Les faits et la procédure :
Le 07 septembre 2015, une procédure de conciliation a été ouverte au bénéfice de la société JBC.
Le 03 février 2017, la société JBC a été placée en redressement judiciaire, à la suite d’une déclaration de cessation des paiements effectuée par son dirigeant. La date de cessation des paiements étant fixée au 16 septembre 2015.
Le 10 avril 2017, la procédure de redressement a été convertie en liquidation judiciaire. Le liquidateur désigné a assigné le dirigeant de la société JBC pour insuffisance d’actifs.
Devant les juges du fond, le dirigeant de la société JBC a été condamné à verser au liquidateur judiciaire, la somme de 150 000 euros.
Selon le raisonnement de la Cour d’appel de Poitiers, la mise en place d’une procédure de conciliation au profit de la société JBC, une semaine avant la date de cessation des paiements, n’exonère pas son dirigeant de ses responsabilités, notamment celle qui concerne la déclaration de cessation des paiements, étant donné que ce dernier connaissait amplement la grande vulnérabilité de son entreprise. Un tel manquement est manifestement constitutif d’une faute.
Toutefois, cette solution n’a pas été suivie par la Cour de cassation qui a considéré que le dirigeant de la société JBC n’était pas tenu de déclarer la cessation des paiements de cette dernière pendant la procédure de conciliation. Selon la Cour, pour caractériser une éventuelle faute susceptible d’engager la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif, les juges du fond auraient dû apprécier l’exécution de cette obligation qu’à l’expiration de la procédure de conciliation susmentionnée.
Pour mieux appréhender le présent arrêt, il convient de s’intéresser succinctement à la notion de cessation des paiements et d’insuffisance d’actif (I), puis, à la dispense du dirigeant de déclarer la cessation des paiements (II), enfin, au retour de l’obligation de déclarer la cessation des paiements à l’expiration de la procédure de conciliation (III).
I) Notion de cessation des paiements et d’insuffisance d’actifs.
a) La cessation des paiements.
L’ouverture d’une procédure collective (redressement ou liquidation judiciaire) nécessite que la société concernée soit en état de cessation des paiements. La cessation des paiements est une condition sine qua non pour l’ouverture d’une procédure collective. Elle demeure, une pierre angulaire des procédures du livre VI du Code de commerce [1].
Jusqu’à la Loi du 25 janvier 1985 [2], la notion de cessation des paiements ne bénéficiait pas d’une définition règlementaire. Propulsée par la jurisprudence, la cessation des paiements a été conçue sous différentes définitions. La jurisprudence a dans un premier temps retenu une conception matérielle de la cessation des paiements, qui consiste en l’arrêt des paiements. Puis, dans un second temps, elle a retenu que la cessation des paiements consiste pour le débiteur, à être désespéré dans sa situation et à n’y avoir aucune issue. Enfin, la Cour de cassation a retenu la définition que nous connaissons aujourd’hui, qui est celle qui nécessite l’impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible [3].
Cette dernière définition n’a pas été remise en question par la Loi du 25 janvier 1985, et a été textuellement reprise par la Loi du 26 juillet 2005 [4]. Dorénavant, la cessation des paiements est définie par l’article L631-1 du Code de commerce qui prévoit que "il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L631-2 ou L631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements”.
Cette définition n’a pas été modifiée par les différentes ordonnances ultérieures à la loi de 2005. Toutefois, l’ordonnance du 18 décembre 2008 [5] clarifie la situation de cessation des paiements en disposant que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements.
b) L’insuffisance d’actifs.
La notion d’insuffisance d’actifs est l’une des deux solutions pouvant entraîner la clôture d’une procédure de liquidation judiciaire. En effet, conformément aux dispositions de l’article L643-9 du Code de commerce, lorsqu’une procédure de liquidation judiciaire est ouverte, sa clôture dépendra d’une part, de l’extinction du passif, c’est-à-dire du paiement de toutes les dettes du débiteur, et d’autre part, de l’insuffisance d’actifs, qui pourrait être due à la mauvaise gestion du débiteur.
Ainsi, l’insuffisance d’actifs est avérée lorsque le passif antérieur externe est supérieur à l’actif existant au moment où le juge statue. En d’autres termes, nous parlons d’insuffisance d’actifs lorsqu’au cours d’une procédure de liquidation judiciaire, le liquidateur constate qu’il n’existe aucun actif permettant de désintéresser les créanciers.
Par ailleurs, il peut arriver que le débiteur dispose de certains biens de faible valeur. Dans une telle hypothèse, l’article L643-9 susmentionné prévoit que la clôture de la procédure de liquidation judiciaire est prononcée lorsque la poursuite des opérations de liquidation est disproportionnée par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels. Cette possibilité de clôture est une création de l’ordonnance du 12 mars 2014 [6].
