A propos de l’arrêt de la CAA de Lyon du 10 juin 2008, n°05ly01218
Notre société est confrontée depuis plus d’une vingtaine d’années à l’irruption du fait religieux dans le fonctionnement des différents services publics (Par exemple pour le service publique de l’éducation CE Ass 14 avril 1995 n°125148).
Face à la montée du communautarisme, qui constitue un véritable défi pour notre société, nos institutions se sont adaptées tout en cherchant à préserver les principes fondateurs de notre République que sont les principes de laïcité et de neutralité du service public.
Par le passé, la haute juridiction administrative a eu l’occasion de statuer sur cette question en conciliant le respect du principe de laïcité avec la liberté d’expression.
Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’arbitrer entre d’un côté les convictions religieuses d’une famille très pratiquante et de l’autre une urgence médicale c’est-à-dire l’extraction par césarienne d’un enfant en état de souffrance fœtal.
Les faits sont simples mais dramatiques, Madame (X) se fait admettre à l’Hôpital de Bourg- en Bresse pour accoucher d’un enfant à terme.
Peu de temps après, la Sage femme détecte un trouble du rythme fœtal (accouchement dystocique) nécessitant bien évidemment la présence d’un anesthésiste et d’un obstétricien.
Or, ce jour là, les seuls praticiens disponibles étaient des hommes, ce qui a apparemment fortement déplu au mari de la parturiente, qui s’est alors physiquement opposé à toute présence masculine en salle d’accouchement.
Ce n’est qu’après une discussion de plusieurs minutes que les deux médecins ont pu intervenir, mais en ne pouvant pratiquer qu’une extraction par forceps en lieu et place d’une césarienne d’urgence.
L’enfant est donc né avec un grave handicap (taux d’incapacité de 100%).
La question est de savoir si les convictions doivent primer sur l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier.
L’arrêt précité répond clairement par la négative.
En effet, l’urgence des soins médicaux doit prévaloir sur les convictions religieuses ou coutumières d’un ou d’une patiente et à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un tiers s’opposant physiquement à une intervention vitale.
Dès lors, c’est à notre sens à bon droit, que la Cour a confirmé la juridiction du fond en s’opposant à l’engagement de la responsabilité du Centre hospitalier en estimant que cette obstruction était entièrement imputable au comportement borné du mari de la parturiente.
Cet arrêt nous semble donc important en ce sens qu’il pose les limites de l’acceptation du fait religieux au sein du service public.
Il pose concrètement les limites de l’application du principe de laïcité.
Cette étude aura donc pour vocation d’analyser la confrontation du fait religieux dans son ensemble avec l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier.
I)Le respect du principe de laïcité dans le service public hospitalier Français :
A ce titre, il ne semble pas inutile de rappeler les prescriptions de notre Constitution :
« Art. 1. - La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée » (article 1).
Par voie de conséquence, le service public est régi par quatre grands principes : la liberté religieuse, la neutralité du service public hospitalier et la non discrimination ainsi que la liberté de choix du praticien, autant de contraintes qui pèsent sur les décideurs et les chefs d’établissements lorsque se présentent des difficultés de prise en charges de patients opposants aux soignants leurs pratiques religieuses.
Dans le cas d’espèce, une équipe obstétricale intervenant dans le cadre d’un accouchement dystocique et confronté à un refus obstiné de la part du mari de la parturiente, à la présence de médecin masculin, dans la salle de travail.
A titre liminaire, il semble primordial d’aborder l’application des principes d’égalité de traitement et de liberté religieuse à l’Hôpital.
En effet, il s’agit de principes cardinaux qui doivent guider la réflexion des chefs d’établissement.
Pour ce qui concerne l’égalité de traitement des patients à l’Hôpital il convient de préciser le texte applicable :
« L’établissement de santé, ou toute personne chargée d’une ou plusieurs des missions de service public définies à l’article L. 6112-1, garantit à tout patient accueilli dans le cadre de ces missions :
1° L’égal accès à des soins de qualité (…..) ».
Par ailleurs chaque patient doit être à même de pouvoir participer à l’exercice de son culte comme le précise utilement l’article R 1112-46 du code de la santé publique :
« Les hospitalisés doivent être mis en mesure de participer à l’exercice de leur culte. Ils reçoivent, sur demande de leur part adressée à l’administration de l’établissement, la visite du ministre du culte de leur choix ».
De même qu’en matière d’obsèques, les patients et leur famille doivent pouvoir procéder aux rites et cérémonies prévus par leurs religions :
« Lorsque l’hospitalisé est en fin de vie, il est transporté, avec toute la discrétion souhaitable, dans une chambre individuelle.
Ses proches sont admis à rester auprès de lui et à l’assister dans ses derniers instants. Ils peuvent être admis à prendre leur repas dans l’établissement et à y demeurer en dehors des heures de visite si les modalités d’hospitalisation du malade le permettent » (Article R 111-68 du Code la Santé Publique).
Néanmoins, il est évident que cette liberté religieuse ne doit pas porter atteinte à la qualité des soins et aux règles d’hygiènes mais aussi à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et enfin et surtout ne pas porter atteinte au fonctionnement régulier du service.
