Concession de plage, candidature dématérialisée et pragmatisme.

Par Jean-Philippe Debruge-Escobar, Avocat.

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Explorer : # concession de plage # candidature dématérialisée # règlement de consultation # conseil d'État

Le Conseil d’Etat précise en cette fin d’année qu’en matière de candidature dématérialisée à l’obtention d’une concession de plage, une commune ne pouvait pas raisonnablement opposer une règle qui ne ressortait pas clairement du règlement de la consultation (CE, 20 décembre 2021, N° 454801).
Cela, quand bien même le règlement de consultation renvoyait à un guide d’utilisation.

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Au cas particulier, il ne s’agissait en rien pour le Conseil d’État de remplir un quelconque rôle de Père Noël mais bien de faire œuvre de pragmatisme.

Dans cette affaire, une commune a engagé une procédure de passation d’une délégation de service public pour l’exploitation de lots de plages, pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2022.

Une société candidate a transmis sa demande à l’attribution d’un des lots le 11 mai 2021 puis a transmis le 16 mai 2021 la copie de sa licence d’exploitation IV.

La commune lui a indiqué qu’elle avait bien reçu ses deux courriers mais qu’elle n’avait, en vertu de l’article R. 2151-6 du code de la commande publique, ouvert que le dernier d’entre eux. La commission de délégation de service public avait décidé de considérer comme constituant une candidature incomplète le dossier et donc l’a rejeté.

Le juge des référés n’ayant pas fait droit à la demande de la société candidate d’enjoindre à la reprise de la procédure de l’examen des candidatures en prenant en compte son offre, cette société s’est pourvue en cassation et a obtenu une décision de parfait bon sens :
- d’une part, les dispositions opposées n’étaient pas applicables en matière de concession de plage
- d’autre part, le règlement de consultation, qui doit être précis pour permettre une mise en concurrence idoine, ne peut pas régulièrement renvoyer à un guide d’utilisation

En effet, les Hauts Conseillers n’ont pas manqué de préciser en ces termes que :
"le seul renvoi par le règlement de la consultation à un guide d’utilisation de la plateforme où devaient être déposées les offres sur lequel figurait la mention selon laquelle « Si vous devez modifier ou rajouter une pièce à votre réponse déjà déposée : tout déposer à nouveau et au complet car le dernier envoi prévaut !!! », ne pouvait, en tout état de cause, dispenser l’autorité concédante de constater que la seconde transmission ne comportait qu’un document et ne pouvait être raisonnablement regardée comme se substituant au dossier de candidature transmis antérieurement."

En tout état de cause, le Conseil d’État a souligné que la communication d’un seul document ne pouvait en rien se substituer au dossier transmis antérieurement sauf à considérer le dossier en tant qu’incomplet.

Dans ces conditions, le Conseil d’État a réformé l’ordonnance rendue par le Premier Juge et a enjoint à la commune de reprendre la procédure de passation de la délégation de service public pour la gestion et l’exploitation du lot au stade de l’examen des candidatures en prenant en compte celle de la candidate irrégulièrement évincée.

Cet arrêt permet ainsi un éclaircissement bienvenu s’agissant des mentions d’un règlement de consultation ainsi que des conditions raisonnables pour considérer un dossier incomplet.

I. Les mentions du règlement de consultation.

Rappelons que le dossier de consultation est le document préalable et impératif qui s’impose aux candidats.

Le règlement de consultation en l’espèce portant sur les modalités de présentation des offres ne restreignait pas la possibilité de communiquer plusieurs éléments à la commune.

Il était en revanche très ambigüe sur les modalités de communication des offres des candidats et renvoyait à un guide d’utilisation.

De sorte que les candidats pouvaient légitimement penser pouvoir transmettre distinctement les éléments de de leur candidature.

La société candidate a pu légitimement communiquer un second document complémentaire dont la transmission n’était en tout état de cause pas rendue obligatoire au règlement de consultation.

Ainsi, il en découle que dans la mesure où le règlement de consultation ne prescrit pas l’obligation de déposer l’entier dossier à chaque transmission, la Commune ne saurait supposer que les candidats y étaient contraints.

En tout état de cause le caractère peu lisible, non apparent et de calligraphie minimaliste de la mention opposé par la commune insérée qui plus est dans un guide d’utilisation et non au règlement de consultation, ne pouvait être opposable aux candidats.

La problématique est simple, soit le règlement de consultation prescrivait une obligation claire non équivoque de transmission d’un dossier complet pour chaque envoi, soit, il ne la prescrivait pas.

D’autre part, nul mot n’était soufflé par le règlement de consultation sur les dispositions de l’article R.2151-6 ni même sur une quelconque attention des candidats sur l’obligation prétendument apparente de communiquer un pli complet.

