Le patient après consultation repart le plus souvent de l’hôpital ou de la clinique avec une prescription médicale. Cet acte qui consiste à prescrire un traitement sur un document appelé ordonnance est purement médical. Le médecin par ce geste indique la voie à suivre pour atteindre la guérison. La prescription étant un acte médical, elle a donc la même importance que l’acte de soin ou l’acte chirurgical qui l’un comme l’autre engage la responsabilité du soignant en cas de faute ou d’erreur.
En Côte d’Ivoire, l’article 8 du Code de déontologie médicale de 1960 assure une totale liberté de prescription au médecin sauf dans le cas où l’observation de ce principe est incompatible avec une prescription législative ou réglementaire. Le pays n’étant pas vraiment outillé en matière législative et réglementaire dans ce domaine, nous pouvons donc affirmer que cet article 8 est un pouvoir dans limite donné au médecin dans l’accomplissement de sa mission.
Le médecin, avant la prescription d’un traitement doit comme le précise l’article 28 du Code de déontologie : « toujours élaborer son diagnostic avec la plus grande attention sans compter avec le temps que lui coûte ce travail, et s’il y’a lieu en s’aidant ou se faisant aider dans toute la mesure du possible, des conseils les plus éclairés et des méthodes scientifiques les plus appropriées… ».
Dans ce contexte, doit-on laisser le médecin tout seul, libre, face à sa prescription quand on sait que la prescription procède du diagnostic établi et que pour obtenir un bon diagnostic on lui demande de s’aider ou de se faire aider des conseils éclairés de ses confrères ? Bien évidemment, nous déduirons de ce qui précède qu’un diagnostic erroné entrainera forcément une mauvaise prescription donc un traitement inefficace et peut être même dangereux pour la vie du patient.
Le problème de la prescription médicale sans lien direct avec le mal dont souffre le patient devient de plus en plus récurrent en Côte d’Ivoire. Il n’est pas rare de rencontrer des personnes hospitalisées, (ou décédées) tout simplement parce que la prescription médicale qui leur a été fournie était en inadéquation avec leur maladie.
Lors de l’établissement de son diagnostic, le médecin ne doit-il pas prendre toutes les dispositions afin d’arriver au meilleur résultat ? Découvrir avec exactitude le mal dont souffre son patient ?
Le patient qui se rend à l’hôpital ou dans une clinique devra répondre à certaines questions sur son état de santé, n’étant pas médecin et ne maitrisant pas les termes et techniques de l’univers médical pourra-t-il avec précision faire connaitre et comprendre son mal à son médecin ?
Le patient qui se plaint de fortes douleurs à l’épaule et à qui le médecin demande s’il a déjà été sujet à un ulcère d’estomac parce qu’il prévoit de lui prescrire un anti-inflammatoire pouvant être dangereux en cas d’ulcère (perforation de l’estomac) et qui répond non alors qu’il a un début d’ulcère doit-il être l’unique responsable de son malheur ?
Le médecin, dans ce cas devrait avant toute prescription d’un tel médicament prendre toutes les dispositions nécessaires afin de s’assurer que son patient de souffre pas d’un mal pouvant contrarier son traitement. Il est vrai que souvent, pour des raisons financières, les médecins hésitent à recommander aux patients certains examens avant de leur prescrire des traitements. Afin de dissiper le doute et d’éviter de prendre des risques inutiles, nous pensons que comme le signifie l’article 27 du Code de déontologie : « le médecin dès qu’il est appelé à donner des soins à un malade et qu’il a accepté de remplir cette mission, s’oblige : à lui assurer aussitôt tous les soins médicaux en son pouvoir et désirables en la circonstance. Personnellement ou avec l’aide de tiers qualifiés… ».
L’ordonnance prescrivant un traitement rédigée de façon laxiste engagera non seulement la responsabilité de son auteur, c’est-à-dire le médecin mais aussi sous certaines conditions celle de celui qui au bout du processus délivre ledit traitement : le pharmacien.
