Le statut du lanceur d'alerte. Par Yann Le Targat, Avocat.

Le statut du lanceur d’alerte.

Par Yann Le Targat, Avocat.

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Explorer : # lanceur d'alerte # protection juridique # droit européen # responsabilité civile et pénale

Ce que vous allez lire ici :

Le statut légal du lanceur d'alerte en France a été établi par la loi Sapin en 2016, renforcé par la loi Waserman en 2022. Cette législation protège les lanceurs d'alerte contre les représailles et permet de signaler des infractions via des canaux internes, externes ou publics sous certaines conditions.
Description rédigée par l'IA du Village

Inventée dans les années 90 par deux sociologues français, la notion de « lanceur d’alerte » existe néanmoins depuis longtemps. Des sycophantes de la Grèce antique à la loi Qui Tam [1], apparue au 15ᵉ siècle en Angleterre, en passant par le « whistleblower » [2], dont l’origine se situe aux alentours de la guerre de Sécession, tout cela démontre que ce personnage, qui ne nous est pas familier au moins en France, trouve une raison d’être.

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C’est en 2016 avec la loi Sapin [3] que le statut légal, désormais conféré au « lanceur d’alerte », est entré dans le droit français.

Pourtant très protecteur, ce statut souffrait cependant d’une faiblesse majeure et très française, l’exigence de la pureté absolue des intentions du « lanceur d’alerte ». En aucun cas, il ne pouvait être question d’une « contrepartie financière », quelle qu’elle soit, à l’occasion d’une telle démarche.

En clair, pour obtenir la cessation du ou des comportements délictueux révélés, le « lanceur d’alerte » devait prendre le risque de perdre son travail, ses collègues, son patrimoine, de subir des procédures judiciaires sans limitation de la part des mis en cause, tout cela ne pouvant être accepté que pour la « beauté du geste ».

L’autre faiblesse importante provenait de la procédure de signalement elle-même difficile à mettre en œuvre, décourageant voire dissuadant bon nombre de candidats potentiels.

Les candidats à l’exercice n’ont pas été plus nombreux avant qu’après l’entrée en vigueur de la loi Sapin.

Au constat de cette situation et des régimes épars existant dans l’Union européenne relatifs à ce statut, le 23 octobre 2019, une directive n°2019/1937 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne a été adoptée par le Conseil et le Parlement européen, en vue d’unifier ce régime et de le rendre plus protecteur.

Cette directive a été transposée en droit français par la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 [4], complétée par le décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022, entrée en vigueur au 1er septembre 2022.

Cette transposition de la directive vise toutes les alertes, professionnelles ou non, dans tous les domaines.

Ce sont ces textes [5] qui fondent désormais le statut légal du « lanceur d’alerte ».

L’obtention du statut de lanceur d’alerte.

À l’instar de l’auteur qui bénéficie d’une protection de son œuvre par la création de celle-ci, le « lanceur d’alerte » bénéficie du statut et/ou peut revendiquer celui-ci par le simple effet de son signalement ou de sa divulgation, sous la condition d’être une personne physique et d’agir de bonne foi [6], d’une part.

D’autre part, que les informations [7] qu’il choisit de révéler ou signaler portent sur « un crime, un délit », « une menace ou un préjudice pour l’intérêt général » [8], « une violation ou une tentative de violation de la loi ou du règlements » [9] outre différents textes internationaux.

Une contrainte « lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles » du « lanceur d’alerte », celui-ci doit en avoir eu « personnellement connaissance ».

Une interdiction [10] quand le « lanceur d’alerte » exerce une activité dans un secteur dans lequel il existe un secret juridiquement protégé [11], le régime est inapplicable.

Aucune autre condition n’est exigée.

Ce statut est même étendu [12] au bénéfice de trois (3) catégories supplémentaires de personnes sous les mêmes conditions que celles qui précèdent :

  • Facilitateurs, entendus comme toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte ;
  • Personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte qui risquent de faire l’objet de mesures de représailles dans le cadre de leurs activités professionnelles ;
  • Entités juridiques [13] contrôlées par un lanceur d’alerte pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel.

Il s’agit d’une extension du bénéfice du statut, particulièrement bienvenue, au profit de tous les tiers qui gravitent autour d’un « lanceur d’alerte » dont la mise en cause, sous toutes les modalités imaginables, pourrait entraîner la renonciation à la révélation ou la divulgation envisagée, faute de permettre une protection efficace.

Les effets du statut.

L’effet du bénéfice de ce statut peut être décrit de façon assez simple, il entraîne une irresponsabilité civile [14] et pénale [15] du « lanceur d’alerte ».

Sur le plan pénal, cette irresponsabilité vise également [16] la soustraction, le détournement ou le recel des documents ou tout autre support contenant les informations dont le « lanceur d’alerte » a eu connaissance de manière licite, qu’il signale ou divulgue. Cette irresponsabilité bénéficie également au complice [17] desdites infractions.

