La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Loi Sapin II » est venue poser un cadre général au statut de lanceur d’alerte en droit français.
L’article 6 de la loi « Sapin II » définit le lanceur d’alerte comme une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Dans cette affaire, un consultant employé par la société EURODECISION, en mission auprès du Technocentre Renault de Guyancourt, avait pris l’initiative de convier les syndicats du site à la « nuit rouge » organisée par le journal Fakir dans le prolongement d’une manifestation contre la loi Travail. Son employeur, informé de cet envoi, convie alors le salarié à un entretien informel, suivi d’un entretien préalable à l’issue duquel un avertissement lui sera infligé.
Par la suite, le journal Fakir, dont le consultant est bénévole, a diffusé son enregistrement de l’entretien « informel » avec son directeur. Ce dernier y affirme notamment que les mails des syndicalistes du site de Renault sont surveillés, et qu’il n’est pas « censé, en tant qu’intervenant chez Renault […] discuter avec les syndicats Renault », qui sont « là pour les salariés de Renault ». Dans la foulée de la publication de cet enregistrement, le consultant est convoqué à un nouvel entretien préalable et licencié pour faute grave, l’employeur lui reprochant « un manquement grave à ses obligations de loyauté et de bonne foi ».
Le salarié, qui estime que son licenciement est intervenu en violation de la protection des lanceurs d’alerte prévue par la loi, saisit la justice pour faire juger son licenciement comme nul. Il conteste en outre l’interdiction qui lui était faite de communiquer avec les syndicats de l’entreprise d’accueil, en faisant valoir qu’il fait partie de la communauté de travail du Technocentre.
Saisie du litige, la cour d’appel de Versailles retient en premier lieu que l’interdiction faite au salarié, membre de la communauté de travail, de communiquer avec les syndicats de l’entreprise d’accueil constitue une atteinte à la liberté syndicale, « qui dérive du droit fondamental à la liberté d’expression ». Elle relève que les mails litigieux, envoyés à deux syndicalistes, avaient un « lien direct » avec les droits des salariés étant donné « l’objet de la manifestation » contre la loi Travail, et ne « mettaient pas en cause la société Renault ».
La cour d’appel observe que « la révélation des faits d’atteinte à la liberté d’expression dans le cadre d’échanges avec un syndicat est intervenue par la voie de médias par internet, lors de la diffusion de l’enregistrement litigieux ». Le salarié « avait personnellement et préalablement constaté que son employeur remettait en cause plus généralement son droit à la libre communication avec les syndicats de la société Renault, au vu des propos tenus par le dirigeant de la société Eurodécision lors de l’entretien informel » et « de la procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire » débouchant sur un avertissement puis son licenciement pour faute grave. Selon la cour d’appel, le salarié est dès lors recevable à invoquer le statut du lanceur d’alerte. Elle précise sur ce point que si le salarié « a laissé diffuser l’enregistrement », c’est « en raison de sa crainte de faire l’objet de manière injustifiée d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement », justifiée par sa convocation à un entretien préalable. (Cour d’appel de Versailles, 27 février 2018, n° 16/04357).