L’indemnisation des fonctionnaires victimes d’une éviction illégale.

Par Vivien Guillon, Avocat.

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Explorer : # indemnisation # fonctionnaires # Éviction illégale # préjudice

Le droit à indemnisation des agents illégalement évincés du service s’apprécie au regard des chances sérieuses qu’ils avaient de continuer à percevoir leur traitement et les primes non liées à l’exercice effectif du service, postérieurement à la décision d’éviction illégale.

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Dans un arrêt du 6 décembre 2013, le Conseil d’Etat a rappelé les règles relatives à l’indemnisation à laquelle peut prétendre le fonctionnaire victime d’une décision illégale d’éviction (requête n° 365155).

A la suite de l’annulation, par le Tribunal administratif de Marseille, de la décision mettant fin à son détachement dans les services d’une commune, la fonctionnaire concernée a de nouveau saisi la justice, mais cette fois-ci pour obtenir la réparation du préjudice résultant de son éviction illégale.

Saisi par la commune d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat rappelle qu’ « un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ».

Il précise ensuite que donnent lieu à réparation « les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité ».

L’indemnité due au fonctionnaire est évaluée compte tenu de « la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions ».

Il faut donc apprécier le droit à indemnisation au regard des chances sérieuses qu’avait le fonctionnaire de continuer à percevoir son traitement et ses primes non liées à l’exercice effectif du service, postérieurement à la décision d’éviction illégale.

A cet égard, il convient de rappeler que l’indemnisation ne peut intervenir que si la mesure d’éviction a fait l’objet d’une annulation définitive sur le fond, c’est à dire en raison de son caractère injustifié.

En effet, si la mesure d’éviction n’a été annulée qu’à raison d’un vice de forme ou de procédure, elle ne peut donner lieu à indemnisation.

L’indemnisation est donc calculée, pour la période d’éviction illégale, sur la base des traitements et des primes non liées à un service effectif dont le fonctionnaire avait une chance sérieuse de bénéficier.

Entrent dans le calcul, notamment, les rémunérations suivantes, dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de compenser les contraintes liées à l’exercice effectif des fonctions :

-  l’indemnité de résidence ;

-  le supplément familial de traitement, s’il était dû à l’agent, compte tenu de la situation de son conjoint ;

-  l’indemnité d’exercice des missions de préfecture (IEMP) ;

-  l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS).

Sont en revanche exclues de la base de calcul de l’indemnité, en raison de leur lien avec l’exercice effectif des fonctions :

-  les avantages en nature de logement et de nourriture (Conseil d’Etat, 6 mars 1987, Sola : Rec. CE 1987, tables p. 806. – Conseil d’Etat, 13 janvier 1988, Cts Louchart : Rec. CE 1988, tables p. 864-880) ;

-  les primes de rendement, les primes d’éloignement, et les primes liées à des sujétions spéciales (Conseil d’Etat, 25 juin 1976, Gaillard, requête n° 94375).

Ensuite, il convient de déduire de la somme obtenue l’ensemble des revenus perçus par le fonctionnaire au cours de la période d’éviction illégale, qu’il s’agisse de revenus liés à l’exercice d’une autre activité professionnelle, ou encore des gains de toute nature tels que les aides publiques versées aux personnes sans emploi ou privées d’emploi (Conseil d’Etat, 23 janvier 1985, Cne Saint-Lin : Rec. CE 1985, tables p. 676).

En dehors de l’indemnisation qui vient d’être évoquée, l’administration a l’obligation de procéder à la reconstitution de la carrière telle qu’elle se serait déroulée depuis l’éviction illégale (Conseil d’Etat, 26 décembre 1925, Rodière : Rec. CE 1925, tables, p. 1065).

Ceci implique de rétablir rétroactivement le fonctionnaire dans ses droits à l’avancement au choix, déterminés en considération à la fois de la valeur propre de l’agent avant son éviction et de ses chances de promotion comparable à celle de ses collègues.

Enfin, l’éviction illégale oblige l’administration à rétablir l’intéressé dans ses droits à pension en le ré-affiliant de manière rétroactive auprès des services concernés (Conseil d’Etat, 25 février 1998, Commune de Brives-Charensac et Arnaud., requêtes n° 158661 et 158662 – Conseil d’Etat, 13 avril 2005, n° 250646).

Vivien GUILLON
Avocat au Barreau de Paris
http://www.avocat-guillon.com

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  • Bonjour Maître,

    Vous présentez cet arrêt comme une confirmation de la jurisprudence du CE, alors que plusieurs de vos confrères l’analysent comme un infléchissement important en faveur de l’intérêt des agents.
    Vos confrères relèvent en effet que dans cet arrêt le CE formule (je cite) : "(...) pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions."
    Nous semblons donc bien nous éloigner du principe d’indemnisation des seules indemnités liées stricto sensu à l’exercice effectif des fonctions.
    Et les indemnités d’espèce, à savoir l’indemnité d’exercice des missions de préfecture et l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (toutes deux remplacées depuis lors par la pfr, ce qui est intéressant d’ailleurs...), le confirment à mon avis, car il me paraît évident que leur versement est subordonné à l’exercice effectif des fonctions. Cette évolution jurisprudentielle conduirait à ne plus exclure que des indemnités comme les indemnités horaires pour travaux supplémentaires ou les indemnités destinées à compenser des astreintes, et encore.

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