Sur le plan civil, le « lanceur d’alerte » n’est pas « civilement responsable des dommages causés du fait de son signalement ou de sa divulgation publique dès lors qu’il avait des motifs raisonnables de croire, lorsqu’il y a procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ». [18]

À notre connaissance, la notion de « motifs raisonnables » n’a pas encore été débattue ni tranchée par la jurisprudence, à ce jour, et il s’agit d’un point d’attention qui devra être anticipé et analysé de telle sorte que si une contestation devait naître sur ce point, les éléments de réponse permettent de l’écarter.

Au-delà de cette irresponsabilité civile et pénale, il est également interdit de mettre en œuvre à l’encontre, d’un « lanceur d’alerte » - qu’il appartienne au secteur privé, à la fonction publique [19] de même qu’au secteur militaire - des mesures de représailles, des menaces ou des tentatives d’y recourir.

Afin d’éviter toutes difficultés quant à la qualification des mesures de représailles qui pourraient être mises en œuvre, le texte [20] a fixé une liste en comprenant quinze (15) permettant de couvrir l’intégralité de la palette envisageable dans la sphère professionnelle au sens le plus large. [21]

Si un doute pouvait subsister encore, le texte ajoute que tout acte ou décision pris en méconnaissance des interdictions édictées est « nul de plein droit ».

Enfin, si d’aucun pensait pouvoir contourner les règles qui viennent d’être décrites, le texte, afin de pallier toute tentative de cette nature, prévoit [22] que :
« Les droits relatifs au présent chapitre ne peuvent faire l’objet d’aucune renonciation ni limitation de droit ou de fait d’aucune forme.
Toute stipulation ou tout acte pris en méconnaissance du premier alinéa est nul de plein droit. »

On ne saurait être plus clair.

Les modalites de signalement ou de divulgation des informations.

Dès lors qu’un « lanceur d’alerte » envisage d’agir, il s’offre à lui trois (3) canaux [23] pour cette divulgation dont les modalités sont précisément définies [24]. Le respect de ces procédures est évidemment une des conditions nécessaires afin de bénéficier de la protection offerte par le statut.

Il y a (1) le signalement interne, (2) le signalement externe, (3) la divulgation publique ; l’utilisation de ces 3 canaux pouvant s’effectuer de façon anonyme.

Le signalement interne.

Le signalement interne est ouvert non seulement aux membres du personnel, mais également aux actionnaires, aux collaborateurs extérieurs et occasionnels, ainsi qu’aux cocontractants de l’entité concernée.

Il n’est donc interne que par le canal utilisé pour y procéder.
Il présuppose (i) qu’il existe une procédure interne de signalement [25] dans l’entité concernée et que (ii) le « lanceur d’alerte » estime « qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie et qu’il ne s’expose pas à un risque de représailles ».

Le message est assez clair.

Désormais, toute alerte pouvant avoir des effets très importants notamment sur le plan réputationnel, il appartient aux entreprises privées, aux collectivités locales et territoriales, aux administrations de l’état de mettre en place en leur sein des procédures internes de signalement et de communiquer sur leur volonté véritable de traiter toute violation dont l’existence leur serait rapportée.

Ce n’est qu’à ce prix qu’elles auront la capacité de maitriser les conséquences d’une révélation et/ou d’un signalement toujours préjudiciable sur le plan réputationnel mais pouvant surtout entraîner des conséquences graves pour leurs représentants légaux.

Le signalement externe

Dans le texte initial [26], le signalement externe ne pouvait s’effectuer que sous la condition qu’un signalement interne préalable soit effectué auprès du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, et qu’il ne donne lieu à aucune « diligence de la personne destinataire de l’alerte ».

Il s’agissait là d’un obstacle majeur.

Le régime qui découle de la loi Waserman n’impose plus de procéder préalablement à un signalement interne.

Le « lanceur d’alerte » dispose d’un choix entre les deux (2) canaux qu’il peut exercer librement.

S’il estime que seul un signalement externe [27] doit être effectué, il s’adresse alors directement soit à l’autorité compétente [28], soit au Défenseur des droits, soit à l’autorité judiciaire.

La divulgation publique

Un « lanceur d’alerte » peut procéder à une divulgation publique sous certaines conditions [29].

Il le peut, après avoir effectué un signalement externe [30], au constat « qu’aucune mesure appropriée ait été prise en réponse à ce signalement à l’expiration du délai [31] du retour d’informations ».

Il le peut également en cas de « danger grave et imminent ».

Il le peut, ensuite, lorsque la saisine d’une autorité compétente « ferait encourir à son auteur un risque de représailles ou qu’elle ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation, en raison des circonstances particulières de l’affaire ».

Il le peut, enfin, « en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible ».

Le lanceur d’alerte face au tribunal.

Le lanceur d’alerte à l’initiative de la procédure.

En dépit des mesures particulièrement protectrices mises en place dans l’objectif d’assurer une protection maximale du « lanceur d’alerte », il ne peut être exclu que ce dernier fasse l’objet de mesures de représailles.
Le « lanceur d’alerte » a évidemment le droit de contester ces mesures et de saisir un tribunal compétent dans cet objectif.

La loi Waserman lui octroie alors un avantage qui est loin d’être négligeable, d’abord en posant le principe selon lequel toute mesure de représailles à la suite d’une alerte est nulle de plein droit, ensuite en inversant la charge de la preuve.

