Recours contre les permis de construire : qu’en est-il quatre ans après l’ordonnance Duflot ?

Par Jérôme Nalet, Avocat.

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Explorer : # recours abusifs # permis de construire # urbanisme # promoteurs immobiliers

Ce n’est plus un secret pour personne : les logements manquent dans les grandes agglomérations. Le législateur fait donc son possible pour limiter les entraves à la construction. Dans cette optique, l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative aux contentieux de l’urbanisme, dite ordonnance Duflot, avait pour ambition affichée de juguler les contestations contre les permis de construire.

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En théorie, le recours exercé contre un permis de construire (qu’il soit gracieux ou contentieux) ne suspend pas l’autorisation d’urbanisme accordée. Le titulaire du permis de construire est par conséquent libre de mettre en œuvre cette autorisation sans attendre que le juge administratif se soit prononcé au fond. Et il appartient à celui qui le conteste, parallèlement à son recours en annulation, d’agir en suspension devant le juge des référés dans les conditions fixées par l’article L.521-1 du Code de justice administrative (ce qui, le plus souvent, est compliqué).

Mais il en va autrement en pratique, notamment pour les promoteurs immobiliers. D’abord, les opérations qu’ils mettent en place portent bien souvent sur des terrains dont ils ne sont pas encore propriétaires. Par sécurité, la promesse ou le compromis de vente prévoit donc une condition suspensive de permis de construire purgé de recours.

Ensuite, abstraction faite de la question de vente du terrain, les promoteurs financent rarement leurs projets sur fonds propres. Et les organismes prêteurs ont tendance à geler leurs crédits lorsqu’un recours est initié.

Devant cette situation, l’ordonnance Duflot a complété le Code de l’urbanisme (voir son livre VI, articles L.600-1-2 et suivants).

La mesure la plus commentée, lors de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, était celle qui portait sur les recours dits abusifs. Malheureusement, le recul montre que l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme n’a qu’une portée extrêmement limitée.

Il ouvre le droit au titulaire du permis de construire de solliciter devant le juge administratif saisi d’un recours la condamnation de l’auteur de celui-ci à lui verser des dommages-et-intérêts. Mais il faut pour cela établir que le recours a été mis en œuvre « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » et qu’il cause « un préjudice excessif au bénéficiaire du permis ». Ces formulations sont d’une telle imprécision que, sauf dans des cas très marginaux, le juge administratif refuse d’appliquer le texte.

Citons par exemple l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille le 20 mars 2014 (n° 13MA02161), jugeant abusif le recours introduit par une personne ayant fait l’acquisition d’un appartement qu’elle n’occupait pas, dans le seul but de se constituer artificiellement la qualité de voisin lui donnant intérêt à agir.

Malgré la mauvaise foi évidente du requérant, la cour administrative d’appel n’en a pas moins rejeté la demande de dommages et intérêts formulée par le bénéficiaire du permis de construire, dans la mesure où il ne justifiait pas du caractère excessif de son préjudice.

Un jugement rendu par le tribunal administratif de Lyon le 17 novembre 2015 (n° 1303301) a bien fait quelques vagues en retenant le caractère abusif d’un recours initié par des particuliers et en les condamnant à verser des dommages et intérêts au titulaire du permis.

Mais, a priori, il n’a pas vocation à se généraliser.

En effet, l’un des requérants était un opposant au maire ayant accordé l’autorisation d’urbanisme et le jugement retient « que la requête a été présentée dans un contexte de conflit politique et qu’il a été fait une publicité autour de ce recours qui excède largement son cadre (…) ». Est également mise en avant l’attitude dilatoire des requérants, qui ont produit très tardivement une pièce propre à justifier de leur intérêt à agir et n’ont fait état d’aucun moyen sérieux.

Non seulement cette décision a été rendue au regard de considérations factuelles très spécifiques, mais elle a été frappée d’appel (à ma connaissance, l’arrêt d’appel n’a toujours pas été rendu).

D’ailleurs, les titulaires des permis de construire sont eux-mêmes réticents à l’utiliser et préfèrent souvent saisir les juridictions civiles de demandes indemnitaires pharaoniques, dans l’objectif (compréhensible, à défaut d’être louable) de faire pression sur les auteurs des recours.

A ceci près que le juge civil a sensiblement la même approche que le juge administratif.

La meilleure illustration en est sans doute l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 juin 2012 (n° 11-17919) qui confirme un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence ayant condamné une société de promotion immobilière à verser près de 400.000 € de dommages et intérêts à l’une de ses concurrentes, titulaire du permis de construire contesté.

Dans ce cas d’espèce, le promoteur condamné envisageait de réaliser à proximité de son concurrent un programme immobilier de nature équivalente à celui ayant fait l’objet du permis de construire.

Là encore, seules des circonstances très particulières justifient donc la condamnation (au premier chef, la qualité de professionnel de l’immobilier et un comportement déloyal).

En résumé, l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme n’a manifestement pas vocation à être appliqué aux requérants les plus nombreux, c’est-à-dire des particuliers se trouvant à proximité immédiate du projet de construction, qui craignent une atteinte à leur cadre de vie et une dévalorisation de leur patrimoine.

L’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme, lui aussi issu de l’ordonnance Duflot du 18 juillet 2013, avait fait moins de bruit au départ mais promettait d’être plus efficace, du moins jusqu’à une période récente.

