En effet, en France, près de 10 millions de tonnes de nourriture consommable sont gaspillées chaque année, soit l’équivalent de 150 kilos par habitant. Une étude réalisée pour le compte de l’ADEME a évalué l’impact carbone des pertes et gaspillages à 15,3 millions de tonnes équivalent CO2, soit 3 % de l’ensemble des émissions de l’activité nationale [3].
Au regard de ces chiffres pour le moins préoccupants, quelles sont les évolutions législatives ayant marqué ces dernières années en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire ?
Signé en juin 2013 par l’Etat et les représentants des acteurs de la chaîne alimentaire, le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire définit celui-ci comme « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée » [4].
En France, les premières dispositions légales abordant le gaspillage alimentaire ont été intégrées dans la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Cette loi s’est inscrite dans le cadre du Programme national pour l’alimentation (PNA), lequel détermine les objectifs de la politique nationale dans ce domaine.
Dans ce contexte, un nouvel article L1 a été créé dans le Code rural et de la pêche maritime, précisant que les objectifs précités tiennent notamment compte de « la justice sociale, l’éducation alimentaire de la jeunesse et la lutte contre le gaspillage alimentaire ».
Depuis lors, des dispositions se voulant plus concrètes ont été progressivement prises par le législateur.
1) La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Tout d’abord, ce texte a interdit l’inscription de la date limite d’utilisation optimale sur certaines catégories de produits alimentaires expressément nommées (tels que les fruits et légumes frais, les vins et boissons titrant 10 % ou plus en volume d’alcool, les vinaigres, le sel de cuisine, les sucres à l’état solide, les produits de la boulangerie et de la pâtisserie, les produits de la confiserie, les chewing-gums…) [5].
Cette interdiction part du postulat que la lecture par le consommateur d’une date limite d’utilisation optimale peut constituer une incitation à jeter le produit dès lors que la date est dépassée.
Par ailleurs, cette loi a imposé aux services de restauration collective – uniquement ceux gérés par l’Etat et ses établissements publics ainsi que les collectivités territoriales – l’obligation de mettre en place une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire avant le 1er septembre 2016 [6].
Cependant, aucune précision n’était apportée quant aux modalités de mise en œuvre et à la teneur exacte de cette démarche. En outre, le non-respect de ces dispositions n’était assorti d’aucune sanction – et ne l’est toujours pas à ce jour.
2) Loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (dite « loi Garot »).
Ce texte s’est voulu davantage engagé sur le sujet : il a créé un article L541-15-4 dans le Code de l’environnement disposant que :
« La lutte contre le gaspillage alimentaire implique de responsabiliser et de mobiliser les producteurs, les transformateurs et les distributeurs de denrées alimentaires, les consommateurs et les associations ».
En somme, la volonté affichée par le législateur était d’impliquer chaque acteur de la chaîne alimentaire, sans exception aucune.
Tout d’abord, cette loi établit une hiérarchie des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire, fixant leur ordre de priorité de la façon suivante :
1° La prévention du gaspillage alimentaire ;
2° L’utilisation des invendus propres à la consommation humaine, par le don ou la transformation ;
3° La valorisation destinée à l’alimentation animale ;
4° L’utilisation à des fins de compost pour l’agriculture ou la valorisation énergétique, notamment par méthanisation.
Ensuite, les distributeurs du secteur alimentaire, quelle que soit leur superficie, se voient interdire de rendre leurs invendus alimentaires délibérément impropres à la consommation (notamment en les javellisant) alors qu’ils sont encore consommables [7]. Le non-respect de cette interdiction est puni d’une amende de 3 750 euros et peut être assorti d’une peine complémentaire d’affichage ou de diffusion par voie de presse.
Par ailleurs, les commerces de détail alimentaire dont la surface de vente est supérieure à 400 m² doivent proposer à une ou plusieurs associations caritatives d’aide alimentaire de conclure une convention de don de denrées alimentaires. Le non-respect de cette obligation constituait alors une contravention de 3ème classe, sanctionnée par une amende maximale de 450 euros [8].
Enfin, les sociétés soumises à l’obligation de déclaration de performance extra-financière sont tenues de préciser leurs engagements sociétaux en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire [9].
A cette date et encore aujourd’hui, aucune sanction n’est prévue à l’égard des entreprises ne satisfaisant pas à leurs obligations relatives à cette déclaration.
Cependant, depuis le 22 juillet 2017, en cas d’absence de déclaration de performance extra-financière, ou de déclaration incomplète, toute personne intéressée peut saisir le Président du Tribunal de commerce statuant en référé afin d’enjoindre au Conseil d’administration ou au Directoire de la société défaillante de communiquer les informations prescrites. Cette injonction peut être assortie d’une astreinte.