S’eut été le cas, que le Conseil d’Etat a rappelé en ces termes que ces dispositions n’étaient pas applicables : «  Se fondant sur l’article R. 2151-6 du code de la commande publique, aux termes duquel « Le soumissionnaire transmet son offre en une seule fois. Si plusieurs offres sont successivement transmises par un même soumissionnaire, seule est ouverte la dernière offre reçue par l’acheteur dans le délai fixé pour la remise des offres. », la commune n’a tenu compte que de ce dernier pli et, le regardant comme constituant la seule candidature transmise par la société TDS, l’a rejetée comme incomplète. Or, d’une part, ces dispositions, outre qu’elles ne sont pas applicables à la passation des concessions, n’ont pas pour effet de conduire à regarder toute transmission comme une offre.  »

Ainsi, les ambiguïtés présentent au règlement de consultation étaient indiscutables, et ont préjudicié à la candidate.

Le refus de considérer l’admission de la candidature était ainsi sanctionné à raison des ambiguïtés du règlement de consultation.

Le Conseil d’Etat a précisé également que la commune ne pouvait être dispensée de « constater que la seconde transmission ne comportait qu’un document et ne pouvait être raisonnablement regardée comme se substituant au dossier de candidature transmis antérieurement.  »

Cela laisse supposer que la commune était donc tenue soit de considérer l’offre comme incomplète et d’en solliciter des éléments d’information, soit, si ce n’était pas le cas, de procéder à l’ouverture de la copie de sauvegarde de la candidature en cause.

II. La possibilité de consulter la copie de sauvegarde.

A l’aune de l’article R.2132-11 du Code de la commande publique

« Les candidats et soumissionnaires qui transmettent leurs documents par voie électronique peuvent adresser à l’acheteur, sur support papier ou sur support physique électronique, une copie de sauvegarde de ces documents établie selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie, annexé au présent code. »

Ces dispositions sont les mêmes s’agissant des concessions au titre de l’article R3122-17 du même Code.

Une copie de sauvegarde est communiquée dans le cadre des offres dématérialisées par les candidats.

L’arrêté du 22 mars 2019 fixant les modalités de mise à disposition des documents de la consultation et de la copie de sauvegarde précise en ces termes (NOR : ECOM1831545A, JORF n°0077 du 31 mars 2019, annexe 6 CMP) :
Article 2 :
1° Lorsqu’un programme informatique malveillant est détecté dans les candidatures ou les offres transmises par voie électronique. La trace de cette malveillance est conservée ;
2° Lorsqu’une candidature ou une offre électronique est reçue de façon incomplète, hors délais ou n’a pu être ouverte, sous réserve que la transmission de la candidature ou de l’offre électronique ait commencé avant la clôture de la remise des candidatures ou des offres.
III. - Lorsqu’un programme informatique malveillant est détecté dans la copie de sauvegarde, celle-ci est écartée par l’acheteur ou l’autorité concédante."

Cet arrêté fixe les exigences minimales des moyens de communication électronique utilisés dans les marchés publics et les contrats de concession.

Il abroge et remplace l’arrêté du 27 juillet 2018 et précise lesdites exigences minimales relatives à l’utilisation d’outils et de dispositifs de communication ainsi qu’en matière d’échanges d’information par voie électronique des marchés publics et des contrats de concession.

Les exigences minimales définies dans le présent arrêté sont fixées en application des articles R. 2132-8, R. 2132-9, R. 2332-10, R. 2332-12 et s’agissant des concessions aux articles R3122-13 à R3122-18 du Code de la commande publique.

Les moyens de communication électroniques ne doivent pas être discriminatoires ou restreindre l’accès des opérateurs économiques.

La copie de sauvegarde, est comme son nom l’indique une copie à l’identique de la réponse électronique destinée à se substituer aux dossiers des candidatures et des offres transmis par voie électronique en cas d’anomalies limitativement énumérées précédemment.

Cette transmission de la copie de sauvegarde était expressément mentionnée au règlement de consultation et a été parfaitement réceptionnée dans les délais par la commune.

Lorsque l’offre électronique prétendument incomplète est ouverte seules les informations figurant dans la copie de sauvegarde doivent être prises en compte.

La copie de sauvegarde se substitue ainsi au document reçu par voie électronique et devient la candidature, elle se substitue en totalité au document reçu de façon incomplète.

En l’espèce, l’exclusion opérée par la commune n’est pas une opposition dites de « de plein droit » au Code de la commande publique (articles. L. L.2141-1 à article L. 2141-6 ).

De sorte que les dispositions de l’article R.2151-6 ne sont pas exclusives de celles de l’article R.2132-11 ou R3122-17 et de l’arrêté du 22 mars 2019.

Ainsi, la commune a peut-être pu commettre deux erreurs :
- la première en refusant d’admettre les conséquences de l’ambigüité de son règlement de consultation,
- la seconde, en refusant d’ouvrir la copie de sauvegarde dès lors qu’elle ne pouvait pas légitimement constater que le dossier était complet.

Cet arrêt de cassation peut être salué par son pragmatisme. Il renforce la protection de l’obligation de mise en concurrence effective notamment en matière de concession de plage.

Jean-Philippe DEBRUGE-ESCOBAR
Cabinet DEMES
Avocat
Barreau de Nice

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