La préfecture de police de Paris : zone de non-droit (1ère partie : le cas de Monsieur D.).

Par Vivien Guillon, Avocat.

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Explorer : # titre de séjour # préfecture de police # illégalité administrative # parcours du combattant

Les juridictions administratives annulent systématiquement pour erreur de droit les refus d’enregistrement de demande de titre de séjour fondés sur l’absence de présentation d’un passeport ou de tout autre document d’identité.

Cette jurisprudence, qui ne fait que donner son plein effet à un texte réglementaire, se heurte à la résistance farouche de la préfecture de police de Paris, qui persiste à refuser d’enregistrer les demandes de titre de séjour des étrangers dépourvus de passeport, quand bien même les intéressés résident en France depuis plus de dix ans et justifient de leur identité par d’autres pièces.

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Solliciter la délivrance d’un titre de séjour relève aujourd’hui d’un véritable parcours du combattant.
 
Bien souvent, les étrangers désireux de déposer une telle demande se présentent à la préfecture dont ils relèvent dès 4 heures du matin. En effet, seuls les lève-tôt auront une chance d’être reçus. Les autres devront tenter leur chance un autre jour.
 
Une fois accueillis par le service compétent, les étrangers doivent alors faire face à un obstacle de taille : les instructions illégales des chefs de service.
 
À titre d’exemple, la préfecture de police de Paris refuse d’enregistrer les demandes de titre de séjour des étrangers qui ne sont pas en possession d’un passeport ou d’une attestation d’identité établie par les autorités de leur pays d’origine.
 
Or, aux termes de l’article R. 313-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « l’étranger qui, n’étant pas déjà admis à résider en France, sollicite la délivrance d’une carte de séjour temporaire présente à l’appui de sa demande : (…) 1° Les indications relatives à son état civil et, le cas échéant, à celui de son conjoint et de ses enfants à charge ».
 
En outre, selon une jurisprudence désormais bien établie « la présentation d’un passeport en cours de validité ne saurait être imposée à un étranger qui sollicite (…) l’octroi d’une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en qualité d’étranger malade, comme une condition pour la délivrance de cette carte  » (Conseil d’Etat, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 30 novembre 2011, n° 351584).
 
Ainsi, les préfectures, en conditionnant l’enregistrement des demandes de titre de séjour à la présentation d’un passeport, méconnaissent ces dispositions.
 
Mais les services de la sous-direction de l’administration des étrangers de la préfecture de police n’ont visiblement que faire des décisions de justice et continuent allègrement de conditionner l’enregistrement des demandes de titre de séjour à la présentation d’un passeport.
 
Ainsi, Monsieur D., ressortissant mauritanien entré en France en 2004, s’est d’abord vu refuser l’asile, puis a sollicité la délivrance de titres de séjour à plusieurs reprises. Malheureusement, il n’a obtenu que des récépissés de demande l’autorisant provisoirement à travailler, mais jamais de véritables titres de séjour.
 
Il est actuellement hébergé dans un foyer de l’association Emmaüs.
 
Depuis 2004, Monsieur D. a été présent de façon continue sur le sol français et dispose pour chaque année de présence d’innombrables pièces pour le démontrer : attestations d’hébergement, avis d’impôt sur le revenu, documents justifiant d’une affiliation à la sécurité sociale, récépissés de demande de titre de séjour, pièces médicales, cartes d’admission à l’aide médicale d’état, jugements, arrêts et attestations circonstanciées de ses amis français).
 
Seulement voilà : Monsieur D. n’a pas de passeport.
 
Le 5 novembre 2014, Monsieur D. s’est rendu en compagnie de son Conseil au centre de réception des étrangers du 17ème arrondissement de Paris afin de déposer une demande de titre de séjour.
 
Or, la personne du guichet, puis le directeur du centre lui-même, leur ont indiqué que la demande ne pouvait être enregistrée dès lors que M. D. n’avait pas de passeport.
 
Se sachant dans l’illégalité, ces deux agents ont tout fait pour qu’il n’y ait aucune trace du passage de Monsieur D. et de son avocat.
 
Le Conseil de Monsieur D. a insisté pour obtenir un document précisant que l’enregistrement de la demande de titre de séjour de Monsieur D. lui a été refusée faute de présentation d’un passeport.
 
Le Conseil de Monsieur D. a alors sorti son téléphone portable pour prendre une photographie du ticket d’attente distribué à Monsieur D. lors de son entrée dans les lieux (En effet, ces tickets d’attente sont systématiquement récupérés par les agents du service lorsque les étrangers quittent les lieux).

Mal lui en a pris. Le directeur du centre a appelé la police et a menacé l’avocat de Monsieur D. d’un dépôt de plainte.
 