Lorsqu’il est fait droit à la demande, l’éventuelle astreinte ainsi que les frais de procédure sont mis à la charge des administrateurs ou des membres du Directoire, individuellement ou solidairement selon les cas [10].
3) Loi du 30 octobre 2018 dite « loi EGAlim ».
Cette loi a édicté de nouvelles obligations dont l’entrée en vigueur s’est étendue du 1er janvier 2019 au 1er juillet 2021. Elle a été suivie de plusieurs décrets et ordonnances.
Tout d’abord, elle a imposé l’obligation, à compter du 1er juillet 2021, à l’égard des restaurants ainsi que des débits de boissons à consommer sur place, de remettre aux clients qui en font la demande « des contenants réutilisables ou recyclables permettant d’emporter les aliments ou boissons non consommés sur place » [11], l’équivalent du « doggy bag ».
Ensuite, l’ordonnance du 21 octobre 2019 [12] a étendu l’obligation de proposer une convention de don à une association caritative d’aide alimentaire :
- aux opérateurs de la restauration collective préparant plus de trois mille repas par jour,
- aux opérateurs de l’industrie agroalimentaire [13] dont le chiffre d’affaires annuel dépasse cinquante millions d’euros.
Ces mêmes opérateurs, s’ils ne sont pas, par ailleurs, soumis à l’obligation de déclaration de performance extra-financière, doivent rendre publics chaque année, par tout moyen de communication, leurs engagements en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire, les procédures de contrôle interne qu’ils mettent en œuvre et les résultats obtenus, qui intègrent le volume des dons alimentaires réalisés.
Est également étendue aux opérateurs de la restauration collective et de l’industrie agroalimentaire – tous chiffres d’affaires et surfaces confondus – l’interdiction de rendre leurs invendus alimentaires délibérément impropres à la consommation alors qu’ils sont encore consommables.
Enfin, cette même ordonnance impose à l’ensemble de la restauration collective de réaliser un diagnostic préalable comprenant, notamment, une estimation des quantités de denrées alimentaires gaspillées et leur coût.
4) Loi du 10 février 2020 dite « loi AGEC ».
Elle renforce encore davantage les exigences en matière de gaspillage alimentaire, en fixant un objectif de réduction de 50 % par rapport au niveau de 2015 :
- d’ici 2025, dans les domaines de la distribution alimentaire et de la restauration collective,
- d’ici 2030, dans les domaines de la consommation, de la production, de la transformation et de la restauration commerciale [14].
En outre, l’obligation de diagnostic préalable est étendue aux opérateurs agroalimentaires, qui doivent mettre en place une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire avant le 1er janvier 2021.
Enfin, l’obligation de proposer une convention de don de denrées alimentaires à une association caritative est étendue aux commerces de gros dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 50 millions d’euros.
La sanction en cas de non-respect de cette obligation se durcit, puisqu’il s’agit désormais d’une contravention de 5ème classe, punie d’une amende pouvant atteindre 7 500 euros [15].
D’un point de vue pratique, les acteurs concernés par cette obligation peuvent consulter et télécharger des modèles de convention élaborés à destination de chaque secteur donateur, sur le site du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire [16].
Est également étendue aux commerces de gros, tous chiffres d’affaires et surfaces confondus, l’interdiction de rendre leurs invendus alimentaires délibérément impropres à la consommation alors qu’ils sont encore consommables.
Le non-respect de cette interdiction est désormais puni d’une amende pouvant atteindre 0,1 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos réalisé par l’établissement coupable de l’infraction. Le montant de cette amende est proportionné à la gravité des faits constatés, notamment au nombre et au volume des produits concernés [17].
5) Loi du 22 août 2021 dite « loi Climat et résilience ».
Elle prévoit à titre expérimental, en son article 256, la possibilité pour les gestionnaires, publics ou privés, des services de restauration collective dont les personnes morales de droit public ont la charge, de proposer une solution de réservation de repas afin d’adapter l’approvisionnement au nombre de repas réellement nécessaires.
Cette expérimentation, d’une durée de trois ans, a débuté à la date de publication de la loi, soit le 24 août 2021.
Les modalités d’application ont été précisées par décret du 4 avril 2022 [18].
6) D’autres évolutions à venir ?
Comme l’illustre la succession des différents textes précités au cours de ces dernières années, le cadre législatif et réglementaire en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire est en pleine construction [19].
Les évolutions abordées dans cet article pourraient laisser présager que les contraintes pesant aujourd’hui sur un nombre encore limité d’opérateurs économiques ont vocation à s’étendre à d’autres acteurs. Lesquels précisément ? Les consommateurs en feront-ils partie ? Ces questions demeurent ouvertes et mériteraient en tout cas d’être débattues.