Les spécialistes de la lutte anti-terroriste ne manient pas la langue de bois ou le moins possible. Car la réalité peut dépasser la fiction.
Ils prévoient des actes terroristes simultanés, dans une multiplicité de lieux, des attaques de nature différente, visant des cibles emblématiques, comme des universités, des écoles, des forces de l’ordre, des services de secours, des hôpitaux, des moyens de transport.
Certaines attaques terroristes peuvent être des diversions, éparpillant les secours, pour mieux frapper ailleurs, avec des kamikazes ou non.
Bref, des situations apocalyptiques, que notre société médiatique peut transformer instantanément en événement planétaire.
L’objectif prioritaire est d’identifier les personnes capables de commettre de tels actes.
Une sévère polémique a éclaté quand le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a déclaré que des personnes signalées pour radicalisation, présentent des troubles psychologiques. Un tiers selon le ministre !
17.400 personnes sont inscrites dans le fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), créé par le décret du 4 mars 2015 modifié par le décret du 2 août 2017 (non publié !).
Près de 6.000 personnes souffrent-elles alors de pathologies mentales susceptibles d’altérer leur discernement et d’expliquer leur processus de radicalisation, voire de passage à l’acte ?
Dans son discours de rentrée aux préfets, le président Emmanuel Macron, a évoqué la nécessaire coordination entre les préfets et les Agences Régionales de Santé.
Ces dernières sont en charge du projet territorial de santé mentale, mentionné aux articles L.3221-2 et R.3224-5-1 du Code de la santé publique.
Ce projet vise notamment à organiser des conditions de repérage précoce des troubles psychiques et de faciliter l’accès aux soins.
Les déclarations politiques démontrent une certaine propension de notre gouvernement à « psychiatriser » les personnes radicalisées et les auteurs d’actes terroristes.
Les médecins, notamment les psychiatres, ont naturellement une certaine responsabilité dans la prévention de la radicalisation, dans la détection des personnes capables de commettre des actes terroristes, dans les soins, et dans la prédiction en évaluant leur dangerosité via des expertises judiciaires.
Alors haro sur les psychiatres qui n’auraient pas bien saisi leur rôle ou quand bien même l’auraient-ils saisi, le rempliraient mal ?
La réplique du corps médical a été immédiate !
La théorie de la psychiatrisation des terroristes est largement battue en brèche.
Le docteur Maurice Bensoussan, président du syndicat des psychiatres français, rappelle la distinction entre les troubles psychologiques et psychiatriques. Une frontière pas toujours aisée à identifier pour les non-spécialistes !
Patrice Schoendorff, psychiatre, président de la fédération française de psycho-criminalistique, considère que collaborer avec la justice et la police ne remet pas en cause le secret médical.
Par ailleurs, il évoque l’utilité du profilage des terroristes.
Mais peut-on dresser le profil, le portrait-robot, d’un terroriste comme on peut le faire d’un serial killer, d’un violeur ou d’un braqueur ?
Le consensus n’existe ni chez les psychiatres, ni chez les criminologues.
Bien sûr, cette mise en cause indirecte de la psychiatrie a été l’occasion une fois de plus de rappeler la réelle paupérisation de la psychiatrie et de la pédo-psychiatrie face à une population en souffrance. 5,3 millions de Français consomment des psychotropes. 1,9 million souffrent d’une maladie psychiatrique. Le pire est à venir, nous dit-on.
Pendant que les postes d’internes en psychiatrie sont délaissés et que les psychiatres libéraux se raréfient !
Alors pourquoi mettre les psychiatres en première ligne dans la lutte contre le terrorisme, lutte chronophage, très complexe, quand leur nombre et leurs moyens ne leur permettent même pas de répondre aux besoins primaires de la santé publique mentale ?
Entre la psychiatrie et la politique, c’est une longue histoire !
Du cambriolage du cabinet du psychiatre de Daniel Elsberg, qui avait transmis à 17 journaux américains les Papiers du Pentagone, sur la guerre du Vietnam aux psychiatres russes qui diagnostiquaient comme par hasard chez les dissidents « une schizophrénie torpide exigeant une hospitalisation d’office », pour ne citer que ces deux exemples, les régimes politiques ont souvent tenté d’utiliser « le pouvoir » de la psychiatrie.