Le directeur s’est toutefois ravisé lorsque le Conseil de Monsieur D. lui a fait remarquer qu’un dépôt de plainte serait une preuve incontestable du passage de Monsieur D dans son service.
 
On n’est jamais trop prudent.
 
En définitive, pour prouver qu’un refus d’enregistrement de la demande de Monsieur D. est bien intervenu le 5 novembre 2014, il aura fallu envoyer des courriers recommandés et déposer une main courante.
 
Par un jugement du 7 juin 2016, le Tribunal administratif de PARIS a annulé dans des termes particulièrement clairs la décision du 5 novembre 2014 et a enjoint au préfet de police d’enregistrer la demande de titre de séjour de Monsieur D. dans un délai d’un mois sous astreinte de 50 euros par jour de retard :
 
« 1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l’article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient » ;
 
2. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que l’administration prend une décision quand elle refuse d’admettre un étranger à déposer une demande de titre de séjour ;
 
3. Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier que M. D., ressortissant mauritanien (…) s’est présenté dans les services de la préfecture de police, assisté de son avocat, le 5 novembre 2014, afin de solliciter la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l’article L.313-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et qu’un refus verbal d’enregistrement de sa demande lui a été opposé au motif qu’il ne disposait pas d’un passeport ; que le requérant produit ainsi un formulaire de remarques et de suggestion mis à disposition par le centre de réception des étrangers de Paris 17ème attestant qu’il s’est rendu avec son avocat dans ce centre le 5 novembre 2014 afin de présenter une demande de titre de séjour dont l’enregistrement lui a été refusé au motif qu’il ne disposait pas d’un passeport ; qu’en outre, M. D. verse au dossier la copie de sa main courante déposée au commissariat du ressort du centre de réception des étrangers, le même jour, relatant les difficultés rencontrées pour déposer une demande de titre de séjour ; que le requérant produit, enfin, le courrier envoyé en recommandé, le même jour, au directeur du centre de réception des étrangers de Paris 17ème , dans lequel il indique que son conseil a photographié avec son téléphone portable le ticket d’attente délivré par les services de la préfecture et que le directeur a demandé à des policiers de s’assurer de la suppression de cette photographie et a menacé son conseil d’un signalement au bâtonnier ; que le préfet de police, qui n’a pas produit de mémoire en défense, ne conteste pas ces faits ; que, dans ces conditions, l’existence d’une décision refusant d’enregistrer la demande de titre de séjour de M. D. est établie ;
 
4. Considérant, d’autre part, que M. D. soutient que l’absence de présentation de passeport sur laquelle est fondé le refus au guichet d’enregistrer sa demande de titre de séjour n’est pas une condition qui peut lui être opposée ; qu’en effet, les dispositions prévues au 1° de l’article R. 313-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoient seulement que l’étranger qui présente une demande de titre de séjour doit fournir « les indications relatives à son état civil » sans exiger la production d’un passeport ; qu’au surplus, il ressort des pièces du dossier que le requérant, qui a présenté aux services de la préfecture une attestation d’identité établie par l’ambassade de Mauritanie comportant la photographie de l’intéressé, dont la durée de validité était certes expirée, ainsi que de nombreuses pièces, parmi lesquelles des récépissés de précédentes demandes de titre de séjour et des jugements et arrêts le concernant, doit être regardé comme ayant fourni « les indications relatives à son état civil » ;
 
5. Considérant, dès lors, que le préfet de police a commis une erreur de droit en refusant d’enregistrer la demande de délivrance de titre de séjour présentée par M. D. au seul motif qu’il ne produisait pas de passeport ;
 
6. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. D. est fondé à demander l’annulation de la décision de refus d’enregistrement de sa demande, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :
 
7. Considérant que le présent jugement, qui annule la décision refusant à M. D. d’enregistrer sa demande de titre de séjour, implique seulement, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, qu’il soit enjoint au préfet de police d’enregistrer cette demande de titre dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; qu’en revanche, il n’y a pas lieu d’enjoindre au préfet de police de saisir la commission du titre de séjour ;
 
Sur les conclusions relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
 
8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à verser la somme de 1 000 euros à M. D. en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
 ».
 
Toutefois, la sous-direction de l’administration des étrangers n’a pas cru devoir exécuter ce jugement.
 
Ainsi, Monsieur D. a été convoqué le 23 juin 2016 à 8 heures 30 au 9ème bureau de la préfecture de police de Paris, sur l’île de la Cité, en vue de déposer sa demande de titre de séjour, compte tenu de l’injonction prononcée par les juges.
 
Lors de ce rendez-vous, l’agent du guichet a exigé de Monsieur D. la présentation … d’un passeport !
 
Sans passeport, l’agent du guichet a refusé catégoriquement d’examiner le dossier de Monsieur D.
 
Monsieur D. a donc été contraint de saisir le juge des référés du Tribunal administratif de Paris.
 