Le pharmacien ne pouvant en aucun cas prescrire de son propre chef un traitement à un patient est tout de même soumis à des obligations de prudence et de diligence comme le font remarquer les articles 4 : « le pharmacien est au service du public. Il doit faire preuve du même dévouement envers tous les malades » et 11 : « L’exercice de la pharmacie consiste pour le pharmacien à préparer et à délivrer lui-même des médicaments ou à surveiller attentivement l’exécution de tous les actes pharmaceutiques qu’il n’accomplit pas lui-même » du Code de déontologie pharmaceutique de Côte d’Ivoire de 1962. Le pharmacien précisons-le a en matière de prescription médicale un rôle de contrôleur.
Avant de délivrer un médicament, il doit effectuer un certain nombre de vérifications et ne pas se fier aveuglement aux prescriptions du médecin qui lui est pourtant libre de ses prescriptions. En cas de doute ou d’erreur, le pharmacien doit avertir le prescripteur. Celui-ci peut alors soit modifier sa prescription, soit la maintenir. Dans ce cas, le pharmacien peut alors refuser d’exécuter l’ordonnance s’il estime nécessaire pour la sécurité du patient. Il devra ensuite expliquer au patient les modalités du traitement, les précautions à prendre et éventuellement, les effets indésirables. A défaut, sa responsabilité pourra être engagée.
Le pharmacien, à moins que le traitement proposé par le médecin soit de manière flagrante inadapté à la maladie ne pourra pas faire grande chose puisqu’il n’a pas la capacité qu’a le médecin de rechercher et poser un diagnostic clair. Alors pourquoi en dehors d’une faute personnelle (erreur dans la délivrance du médicament par exemple) veut on lui faire payer celle d’un autre ? En effet, la loi l’oblige à contrôler techniquement la prescription et c’est à lui d’en déceler l’imperfection. Le pharmacien devient ainsi « co-responsable » du médecin en cas de défaillance dans un traitement dont il n’est pas l’auteur mais où il a manqué de vigilance dans son rôle de « vérificateur » du travail d’un professionnel formé exclusivement pour bien accomplir sa mission.
Dans le même temps, l’article 594 de la loi N° 54-418 du 15 avril 1954 relative aux dispositions du Code de la santé publique applicables à la pharmacie autorise les médecins à délivrer à leurs patients des médicaments inscrits sur une liste établie par le ministère de la santé après autorisation du préfet dans les agglomérations où il n’y a pas de pharmacien ayant une officine ouverte au public. Le médecin ici joue le rôle du pharmacien et est soumis selon l’article 595 de la même loi à « toutes les obligations résultant pour les pharmaciens des lois et règlements ». Chacun des acteurs pouvant accomplir d’une certaine façon le travail de l’autre, la prescription devant être un outil de communication entre les différents acteurs de la « chaine de soins » que sont les médecins, les pharmaciens, les infirmiers et les patients, il est donc souhaitable que les pharmaciens soient eux aussi autorisés à prescrire aux patients sous certaines conditions et dans certaines situations une catégorie bien définie de médicaments au lieu de les cantonner à un simple rôle de conseiller responsable de l’erreur ou de la faute des autres. D’autant plus que le Code de déontologie médicale ne prévoit aucune sanction lorsqu’il est avéré que le médecin s’est totalement trompé dans sa prescription. Nous pensons qu’il est injuste de ne pratiquement rien reprocher à celui qui a prescrit un médicament parce qu’on juge qu’il est libre selon la loi de prescrire le traitement qu’il veut et d’un autre côté de chercher à établir la culpabilité de celui qui n’a rien à voir avec la prescription mais qui a peut être été peu vigilant au moment de la délivrance du traitement.
Il s’agit ici de situer les responsabilités, le pharmacien est un professionnel tout comme le médecin. Chacun à son niveau a reçu une formation pour bien faire son travail, il est tout a fait normal qu’ils soient tous les deux reconnus responsables en cas de problème. Mais le médecin plus que le pharmacien doit être mis au banc des accusés parce que c’est lui qui se trouve à l’origine de l’acte défaillant et étant libre de prescrire son traitement il ne peut pas se soustraire de sa responsabilité en invoquant qu’il comptait sur la vigilance du pharmacien qui lui n’est pas médecin. Il maitrise l’univers médicamenteux mais n’est pas médecin pour tout de suite contrarier le diagnostic établi par un médecin, même si dans certains cas plus ou moins simples, son rôle de contrôleur doit lui permettre déceler l’erreur du médecin.