La loi du 30 juin 1836, la loi du 27 juin 1990, la loi du 5 juillet 2011, la loi du 27 septembre 2013 ont certes fait évoluer les pratiques médicales et, heureusement, renforcé les droits des patients.
La décision du Conseil constitutionnel n°2010-71 du 26 novembre 2010 a ainsi entraîné l’intervention du juge des libertés et de la détention dans les hospitalisations sans consentement.
Le nouveau documentaire de Raymond Depardon – « Douze jours » qui vient de sortir sur les écrans, montre parfaitement la procédure.
Toutefois, depuis quelques années, les méthodes de la psychiatrie française sont profondément remises en question, dans des rapports très documentés, publiés, et dont les médias se font largement l’écho. Ce sont à chaque fois des coups de tonnerre dans le milieu de la psychiatrie.
Citons le rapport du 5 avril 2016 de l’ONG, Human Rights Watch « Double peine : conditions de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France ».
On sait qu’au sein de nos prisons, de nombreux prisonniers souffrent de pathologies psychologiques, psychiatriques et d’addictions en tout genre, sans suivi médical spécialisé, faute de moyens.
Les détenus ressortent de prison, pour certains, radicalisés, pour d’autres avec des pathologies aggravées, entravant largement leur réinsertion.
Citons aussi le rapport de la Contrôleuse Générale des lieux de privation de liberté (CGPL), Adeline Hazan, relatif au centre pénitentiaire de Château-Thierry dans l’Aisne en 2015.
Des personnes détenues au quartier maison centrale (QMC) sont considérées comme inadaptées à la détention ordinaire.
Le rapport indique « qu’il y a recours à la force pour pratiquer des injections avec l’aide des surveillants pénitentiaires équipés de tenues pare-coups et de boucliers. Des injections peuvent être pratiquées sur prescription médicale alors même que le praticien n’a jamais vu le patient ».
Rappelons également les recommandations en urgence du 8 février 2016, publiées au Journal Officiel, de la Contrôleuse Générale des lieux de privations de liberté concernant les pratiques hospitalières (dans les services de psychiatrie générale et dans les services d’urgence) de contention et d’isolement des patients.
La HAS a publié dans la foulée des recommandations, visant à uniformiser ces pratiques, dans le respect du patient.
On lira aussi avec un grand intérêt le rapport d’évaluation de la loi n°2013-869 du 27 septembre 2013, rédigé par les parlementaires Denys Robiliard et Denis Jacquat.
En réalité, les psychiatres ont des missions multiples, qui ne cessent de se renforcer au gré des dysfonctionnements de la société.
Ils rédigent notamment des rapports d’expertises concernant les préjudices des victimes conformément à la nomenclature Dintilhac. Ils sont chargés également d’évaluer le préjudice d’angoisse de mort imminente des victimes d’attentats et le préjudice d’attente et d’inquiétude destiné aux proches. Ils animent les cellules d’urgences médico-psychologiques… La liste des activités est bien longue !
Les psychiatres sont également amenés à faire les expertises des auteurs d’attentats.
Bref, ils deviennent incontournables.
Comment avec de telles missions aussi sensibles aux répercussions sociales et politiques aussi importantes, ne pas être constamment sur la sellette ?
Ainsi, avec un tel foisonnement d’activités, dans un tel contexte de critiques, de remise en question, d’inspections, de publication en urgence de recommandations par la HAS, d’articles de presse, la psychiatrie est-elle en mesure sereinement de détecter le mass causalty offender, le tueur de masse, le love-actor, l’acteur solidaire, le solo-actor, l’acteur solitaire bénéficiant de l’appui d’un réseau, le lone-dyad, les binômes, le group actor, l’équipe qui fait une action de groupe ?
Pire, de « guérir » les individus si ceux-ci sont atteints d’une pathologie mentale expliquant la radicalisation ?
Comment procéder au désembrigadement et à la déradicalisation quand on sait que le centre de déradicalisation de Pontourny situé à Beaumont-en-Véron en Indre et Loire a été fermé ?