Par une ordonnance du 1er juillet 2016, le juge des référés a rappelé au préfet de police que ses services étaient dans l’illégalité en exigeant de Monsieur D. la présentation d’un passeport ou même d’une attestation d’identité et a enjoint auxdits services de recevoir Monsieur D. et d’enregistrer sa demande dans un délai de huit jours :
 
« 2. Considérant qu’au cours de l’audience publique, le conseil du requérant a présenté un dossier de demande de titre de séjour de M. D. avec les pièces originales, dont les timbres fiscaux, et les copies ; qu’ainsi contrairement à ce que soutient le préfet de police pour sa défense, la demande de M. D. ne peut être regardée comme enregistrée, ni en cours d’enregistrement au sens des dispositions des articles R.311-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; que la présente requête dirigée contre le refus verbal d’enregistrement en date du 23 juin 2016 est recevable ;
 
Sur l’urgence :
 
(…)
 
4. Considérant que le refus réitéré, en dernier lieu le 23 juin 2016, du préfet de police d’enregistrer la demande de titre de séjour de M. D., et alors même que par un jugement du 7 juin 2016, le tribunal de céans a annulé la précédente décision en date du 5 novembre 2014 ayant le même objet, préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate au requérant qui ne peut ainsi obtenir l’instruction de sa demande et ce depuis 2014 ; que dans les conditions particulières de l’espèce, M. D. doit être regardé comme justifiant l’urgence de sa situation au sens de l’article
L. 521-1 du code de justice administrative ;
 
Sur les moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision :
 
5. Considérant qu’aux termes de l’article R. 313-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L’étranger qui, n’étant pas déjà admis à résider en France, sollicite la délivrance d’une carte de séjour temporaire présente à l’appui de sa demande : /1° Les indications relatives à son état civil et, le cas échéant, à celui de son conjoint et de ses enfants à charge.(...) » ; que contrairement à ce que soutient le préfet de police dans son mémoire en défense, les dispositions précitées impliquent seulement que le demandeur d’un titre de séjour donne des indications relatives à son état civil et ce par tous moyens y compris en présentant un document d’identité dont la date de validité est dépassée et dans la mesure où l’ensemble des éléments du dossier permettent d’apprécier l’identité du demandeur ; que dans ces conditions, le moyen tiré de l’erreur de droit commise par le préfet de police en refusant de recevoir le dossier de demande de titre de séjour du requérant est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision verbale refusant l’enregistrement de la demande de titre de séjour de M. D. ;
 
(…)
 
6. Considérant que la suspension des effets de l’exécution de la décision verbale ainsi ordonnée implique que le préfet de police reçoive et enregistre le dossier de demande de titre de séjour de M. D. dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, en attendant qu’il soit statué au fond sur la légalité de ladite décision et sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
 
(…)
 
7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. D. et non compris dans les dépens
 ».
 
Le 9ème bureau de la préfecture de police a de nouveau convoqué Monsieur D. dans ses locaux le 6 juillet 2016 à 8 heures 30.
 
Contre toute logique et de façon, pourrait-on dire, ahurissante, la personne du guichet lui a de nouveau demandé, avant toutes choses, de présenter un passeport.

Après un échange un peu vif avec l’avocat de Monsieur D., cette personne a finalement indiqué qu’elle allait examiner le dossier.
 
Après deux heures d’un examen qu’on espère attentif, l’agent a indiqué à Monsieur D. et à son Conseil qu’elle souhaitait conserver une copie des pièces.
 
Or, cet agent zélé a tout bonnement refusé de délivrer à Monsieur D. un quelconque récépissé de sa demande, alors que la délivrance d’un tel document est obligatoire en application de l’article R. 311-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
 
L’agent lui a simplement indiqué qu’il recevrait un courrier « dans plusieurs mois » et que, selon elle, ce courrier demanderait à Monsieur D. de compléter sa demande en présentant, je vous le donne en mille, un passeport.
 
Autant dire que la demande de titre de séjour de Monsieur D. n’est pas près d’être enregistrée.
 
Monsieur D. a donc de nouveau saisi la justice administrative.
 
Mais la justice comme le droit ne semblent pas avoir cours à la sous-direction de l’administration des étrangers de la préfecture de police de Paris, que l’on peut dès lors qualifier sans exagérer de zone de non-droit.

Monsieur D. a donc informé de sa situation le Défenseur des droits, le Bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, le Ministre de l’intérieur et le Président de la République.
 
Ces autorités seront-elles assez fortes pour faire plier la farouche sous-direction de l’administration des étrangers de la préfecture de police de Paris ? 
 
À ce jour, le suspense reste entier.

Vivien GUILLON
Avocat au Barreau de Paris
http://www.avocat-guillon.com

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