En effet, c’est à l’auteur de la mesure de représailles (le défendeur, en l’occurrence) de démontrer que la décision contestée est dûment justifiée si le demandeur (le « lanceur d’alerte ») « présente des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations ». [32]

Le demandeur (le « lanceur d’alerte ») « peut demander au juge de lui allouer, à la charge de l’autre partie, une provision pour frais de l’instance en fonction de la situation économique respective des parties et du coût prévisible de la procédure ».

Il peut même « lorsque sa situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement ou de la divulgation publique » solliciter « une provision visant à couvrir ses subsides ».

Il est encore ajouté par le texte : « Le juge peut décider, à tout moment de la procédure, que cette provision est définitivement acquise ».

Tout cela est particulièrement protecteur.

Le lanceur d’alerte mis en cause dans une procédure.

Dans ce cadre, le législateur a prévu un processus identique à celui décrit précédemment. [33]

Si le défendeur [34] (le « lanceur d’alerte ») « présente des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations » et que « la procédure engagée contre lui vise à entraver son signalement ou sa divulgation publique », ce dernier « peut demander au juge de lui allouer, à la charge de l’autre partie, une provision pour frais de l’instance en fonction de la situation économique respective des parties et du coût prévisible de la procédure ».

Il peut même « lorsque sa situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement ou de la divulgation publique » solliciter « une provision visant à couvrir ses subsides ».

Il est encore ajouté par le texte : « Le juge peut décider, à tout moment de la procédure, que cette provision est définitivement acquise ».

On voit bien, au travers de ce qui précède, que tout a été mis en œuvre au travers de cette réglementation pour assurer une protection effective du lanceur d’alerte.

Dans le même sens, les juridictions saisies en la matière ont compris l’enjeu et font produire à ces textes les effets recherchés [35].

Pour terminer, il y a lieu d’indiquer un élément supplémentaire, et non des moindres, venant renforcer cette architecture protectrice du « lanceur d’alerte ».

La loi organique [36] relative au Défenseur des droits prévoit dans l’une de ses dispositions [37] que le défenseur des droits « peut être saisi par toute personne pour rendre un avis sur sa qualité de lanceur d’alerte » qui doit être rendu dans le délai de 6 mois à compter de la réception de la demande.

On mesure immédiatement l’effet auprès d’une juridiction d’un avis du défenseur des droits qui admettrait votre qualité de « lanceur d’alerte ».

Yann Le Targat
Avocat au barreau de Montpellier
https://www.valtb-avocats.com/
Réseau GESICA

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Notes de l'article:

[1« Qui tam pro domino rege quam pro se ipso in hac parle sequitur », traduction : « Celui qui exerce une action en justice pour le compte de l’autorité publique l’exerce pour le sien propre ».

[2Dont la traduction littérale n’est pas exactement « lanceur d’alerte ».

[3Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016

[4Dite loi Waserman

[5Art 6 à 14 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (modifiée L n° 2022-401 du 21 mars 2022 – entrée en vigueur le 1er septembre 2022

[6Art 6 - 1

[7Le terme est choisi à dessein pour élargir le spectre de révélation.

[8Ces notions ne sont pas définies précisément.

[9On relèvera que cela est particulièrement large et étendu.

[10Art 6-II

[11Secret défense nationale, secret médical, secret des délibérations judiciaires, secret de l’enquête ou l’instruction judiciaire, secret professionnel de l’avocat.

[12Art 6-1

[13Il faut comprendre là que l’on vise les personnes morales. Ce qui signifie que le lanceur d’alerte, personne physique, peut permettre à la société qu’il dirige de bénéficier du statut protecteur du « lanceur d’alerte ».

[14ART 10-1

[15Art L 122 al 1 du code pénal

[16Art L 122 al 2 du code pénal

[17Art L 122 al 3 du code pénal

[18Art 10-1

[19Art 10

[20Art 10-II

[21C’est-à-dire en dehors même d’un rapport purement salarial.

[22Art 12-1

[23Art 7-1

[24Art 8

[25Art 8-I-B. Obligatoire pour (1) les personnes morales de droit privé employant au moins 50 salariés, (2) les personnes de droit public employant au moins 50 agents, (3) toutes les administrations de l’état.

[26Avant la réforme de mars 2022.

[27Art 8-II

[28Il y en a 50, la liste figure à l’annexe du D n°2022-1284 du 3 octobre 2022 relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte.

[29Art 8-III

[30Condition préalable.

[313 mois (+ 7 jours) pouvant être porté à 6 mois selon circonstances particulières.

[32Art 8-III-A

[33Art 8-III-B

[34Ce processus concerne les instances civiles et pénales.

[35Par exemple : Soc. 1er février 2023, n° 21-24.271

[36Loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011

[37Art 35-1-IV

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Discussion en cours :

  • par Paul Lepoulpe , Le 2 juin à 22:49

    La première loi sur les lanceurs d’alertes en France est la loi Blandin, pas la loi Sapin (votée suite à l’affaire Cahuzac).
    Le scandale qui en est à l’origine demeure inconnu…

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