Pourquoi le service minimum dans les transports publics ne fonctionne pas en France.

Par Pierrick Gardien, Avocat.

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Explorer : # service minimum # grève # transport public # réquisition

En l’absence de droit de réquisition des agents, la loi de 2007 est insuffisante pour assurer un vrai service minimum dans les transports publics français. Le droit de réquisition général du Préfet, réservé aux hypothèses graves, est impossible à mobiliser pour un conflit social traditionnel. Il faudrait prévoir un droit de réquisition spécifique au secteur des transports publics plus facile à mettre en œuvre ou conditionner la légalité de la grève à un vrai service minimum effectif pour les usagers. Une réglementation européenne pourrait également être envisagée.

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Pour répondre aux grèves à répétition, la France choisissait le 21 août 2007 de se doter d’une loi sur le service minimum dans les transports publics. A la croisée de deux principes de valeur constitutionnelle, le droit de grève et la continuité du service public, le sujet est délicat. Le 5 juillet 2008, le Président Sarkozy allait jusqu’à déclarer « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ! » [1]. Plus de quinze ans après, force est de constater que ce service minimum promis dans les transports publics ne fonctionne pas en France. Ce constat lucide permet de réfléchir à des solutions.

Il n’existe pas de textes européens sur le service minimum dans les transports publics. Chaque État membre est donc libre de se doter de ses propres règles. Le système mis en place par la France en 2007 est le suivant : alertée d’un mouvement de grève à venir, l’autorité organisatrice de transports (c’est-à-dire la puissance publique) définit des dessertes prioritaires (grands axes) avec un niveau minimal de service à assurer. Sur cette base, l’entreprise de transport (c’est-à-dire la SNCF, la RATP, etc.) doit négocier avec les syndicats un accord collectif de prévisibilité du service. Afin d’assurer la prévisibilité, la loi impose aux agents de déclarer leur intention de participer ou pas à la grève 48H avant [2].

Ces déclarations individuelles permettent à l’entreprise de transport de répartir les agents non-grévistes sur les dessertes prioritaires. C’est, en quelque sorte, une traduction juridique de l’adage « déshabiller Pierre pour habiller Paul » : les agents non-grévistes disponibles sont chargés d’assurer le service minimum sur les dessertes prioritaires.

Pourquoi ce système ne fonctionne-t-il pas ?

En 2007, le législateur n’a pas fait le choix de permettre la réquisition de personnels lors d’une grève. C’est pourtant la seule façon d’assurer un vrai service minimum dans les transports publics. Dans le cas d’un mouvement social de grande ampleur, très suivi par les agents, le service minimum est donc impossible à assurer en l’absence d’effectifs suffisants disponibles à repositionner.

En France, le Préfet dispose d’un droit de réquisition général de « toute personne nécessaire au fonctionnement d’un service dans l’hypothèse d’une atteinte grave à l’ordre public » (Article L2215-1 du Code général des collectivités territoriales), mais ce pouvoir n’est en pratique que très rarement mis en œuvre. Il existe dans les secteurs nucléaire et aérien, pour des raisons de souveraineté et de Défense nationale. Il a pu également être justifié récemment dans le cadre de la crise sanitaire et lors de la pénurie d’essence [3], mais ce droit général de réquisition serait difficile à manier lors d’un conflit social traditionnel : en l’état des textes applicables, seule une paralysie générale du pays, pendant une longue durée, pourrait justifier l’exercice du droit de réquisition général du Préfet pour le secteur des transports publics.

Alors, quelles solutions ?

Pour assurer un vrai service minimum dans les transports publics, il faudrait compléter la loi de 2007 en ajoutant un vrai droit de réquisition des agents par le Préfet, rapide à mobiliser. Ceci suppose une volonté politique en ce sens. Dans la mesure où ces réquisitions ne concerneraient pas tous les agents, mais seulement un petit contingent nécessaire pour assurer un service minimum, cette disposition pourrait passer le filtre du Conseil constitutionnel, qui sera sensible à la conciliation entre les deux principes de valeur constitutionnelle que sont le droit de grève et la continuité du service public.

A titre d’exemple, dans le secteur hospitalier, le service minimum garanti correspond aux effectifs du dimanche ou d’un jour férié. Cette disposition serait transposable au domaine des transports publics.

En Italie, la loi prévoit un vrai droit de réquisition des agents pour assurer le service minimum, avec des sanctions financières pour les agents qui tenteraient de s’y opposer [4].

Au Québec, un « conseil des services essentiels » est chargé d’assurer le service minimum, en procédant à des réquisitions si nécessaire [5].

La loi pourrait également faire dépendre la légalité de la grève, pour tous les agents, à l’effectivité d’un vrai service minimum pour les usagers.

Enfin, il serait pertinent de réfléchir à une réglementation européenne sur le sujet.

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Notes de l'article:

[1Déclaration du Président Sarkozy devant le Conseil national de l’UMP le 5 juillet 2008 https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/sarkozy-2008-desormais-quand-il-y-a-une-greve-personne-ne-s-en-apercoit

[2Article L1324-1 et suivants du Code des transports https://www.sisyphe-avocats.fr/item/129-service-minimum#LEGISCTA000023085530

[4Article 9 de la loi italienne du 12 juin 1990 portant dispositions relatives à l’exercice du droit de grève dans les services publics essentiels et à la sauvegarde des droits de la personne protégés par la constitution et instituant une commission de garantie de l’application de la loi http://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex4.detail?p_lang=fr&p_isn=9824

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