Il traite de l’intérêt à agir de l’auteur du recours contre le permis de construire, qui n’est recevable à le faire que si « les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » de son bien.

Certains tribunaux administratifs se sont servis allégrement de ces nouvelles dispositions, appréciant l’intérêt à agir des requérants de façon particulièrement stricte.

Cependant, le Conseil d’État est venu y mettre de l’ordre, du moins en ce qui concerne les voisins immédiats de la construction projetée.

Ceux-ci justifient désormais d’un intérêt à agir s’ils font état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet (cela résulte d’un arrêt rendu par la Haute juridiction le 14 avril 2016 sous le n° 389798, position confirmée par son arrêt du 20 juin 2016, rendu sous le n° 486932).

Finalement, l’outil le plus efficace issu de l’ordonnance Duflot est sans doute l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme, qui permet aux magistrats de n’annuler que partiellement un permis de construire s’ils constatent que le vice qui l’affecte ne concerne qu’une partie du projet et peut être régularisé par voie de permis modificatif.

Dans ce cadre, les promoteurs qui savent qu’un vice affecte le permis mais qu’il est mineur ont tendance à déposer une demande de permis modificatif sans attendre la décision du tribunal, ce qui leur permet de disposer d’une autorisation valide dès que le juge administratif s’est prononcé.

Mais encore faut-il disposer du temps nécessaire : il est très souvent délicat de prolonger la durée de validité du compromis de vente du terrain d’assiette du projet, une contestation de la décision rendue est toujours possible (la voie de l’appel est pour le moment interdite en matière de contestation de permis de construire dans les villes les plus importantes, mais pas un recours devant le Conseil d’État) et les promoteurs ont donc tendance à privilégier des projets s’avérant moins compliqués à mettre en œuvre.

D’autres outils sont propres à juguler les contestations contre les permis de construire.

D’une part, la notification du recours au titulaire du permis, imposée par l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme, reste assez efficace, l’absence de notification ou la notification irrégulière (tout comme l’absence de justification dans les délais, auprès du greffe, d’une notification pourtant régulière) rendant irrecevable la procédure dans sa globalité.

D’autre part (je l’ai brièvement évoqué plus haut), le décret du 1er octobre 2013 interdit la voie de l’appel aux contentieux portant sur les autorisations de construire des logements ou sur les permis d’aménager des lotissements. Ce dispositif ne concerne que les communes soumises à la taxe sur les logements vacants. Il n’est par ailleurs applicable qu’aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018. S’il est contestable sur le plan des principes, il contribue très certainement à réduire le délai de traitement des recours et pourrait bien être reconduit après le 1er décembre 2018, le législateur s’employant en la matière à expérimenter (avec plus ou moins d’adresse).

Ce même décret du 1er octobre 2013 a instauré ce que l’on appelle la cristallisation des moyens, c’est-à-dire la possibilité pour le juge de fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne pourront plus être invoqués. C’était l’objet de l’article R.600-4 du Code de l’urbanisme, qui n’ouvrait cette possibilité que sur demande motivée de l’un des parties au procès. Mais le décret du 2 novembre 2016 vient de généraliser la solution, les magistrats pouvant désormais en user d’office (voir le nouvel article R.611-7-1 du Code de justice administrative).

Mentionnons enfin la naissance de contrats d’assurance contre les recours des tiers, destinés à permettre aux promoteurs de construire malgré tout. Cependant, dans l’immédiat, très peu de contrats semblent satisfaisants. Même si je possède assez peu de renseignements sur ce point, leur souscription nécessite une étude préalable assez onéreuse portant sur les chances d’aboutir du recours, exercice périlleux s’il en est.

Instaurer une procédure d’urgence au fond, similaire à celle dite « à jour fixe » devant les juridictions civiles, s’avérerait indéniablement porteur. Mais cela a déjà été envisagé et l’encombrement actuel des juridictions administratives ne le permet sans doute pas.

Tout laisse penser que d’autres essais seront faits pour tenter de réduire un contentieux que l’on disait moribond il y a quelques années, mais dont ma pratique me laisse penser qu’il est voué à perdurer voire à se développer, puisqu’il constitue la seule arme efficace (bien qu’à certaines conditions) offerte aux voisins d’un projet de construction pour défendre leurs intérêts en amont de celui-ci.

Et si certains promoteurs semblent prêts à acquérir toujours plus cher des parcelles toujours plus petites, c’est pour ensuite exploiter de façon optimale leurs droits à construire… Ce qui impacte d’autant plus les voisins, qui ne perdent pas seulement une vue sur tel ou tel monument, de l’ensoleillement, mais bien une partie de leur patrimoine, les biens dont ils sont propriétaires se trouvant dévalués.

Certes, cette dévaluation est difficile à appréhender. Mais elle est bien réelle dans la plupart des cas. Par conséquent, même si la solution-miracle était trouvée pour réduire les recours contre les permis de construire ou limiter leurs effets, un contentieux de la dévaluation pourrait bien se développer devant les juridictions civiles. Sauf cas exceptionnels, elles sont pour le moment réticentes à indemniser les voisins de la construction. Mais les préjudices de ces derniers risquant de s’aggraver, et la proportionnalité semblant dans l’air du temps, qui sait ce qu’il adviendra dans les prochaines années…

Spécialiste en Droit Immobilier
Avocat Associé au sein de la SELARL FEUGAS AVOCATS
http://www.nalet-avocat.com/
http://www.feugas-avocats.com/
https://aslinfoblog.wordpress.com/

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