de son avis n° 376113 du 18 juin 2014 , portant sur les anciennes dispositions, le Conseil d’Etat précisa qu’il s’agissait exclusivement de règles procédurales inhérentes aux pouvoirs du Juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme.

Aux termes de l’article 2 de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 ces dispositions étaient sensiblement différentes et disposaient ainsi que :
« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel.
Lorsqu’une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l’environnement au sens de l’article L. 141-1 du code de l’environnement est l’auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes
. »

A contrario donc, il n’était pas question pour le législateur d’avoir instituer un régime indemnitaire général en matière de contentieux de l’urbanisme.

Certains membres de la doctrine y ont vu à ce moment précis et à juste titre la naissance de la possibilité pour le Juge administratif du pouvoir d’indemniser les bénéficiaires d’autorisation d’urbanisme en raison de l’introduction de requêtes abusives. Cette compétence ressortait autrefois uniquement de la compétence de son homologue, le Juge Judiciaire.

La loi précitée du 23 novembre 2018 a donc modifié le sens de ces dispositions en remplaçant pour l’essentiel les « conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » devenue conditions traduisant un comportement abusif.

Aux termes des études du groupe de travail présidé par Madame Maugüé, Conseiller d’État, et déposé le 11 janvier 2018 le constat était le suivant que les demandes étaient en pratique quasiment toutes vouées à l’échec. La difficulté de justifier des conditions requises était ainsi sur le banc des accusés. Le rapport déposé par le groupe de travail a préconisé en ce sens de modifier ces dispositions en supprimant la notion de préjudice excessif et en remplaçant la notion de « conditions excédant la défense des intérêts légitimes » par celle de « conditions qui traduisent un comportement déloyal dans le déroulement de la procédure.

L’article 80 précité de la loi ELAN a modifié ces termes afin de permettre plus largement aux titulaires d’autorisation d’urbanisme d’obtenir des indemnités par des conclusions reconventionnelles.

L’axe majeur des dispositions initiales est resté inchangé et consiste toujours à répondre à la nécessité de lutter contre les recours abusifs en matière d’urbanisme.

D’aucun n’ignore en revanche que cette nécessité doit être compilée avec le Droit à l’accès au Juge de tous requérants soucieux de préserver ses droits notamment en présence d’un projet de construction.

Une année s’étant écoulée depuis l’application jurisprudentielle de ces nouvelles dispositions, il est aujourd’hui possible d’en tirer le bilan quant à l’appréciation qu’en font les Juges administratifs.

II. Les conditions de l’indemnisation à l’aune de l’intérêt à agir du requérant.

Elles sont au nombre de deux :
- La mise en œuvre d’un recours contre une autorisation d’urbanisme dans des conditions traduisant un comportement abusif ;
- Cause de préjudice pour le pétitionnaire.

La question reste de savoir quelles sont les conditions traduisant un tel comportement selon le Juge administratif.

Par son jugement du 17 novembre 2015 n° 1303301 le Tribunal administratif de Lyon avait permis d’appréhender la notion à l’époque des « conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » devenue conditions traduisant un comportement abusif.

La notion s’appréciait notamment à la lumière de la démonstration de l’intérêt à agir des requérants, qui, au cas d’espèce, était totalement absente et avait permis d’actionner ces dispositions.

La Cour administrative d’appel marseillaise dans un jugement du 13 décembre 2018 [1] avait quant à elle retenu le même critère :
« Sur les conclusions reconventionnelles de M. A... formées sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme :
Il ne ressort pas de l’instruction que le syndicat des copropriétaires du 7 boulevard Victor Cessol et M. B... qui établissent à tout le moins être voisins immédiats du projet auraient, en l’espèce, excédé la défense de leurs intérêts légitimes. Les conclusions précitées doivent par suite, en tout état de cause, être rejetées.
 »

La même Cour a, par sa décision plus contemporaine du 6 juin 2019 [2], rejeté une telle demande tant aux regards des anciennes que des récentes dispositions de l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme sans toutefois précisé si la notion d’intérêt à agir du requérant, notamment de voisin immédiat, permettait encore ou non d’appréhender ainsi le comportement abusif de ce dernier.

La question restait donc entière surtout à l’aune des nouvelles dispositions de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme tel que modifié par le même texte de loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018. En effet, l’intérêt à agir des requérants autre que le pétitionnaire a été érigé en tant que préalable nécessaire à la recevabilité de tous recours contentieux en matière d’urbanisme.

Aujourd’hui plus que jamais il est nécessaire de démontrer l’intérêt à agir par tout requérant désireux de voir annuler une autorisation d’urbanisme illégale.

Cela, d’une part afin que la recevabilité d’un tel recours ne soit pas jugée défaillante en application de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme disposant que le recours n’est possible « que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation. »

D’autre part, afin que toute demande indemnitaire reconventionnelle du bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme contestée soit vouée à l’échec.

