Le projet de loi du divorce par acte d’avocats est-il conforme à l’UE et permettra-t- il d’alléger les juges aux affaires familiales ?

Par Dominique Summa, Avocat.

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Explorer : # divorce par consentement mutuel # rôle des notaires # médiation familiale # engorgement des tribunaux

Le projet de loi sur le divorce par acte d’avocats enregistré par le notaire n’est ni conforme à la procédure des pays de l’Union Européenne ni la solution pour pallier le manque de juges.

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Le projet de loi sur la Justice du 21ème siècle propose un divorce par consentement mutuel passé par actes d’avocats, enregistré par les notaires, officiers ministériels ayant compétence pour authentifier avec force exécutoire les actes sous-seing privés.
Les notaires ayant déjà vocation pour enregistrer les actes d’état civil comme les adoptions, les pacs, recueillir les testaments, outre leur compétence exclusive en matière immobilière.

Hommes (et femmes) de lois de la famille, la réforme du divorce par consentement mutuel passe pratiquement par les notaires qui règlent les liquidations matrimoniales en raison notamment des biens immobiliers à partager et qui règlent les droits y afférents.
Cette profession, historique en droit français et européen, a suscité des critiques ayant prôné à sa disparition, critiques désormais oubliées. La réforme attribue un rôle essentiel au notaire qui devrait remplacer le juge en apposant la formule exécutoire des conventions.

Sauf que le notaire n’aura qu’une mission d’authentification et ne sera pas juge de l’équité des conventions ni contrôleur de la liberté du consentement des époux dans leur désir de divorcer et d’accepter les clauses du divorce tant sur le plan familial (enfants) que patrimonial (partage des biens, prestation compensatoire). Singulièrement, le tollé fait à ce projet vient des avocats.

1- Le tollé des avocats est-il justifié ?

On peut s’étonner de la méfiance des avocats à l’égard d’eux-mêmes et de leur honnêteté. La profession est, en effet, soumise à des règles de probité, d’honneur et de transparence. Défenseurs de la veuve et de l’orphelin, désireux de s’engager dans la justice déjudiciarisée, le droit processuel, l’acte d’avocats… Profession, en outre, assurée pour sa responsabilité civile professionnelle - comme les notaires. Ce qui est une garantie pour les époux qui ne l’ont pas à l’égard des juges.

La présence d’un avocat pour chaque époux permet de considérer que les protagonistes seront bien conseillés. Dans tout divorce même consensuel, il y a toujours un époux initiateur de la procédure et un autre qui suit mais cela n’empêche pas qu’au final, le divorce amiable sans conflit soit désiré par les deux et qu’un accord se fasse sur des bases équitables.

Les avocats pratiquant le droit de la famille sont rompus aux conventions matrimoniales, dont les principes et la jurisprudence sont établis depuis la dernière grande réforme appliquée en 2005.

L’incertitude sur la prestation compensatoire demeure en absence d’un logarithme qui
calcule son montant. Les situations sont complexes et particulières à l’histoire de chaque couple qui dispose d’un patrimoine commun ou même séparé quand un époux a sacrifié sa vie professionnelle au profit de son conjoint.

La procédure ne s’appliquerait pas en présence d’enfants demandant à être entendus par le juge - ce qui suppose la charge de les informer de leurs droits par les parents.

La réforme ne dit rien sur la médiation familiale qui aurait pourtant son rôle à jouer surtout dans une procédure sans juge.

Alors pourquoi ne pas tenter ce procédé particulier ?

2- Le divorce par consentement mutuel dans les autres pays membres de l’Union européenne : avec ou sans juge ?

Dans une étude : « Le divorce en Europe » publiée par l’Assemblée nationale en juillet 2014 , l’intervention du juge était requise dans tous les cas de procédure :
« L’intervention judiciaire est presque partout nécessaire pour que le divorce soit prononcé. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont eu des velléités de la faire précéder de tentatives de médiation, mais cet effort n’a pas abouti. Seuls les Pays-Bas connaissent le divorce-éclair, qui transforme le mariage en partenariat enregistré, union civile qui peut être ensuite rompue de manière beaucoup plus informelle que le mariage. En Italie, l’intervention judiciaire est déjà nécessaire pour faire homologuer la séparation. Cette exigence supplémentaire fait que 40 % des couples séparés s’arrêtent à ce stade de la procédure. L’intervention obligatoire des magistrats dès le stade de la séparation empêche ainsi la multiplication des divorces formels.
De manière générale, la nécessité de passer devant les tribunaux paraît ainsi freiner significativement les conjoints désireux de divorcer. »

Même la Suède, pays très libéral, soumet à un tribunal la procédure de divorce :
« La réforme du code du mariage de 1973 consacre le principe qu’un époux souhaitant divorcer doit pouvoir le faire, sans qu’il soit nécessaire d’examiner s’il existe des fautes éventuelles (et à qui elles sont imputables) ou si la rupture entre époux est relativement profonde. En outre, la procédure d’annulation du mariage a été supprimée lors de cette réforme.
La procédure est écrite et ne nécessite pas la comparution physique des époux devant une autorité judiciaire. Le juge enregistre la volonté des parties sans avoir la faculté d’intervenir ni en vue de faciliter une réconciliation, ni dans les conventions passées entre ex-époux (sauf en matière de garde d’enfants). La Suède n’a toutefois pas choisi de confier à une administration la gestion des procédures de divorce, mais les confie aux Tingsrätt (tribunaux comparables aux tribunaux d’instance français), respectant en cela un certain parallélisme des formes puisque les magistrats du Tingsrätt sont habilités à célébrer les mariages.
Enfin, la loi sur l’enregistrement des unions homosexuelles de 1995 (différente de la loi sur le concubinage homosexuel de 1988) prévoit une procédure de fin de l’enregistrement de l’union homosexuelle rigoureusement semblable à la procédure de divorce. »

Face à cette unanimité, il ne semble pas possible de créer une procédure sans passer par le juge sous peine de voir déclarer nulle pour atteinte à la Convention des droits de l’homme.
Le divorce est un acte important dans la vie civile et concerne la famille. Il reste un acte juridictionnel. Le juge reste le garant du contrôle de la validité d’une procédure même consensuelle.

3- Le divorce par consentement mutuel est-il la cause d’un engorgement des juges ?

Selon un article sur le journal La Croix du 6 mai 2016, il y aurait 70.000 cas annuels de divorces par consentement mutuel.
Les statistiques publiées sur le site du ministère de la Justice datent de 2014 : « 124 611 divorces ont été prononcés en 2014 En baisse d’environ 8% par rapport à 2010. Plus de la moitié des divorces en 2014 sont des divorces par consentement mutuel. Ce sont des procédures courtes surtout depuis la réforme de 2004 ».

Ainsi, force est de constater que le divorce par consentement mutuel, procédure courte, examinée rapidement, n’est pas la cause de l’engorgement des tribunaux dû au manque de juges face à une multiplication de recours et de situations familiales hors mariages.

Les affaires familiales traitent de toutes sortes de procédures dont l’exercice de la coparentalité et les mesures financières, ouvrant droit à des auditions d’enfants mineurs. Le divorce comme le mariage diminuent, la coparentalité augmente.
Autres temps autres mœurs.

Mais pour ces situations, le juge reste le garant de la famille dans sa complexité.
Et heureusement.

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