Par ailleurs, le Conseil d’état a adopté dans le passé une position très stricte concernant l’opposabilité des convictions religieuses à la pratique de soins.
Ainsi, dans une affaire de prélèvement sur mineur, la haute juridiction a considéré comme irrecevable le refus des parents dicté par des convictions religieuses (CE 17 février 1988 n°65436), ce qui nous amène à aborder les questions de la limite de liberté de choix du praticien et de son établissement par le patient.
II) La limite de liberté de choix du praticien et de son établissement par le patient :
En effet, conformément à l’article L 1110-8 du code de la santé publique (CSP), le malade à la liberté de choix de son praticien et de son établissement de santé, ceci constituant un droit fondamental de la législation sanitaire.
A ce titre, la jurisprudence estime qu’il s’agit d’un principe général du droit (CE 18 février 1998 section locale du pacifique sud de l’ordre des médecins).
Par ailleurs, Il s’agit d’un principe réaffirmé par l’article 6 du code de déontologie médicale.
En réalité, ce principe est largement théorique, puisqu’il ne faut pas oublier que le patient est en situation statutaire et non contractuelle vis-à-vis de l’établissement public, c’est un usager de service public (CE 11 janvier 1991 D 1992 Som 147), il se trouve ainsi dans une situation règlementaire de droit public.
En effet, les soins sont délivrés par une équipe et non par un médecin particulier, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une urgence.
Dans le cas présent, la demande du mari, en l’occurrence la présence d’une équipe médicale uniquement féminine en lieu et place de médecins masculins, était totalement impossible à satisfaire.
En effet, l’urgence était caractérisée et la composition des membres du service présent ce jour là ne permettait pas de faire droit à cette demande.
A ce titre, l’article R 1112-17 du code de la santé publique précise :
« Dans les disciplines qui comportent plusieurs services, les malades ont, sauf en cas d’urgence et compte tenu des possibilités en lits, le libre choix du service dans lequel ils désirent être admis ».
Néanmoins, cette liberté de choix redevient possible si la situation perd son caractère d’urgence :
« Considérant, d’autre part, que s’il résulte des dispositions précitées du décret attaqué que le patient admis dans le service ou l’unité de traitement des urgences n’a pas le choix du psychiatre appelé par l’équipe médicale de ce service ou de cette unité, ni de l’établissement psychiatrique dans lequel il est éventuellement transféré, cette circonstance, qui est justifiée par la situation d’urgence à laquelle s’appliquent lesdites dispositions et dès lors que le patient conserve la liberté de choisir, dès que la situation d’urgence n’y fait plus obstacle, un autre psychiatre ou un autre établissement, ne porte pas une atteinte illégale au principe du libre choix du médecin et de l’établissement de santé par le patient énoncé par les articles L. 326-1 et L. 710-1 du code de la santé publique » (CE 21 octobre 1998 n°189 285 union nationale des établissements psychiatriques d’hospitalisation privée).
On le voit, dans un établissement public hospitalier, la liberté de choix du praticien et de l’équipe médical est limitée voire nul en cas d’urgence.
Il est donc regrettable, que le mari ait fait perdre un temps précieux à l’équipe médical au nom d’un obscurantisme religieux qui n’a pas sa place dans un lieu censé protéger la vie d’une mère et de son enfant.
C’est donc fort logiquement que la Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté le recours présenté par les requérants, estimant que le handicap de leur fils était entièrement imputable au comportement du mari.
A cette occasion, il convient de rappeler que le Conseil d’état a précisé dans son rapport 2004 :
« (….) À l’hôpital, la demande de se faire soigner par un médecin du même sexe ne saurait primer sur les contraintes de l’organisation du service. De même, le port du voile par les patientes ne saurait prévaloir sur les exigences liées aux conditions et à la nature des soins (….)"
En définitive, on doit donc considérer, que le handicap de l’enfant est entièrement imputable au comportement de son père et par conséquent c’est à bon droit que la Cour retient le fait du tiers comme susceptible d’exonérer l’établissement public de sa responsabilité.
III) Le fait de la victime comme exonératoire de la responsabilité de l’hôpital :
En effet, au regard de la jurisprudence, ont été retenus comme faits de la victime, les faits non seulement commis par elle-même mais aussi les agissements des personnes dont les actes lui sont opposables comme par exemple le conjoint (CE 18 novembre 1970 Dame veuve Picard et Goux Lebon p 687).
Dans le cas d’espèce, le handicap dont a été victime le nouveau né est lié exclusivement au retard pris par l’équipe médicale pour faire admettre au mari la présence de médecins masculins pour pratiquer une césarienne d’urgence.
La cour a donc estimé que la gravité de la faute du mari impliquait une absence d’imputation du préjudice de l’enfant de la part de l’administration.
Pour conclure, cet arrêt est salutaire puisqu’il met en garde les patients contre toute posture qui aurait pour objet et pour effet non seulement de porter atteinte à la bonne organisation du service mais aussi de méconnaître la dignité de la personne humaine dans un lieu dédié à la préservation de la vie et de la santé.
Car ne l’oublions pas, l’enfant est né avec un grave handicap à la naissance de nature à compromettre son avenir.
Maître Marc Lecacheux
Avocat au barreau de Paris