En effet, il ressort des jurisprudences précitées que cette qualité à agir du requérant lorsqu’elle était indéfectible permettait de rejeter toute demande indemnitaire.

Toutefois, il s’agissait d’appliquer les anciennes dispositions des articles L.600-7 et L.600-1-2 du même Code.

La Cour administrative d’appel de Marseille dans sa décision précitée du 6 juin 2019 ne permettait pas aux lecteurs de l’arrêt d’apprécier si la notion d’intérêt à agir, notamment celle du voisin immédiat, permettait toujours ou non de laisser présumer que son recours était dépourvu de tout comportement fautif.

Ce malgré quoi il est possible d’affirmer que les décisions jurisprudentielles rendues sous l’ancienne rédaction de l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme n’ont pas été anéanties par la réécriture de ce texte.

Si un doute venait à subsister, il suffira alors de s’en rapporter au jugement de la Cour administrative d’appel de Douai du 17 septembre 2019 [3] :
« Aux termes de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme que M. et Mme C... ont entendu invoquer : " Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel ".

Il ressort des pièces du dossier que la maison, propriété des époux B..., est située à proximité immédiate du terrain d’assiette de la construction autorisée par le permis de construire en litige. Eu égard à la configuration des lieux, la maison à construire est susceptible d’avoir pour effet de diminuer l’ensoleillement et la luminosité de la maison des époux B.... Ni la circonstance que les demandes étaient tardives ni celle que les époux B... ne résident pas habituellement dans cette maison ne caractérisent la mise en oeuvre par les époux B... de leur droit de former un recours dans des conditions traduisant de leur part un comportement abusif. Par suite, les conclusions par lesquelles les époux C... demandent que les époux B... soient condamnés à leur verser une somme d’argent à titre de dommages et intérêts, qui en outre n’ont pas été présentées par un mémoire distinct, doivent être rejetées. »

Les préjudices subis par le requérant qui démontre pleinement son intérêt et sa qualité à agir contre une autorisation d’urbanisme permettent d’appréhender son comportement de justiciable ou à l’inverse, son comportement dilatoire.

Naturellement, dans son pouvoir d’appréciation souverain, d’autres éléments de procédure pourront être pris en compte bien que pour l’heure cette présomption d’inapplicabilité de ces dispositions au requérant ayant qualité de voisin immédiat au projet qu’il conteste soit indispensable au regard des dispositions de l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme.

Ainsi, la qualité et l’intérêt à agir sont aujourd’hui des éléments importants et incontournables tant en ce qui concerne la recevabilité d’un recours contentieux que concernant la mise en œuvre de l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme.

Le demandeur au bénéfice des dispositions de l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme doit en tout état de cause justifier et démontrer la réalité de son préjudice [4]

Rien ne laisse donc encore supposer que le comportement du requérant justifiant d’un parfait intérêt à agir mais multipliant les recours à l’encontre de projets situés à proximité de sa propriété puisse tout de même être sanctionné pour recours abusif. Ce d’autant moins encore semble-t-il si ses recours successifs sont fondés et aboutissent au fond. En revanche, cette interprétation ne saurait prospérer dès lors qu’il s’agirait d’ajouter au texte des dispositions qu’il ne comporte pas.

Il est en revanche légitime de penser que le sort de l’action au fond influencera le Juge saisi d’une demande sur le fondement de l’article L.600-7.

Nul doute que ces nouvelles dispositions doivent être interprétées d’avantage par le Juge administratif tant l’équilibre entre le Droit d’accès au Juge et celui de la sanction nécessaire des recours abusif est difficile à obtenir par le Législateur.

Jean-Philippe DEBRUGE-ESCOBAR
Avocat
Nice

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Notes de l'article:

[1N° 16MA04428

[2N°18MA04951 - 18MA04928

[3N° 17DA01402

[4Pour exemple d’un préjudice financier non étayé cf. CAA de LYON, 5 novembre 2019, n°19LY00081.

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Discussion en cours :

  • par JMN , Le 15 mai 2023 à 14:18

    Depuis la nuit des temps, l’octroi du PC a toujours suscité des conflits de voisinage

    On le remarque bien dans le cadre de la modification de l’article, L.600 et suivant du code de l’urbanisme.
    Or, les juges en revenant parfois sur les anciennes dispositions ne laissent toujours pas le champ aux requérants
    Mais, ce que l’on peut regretter c’est le comportement des requérants à vouloir à tous les coups demander une indemnisation.

    Afin de mettre fin à d’énormes saisies du juge administratif, parfois pour des questions qui nécessitent un arrangement entre
    la Mairie, auteur de la délivrance des PC. La seule chose à faire à ce jour c’est une refonte profonde du Code de l’urbanisme afin de pallier un certain nombre de laxismes et d’obscurités, qui minent la délivrance des autorisations.

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