Par un arrêt en date du 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat clarifie les règles de répartition de la responsabilité quasi-délictuelle entre le maitre d’ouvrage, le titulaire du marché et son sous-traitant lorsque ce dernier dépasse le montant des travaux prévus par l’acte spécial de sous-travail en exécutant des travaux non supplémentaires (CE, 2/12/19,422307).
I) L’indemnisation du sous-traitant au travers de la responsabilité délictuelle.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat confirme la position de la Cour administrative d’appel de Douai qui a considéré que la responsabilité délictuelle du maitre d’ouvrage pouvait être engagée en cas de dépassement du montant des travaux prévus par l’acte spécial de sous-traitance (CAA Douai, 17/05/18,16DA02390).
A ce titre, il considère que :
« Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 qu’il incombe au maître d’ouvrage, lorsqu’il a connaissance de l’exécution, par le sous-traitant, de prestations excédant celles prévues par l’acte spécial et conduisant au dépassement du montant maximum des sommes à lui verser par paiement direct, de mettre en demeure le titulaire du marché ou le sous-traitant de prendre toute mesure utile pour mettre fin à cette situation ou pour la régulariser, à charge pour le titulaire du marché, le cas échéant, de solliciter la modification de l’exemplaire unique ou du certificat de cessibilité et celle de l’acte spécial afin de tenir compte d’une nouvelle répartition des prestations avec le sous-traitant. »
Pour rappel, l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance dispose que « (...) Le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations ».
Or, en l’espèce, comme le souligne tant les juges du fond que la haute juridiction administrative, le maitre d’ouvrage avait connaissance du dépassement du plafond des travaux prévus dans l’acte spécial avant la fin du marché, notamment au regard des courriers adressés par ce dernier.
De ce fait, en laissant le sous-traitant intervenir dans des conditions irrégulières sans mise en demeure de régulariser l’acte spécial de sous-traitant relatif aux conditions de paiement, le maitre d’ouvrage commet une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle.
Cette solution peut se comprendre au regard de la jurisprudence selon laquelle le pouvoir adjudicateur doit veiller au paiement effectif des sous-traitants qu’ils soient agréés ou non. La faute du pouvoir adjudicateur ayant déjà été reconnue en raison de la passivité du pouvoir adjudicateur qui entraine une impossibilité pour le sous-traitant d’être payé [1].
En l’espèce, l’absence de paiement résulte du paiement direct à l’entrepreneur placé en liquidation judiciaire, créant un préjudice pour le sous-traitant indépendamment du fait que les sommes litigieuses ont déjà été versées au titulaire [2].
Par suite, même si les prestations ne constituaient pas des travaux supplémentaires, comme le rappelle la Cour administrative d’appel de Douai, il n’en demeure pas moins que le sous-traitant peut obtenir réparation du préjudice résultant du comportement fautif du maitre d’ouvrage.
Il en résulte tout d’abord, un élargissement de la responsabilité quasi-délictuelle applicable dans les relations entre maitre d’ouvrage et sous-traitant [3].
Ensuite, le Conseil d’Etat confirme un recours alternatif au paiement direct prévu pour les travaux supplémentaires et les sujétions imprévues [4].
Ainsi, au regard de l’arrêt du 2 décembre 2019, le maitre d’ouvrage doit être vigilent quant au paiement des sous-traitant mais cela n’exonère pas ces derniers et les titulaires de l’être également.
II. Les limites à l’indemnisation du sous-traitant.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat, suivant la position de la Cour administrative d’appel de Douai, considère que le maitre d’ouvrage n’est pas seule responsable de l’absence de la régularisation de la situation du sous-traitant.
En effet, la Haute juridiction administrative vient en quelque sorte mettre en garde le sous-traitant qui serait tenté de poursuivre « l’exécution des prestations au-delà du montant maximum fixé par l’acte spécial sans s’assurer que sa situation avait été régularisée » [5].
Autrement dit, le sous-traitant, constatant qu’il va dépasser le plafond prévu, doit solliciter auprès de son cocontractant une modification de l’acte spécial, ce qui peut s’avérer délicat en pratique surtout lorsque son contrat peut lui permettre d’obtenir de telles paiements directement de la part de son cocontractant.
Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle également que le titulaire ne saurait non plus s’exonérer de son obligation de soumettre à l’agrément du pouvoir adjudicateur les conditions de paiement du sous-traitant pour les prestations en cause.
Ainsi, à relation tripartite, le juge administratif reconnait une responsabilité tripartie pour les conditions de paiement du sous-traitant où chacun des intervenants a une obligation quant à la régularisation du règlement des prestations du marché.
En l’espèce, cette cause exonératoire atténue grandement le coût des prestations pour le maitre d’ouvrage qui avait procédé à leur paiement directement au titulaire pendant sa procédure de liquidation judiciaire.
En conclusion, le présent arrêt du Conseil d’Etat s’inscrit dans la jurisprudence administrative élargissant le droit au paiement direct des sous-traitants sans pour autant accorder des paiements entiers des prestations notamment au vu du contrôle croissant des pouvoirs adjudicateurs sur la nature et l’exécution effective des sous-traitants [6].
Ainsi, même en l’absence de contrat, les pouvoirs adjudicateurs et les sous-traitants doivent s’accorder sur les prestations effectuées et leur paiement au travers de l’intermédiaire du titulaire du marché.