Renversement de la présomption de compétence
Autrefois, le client entrant dans un cabinet, était crédité d’ « une présomption d’incompétence » et le juriste d’une « présomption de compétence ». Or, aujourd’hui, pour reprendre Michel Serres, « il y’a renversement de la présomption de compétence ». L’avocat, l’huissier de justice, le jurisconsulte, le conseil en PI, le notaire et dans une moindre mesure l’expert-comptable qui reçoit un client de nos jours dans son office, ne reçoit plus un homme crédule qui l’écoutera religieusement, mais aura à faire à un client sachant, « homo numericus » par excellence, qui avant d’arriver, aurait auparavant effectué des recherches en ligne et parcouru avec assiduité des moteurs de recherche et des forums spécialisés pour s’informer non seulement sur la personne du professionnel, mais aussi sur son cas. Au cours de la consultation, il s’essayera à un difficile exercice d’évaluation de l’homme de l’art. Il scrutera ses moindres propos, comparera son diagnostic avec les informations glanées par cyber bouche à oreille sur un site internet quelconque. C’est l’enjeu actuel des professions libérales.
Riposte graduée des professionnels
Fort heureusement pour ce qui est de la France, de nombreux professionnels ont relevé le défi numérique lié à l’exercice de leur profession. D’abord en changeant leur approche clientèle et en soignant leur identité numérique. Ensuite, en modifiant leur environnement de travail avec le lancement des outils numériques de travail tel le réseau privé sécurisé des huissiers de justice (RPSH) avec son service en ligne Securact « qui permet la signification des actes par le biais d’une signature qualifiée et d’un archivage électronique à valeur probant », et les réseaux privés virtuels pour avocat (RPVA), notaire (REAL) et magistrat (RPVJ). Par contre, dans de nombreux pays du sud, notamment le Cameroun, même si certains professionnels sont présents sur la toile mondiale, des efforts sont encore à faire quant à l’actualisation des sites internet en particuliers et la dématérialisation du système judiciaire en général. La grande innovation dans ce domaine outre atlantique, a été l’éclosion et le développement des cabinets virtuels tenus par des professionnels réglementés et réputés, avec le double objectif de réduire les coûts généraux et d’améliorer la productivité professionnelle.
Mais il faut tout de même constater que sur internet, le périmètre d’activités juridiques et fiscales règlementées jadis réservé, est aujourd’hui empiété par des charlatans, véritables « braconniers du droit ».
Intrusion des braconniers du droit et du chiffre 2.0
Le monopole de compétence autrefois réservé exclusivement aux professionnels de services de conseils est aujourd’hui révolu et partagé avec des sites internet « spécialisés » dans différents domaines du droit et fiscalité dont la fiabilité est douteuse. Dénoncé par Me Castelain dans les echos.fr, « les avocats sont assaillis par des faux avocats » , charlatans du droit qui offrent selon les cas, un coaching juridique et judiciaire online à ceux qui en font la demande en leur détaillant les « enjeux, les détours des textes de loi et ce qu’il faudra dire au juge, afin que le client puisse assurer sa propre défense ». Les huissiers de justice quant à eux se protègent autant qu’ils le peuvent contre des sites internet proposant des prestations juridiques trompeuses telles que le « recouvrement de créances, la réalisation de constats, l’envoi de mises en demeure, le dépôt de règlement de jeux… ». Quant aux notaires, ils ne sont plus les seuls officiers ministériels post-mortem, ni encore moins les seuls garants de la confidentialité. Ils doivent désormais composer avec des sites internet qui organisent des transmissions successorales en ligne. Mentionner le nom du bénéficiaire d’une assurance-vie, sécuriser ses informations importantes, changer son testament et ses héritiers en « toute discrétion » se fait désormais sous un seul clic.
Les experts-comptables ne sont pas en reste, tant des sites de faux experts comptables, « braconniers du chiffre », ont pignon sur web et sont hélas responsables de nombreuses erreurs rendant leurs « clients » complices de délits pénaux et financiers. Il n’est point besoin de souligner les risques auxquels on s’expose en ayant recours à ces nombreux charlatans numériques. Ils ne peuvent pas, comme le rappelle Me Castelain, « garantir la déontologie, le secret professionnel et l’assurance civile professionnelle, qui prévoit l’indemnisation du client en cas de faute ». Malgré cette mise en garde, le numérique continu d’édicter sa loi.
Numericus contra legem ?
N’étant pas toujours au fait de toutes les activités qu’ont leurs clients sur Internet, les professionnels devraient offrir de nouveaux services de gestion d’identité numérique afin d’aider les clients d’une part, à la préparation de leur mort numérique et d’autre part, à la compréhension des différentes conventions générales de vente et/ou d’utilisation (CGV/CGU) qui les engagent sur des sites marchands. Si des solutions existent pour « fermer » un compte Google, Twitter, Yahoo ou Facebook d’un proche décédé, on n’a pas forcément connaissance de la procédure. C’est pour cette raison que de nouveaux services doivent impérativement voir le jour.
Le plus souvent, le consommateur d’attention moyenne ne lit pas toujours les CGV et CGU avant le dernier clic de confirmation des achats en ligne. Or, les pratiques et dispositions contractuelles numériques sont particulières et peuvent-être contraires aux usages courants. Pour exemple, dans les CGV d’une célèbre plateforme numérique de vente de contenus en ligne, il y’ a « Absence de transmission en cas de décès ». Malgré l’acquisition des contenus, l’acquéreur reste possesseur et non propriétaire. Cette plateforme « dès réception d’une copie d’un certificat de décès », se réserve le droit de « résilier votre Compte et l’intégralité du Contenu de votre Compte pourra être supprimée ».
Certes comme on le voit, la révolution numérique emporte avec elle son lot d’aléas mais, elle reste une opportunité incommensurable pour les professions libérales qui devront effectuer, si ce n’est pas encore fait, une reconversion web 2.0 afin de s’ajuster à leur nouvel environnement et fournir des réponses concrètes et adaptées aux nombreuses sollicitations qui iront croissantes, car rien n’inversera l’innovation numérique.