II) Sur l’exonération du dirigeant de déclarer la cessation des paiements.
La déclaration de cessation des paiements (ou dépôt de bilan) doit être faite par le débiteur (par le truchement de son dirigeant) qui se trouve dans une pareille situation depuis plus de quarante-cinq jours. Il s’agit d’une obligation qui incombe au débiteur, qui ne peut s’exonérer que dans les cas prévus par les dispositions des articles L631-4 (s’agissant de la procédure de redressement judiciaire) et L640-4 du Code de commerce (s’agissant de la procédure de liquidation judiciaire). Nul doute que le défaut d’une telle déclaration de la part du dirigeant de la société défaillante, hors les exceptions prévues par la loi, expose ce dernier à des sanctions qui peuvent s’avérer très lourdes, comme l’interdiction de gérer une entreprise [7].
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’une telle déclaration peut être à l’initiative d’autres personnes telles qu’un créancier ou encore le ministère public, à condition que le débiteur ne bénéficie déjà d’une procédure de conciliation [8].
Toutefois, dans l’arrêt d’espèce, le débiteur bénéficiait d’une procédure de conciliation ouverte quelques jours avant la date de cessation des paiements fixée par le tribunal. Cet argument, bien qu’il obéisse aux dispositions de l’article L631-5 du Code de commerce, n’a pas convaincu les juges du fond, qui ont estimé que le dirigeant de la société débitrice a commis une faute de gestion, en ne déclarant pas la cessation des paiements de cette dernière.
Dans son arrêt du 15 mars 2022, la cour d’appel de Poitiers a estimé que l’ouverture de la procédure de conciliation dont bénéficiait la société JBC n’avait pas pour effet de dessaisir le dirigeant de celle-ci de ses missions de gestion, ni l’exonérer de ses obligations, dont la déclaration de cessation des paiements.
Néanmoins, la Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement. La Haute juridiction a par ailleurs fait application stricte des articles L611-4 et L631-4 du Code de commerce. En effet, il ressort de ces articles que lorsque la durée de quarante-cinq jours durant laquelle le débiteur doit demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire expire au cours d’une procédure de conciliation, ce dernier est dispensé d’une telle obligation.
En clair, s’appuyant sur ces textes, la Cour de cassation affirme que le dirigeant de la société débitrice n’était pas tenu de déclarer la cessation des paiements de cette dernière au cours de la procédure de conciliation.
En procédant ainsi, la Cour clarifie cette question qui constituait un poids lourd pesant sur les épaules des chefs d’entreprises, qui craignaient des éventuelles sanctions pour défaut de déclaration de cessation des paiements dans les quarante-cinq jours suivants celle-ci.
III) Une obligation de déclarer la cessation des paiements à l’expiration de la procédure de conciliation.
L’exonération du dirigeant de déclarer la cessation des paiements de sa société pendant une procédure de conciliation ne demeure pas un droit totalement acquis, du moins, lorsque ladite procédure arrive à son terme.
En effet, en s’opposant à la position des Conseillers de la Cour d’appel de Poitiers, la Cour de cassation a tenu à rappeler le point de départ pour déclarer la cessation des paiements. Ainsi, c’est au visa des articles L611-4 et L631-4 du Code de commerce que la Cour a fondé sa clarification. Selon la Cour, ce n’est qu’à partir de la fin de la procédure de conciliation que le dirigeant doit effectuer la demande de cessation des paiements, et ce, sans délai.
En d’autres termes, le dirigeant d’une société débitrice peut voir sa responsabilité engagée, si, au terme de la procédure de conciliation, il ne procède pas à la déclaration de cessation des paiements de cette dernière. Un tel manquement est constitutif de faute.
À travers cette formulation de la Cour, il convient de rappeler que cette décision ne vise que l’échec de la procédure de conciliation, c’est-à-dire qu’aucun accord n’a été trouvé entre la société débitrice et ses créanciers. Rappelons à juste raison que l’objectif de cette procédure est de trouver une solution aux difficultés de l’entreprise débitrice [9].
Conclusion.
À travers l’arrêt commenté, nous en tirons deux enseignements majeurs :
D’une part, lorsqu’une société bénéficie d’une procédure de conciliation, le dirigeant de celle-ci est exempté de toute obligation de déclaration de cessation des paiements, pendant la période de ladite procédure.
D’autre part, à l’issue de la procédure de conciliation, le dirigeant de la société défaillante est tenu sans délai de procéder à la déclaration de cessation des paiements, sous peine de voir sa responsabilité engagée pour faute de gestion.