Le rapport sénatorial du 12 juillet 2017 de la mission d’information « désendoctrinement, désembrigadement et réinsertion des djihadistes en Europe » a mis en exergue le fiasco complet de ce centre.
Beaucoup d’associations ayant remporté les marchés publics d’actions visant à la déradicalisation se sont révélées totalement incompétentes.
Pour le moment, outre des initiatives locales coûteuses, le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) dirigé par Muriel Domenach tente l’impossible, c’est-à-dire fédérer de vrais professionnels compétents afin de lutter contre la radicalisation.
L’article 113-13 du code pénal dit que « la loi pénale française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme (…) commis à l’étranger, par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français. »
Dans l’hypothèse du retour d’individus radicalisés de la zone irako-syrienne, auteurs de crimes ou de délits, il est évident que les magistrats ou les avocats solliciteront une expertise psychiatrique.
Dans l’’hypothèse de pathologies avérées, que faire de ces personnes ? Les hospitaliser ? Avec quels moyens ? Avec quels protocoles médicaux ?
En fait, le recours constant au psychiatre pour interpréter toutes les formes de croyance, tous les comportements transgressifs, déviants, irrationnels, sociaux, religieux ou politiques, est symptomatique d’une société en perdition.
Pour comprendre la complexité de la prédiction, on peut tenter une analogie avec les meurtres de masse qui frappent régulièrement les Etats-Unis.
Concernant les meurtres de masse (mass kiling), Richard A. Friedam, dans un article publié dans le Washington Post le 11 octobre 2017, rappelle que sur 92 mass kiling de 1982 à 2017, seulement 15 % des auteurs avaient eu dans le passé un contact avec un psychiatre.
Il écrit : « It is very difficult if not impossible to predict who is likely to turn violent. »
N’est-ce pas encore plus complexe dans le cadre du terrorisme ?
En toile de fond, la question de savoir comment convaincre les médecins, et surtout les psychiatres, liés par le secret médical, de collaborer avec les autorités, est omniprésente mais pas seulement en France.
Des médecins qui refusent de collaborer avec la Justice.
Prenons le dossier du crash de l’avion de Germanwings, révélateur d’un comportement médical visant à ne rien divulguer du dossier médical d’un patient, aux autorités judicaires, malgré les pressions judiciaires et médiatiques. Certes, il ne s’agit pas d’une opération terroriste, mais le choix des médecins mérite d’être rappelé, pour imaginer d’autres situations, cette fois, en lien avec le terrorisme.
La justice allemande a annoncé le 9 janvier 2017 un classement sans suite dans l’affaire du crash de l’avion de Germanwings à Prads, dans les Alpes de Haute-Provence le 24 mars 2015.
L’enquête a écarté toute action terroriste.
En réalité, le copilote, Andreas Lubitz, 27 ans, souffrait de troubles dépressifs.
Il a provoqué intentionnellement le crash, tuant 150 personnes.
Une instruction est en cours à Marseille afin de déterminer le niveau de connaissances de la compagnie concernant l’état mental du copilote.
Une procédure est aussi ouverte aux Etats-Unis concernant l’école de pilotage, qui a formé Andreas Lubitz.
L’enquête a révélé que Andreas Lubitz avait consulté 41 médecins en 5 ans dont des psychiatres.
Comment ces derniers ont-ils pu laisser Andreas Lubitz piloter ?
Pourquoi n’ont-ils pas communiqué ces informations au médecin référent de la compagnie aérienne Germanwings ?
Ignoraient-ils la fonction de Andreas Lubitz ? Entre deux médecins, le secret professionnel est censé être préservé.
Le paragraphe 6.3.2.2 de l’annexe 1 de l’OACI indique qu’un pilote ne doit pas avoir de trouble mental. Le paragraphe 3.2 de l’annexe 2 du manuel de médecine aéronautique civile de l’OACI (chapitre 9) fournit des lignes directrices sur l’évaluation des candidats pilotes traités par antidépresseurs.
Le professeur Henri Marotte, spécialiste de médecine aérospatiale a déclaré qu’il faut des passerelles entre « le cabinet médical et les ressources humaines ». Un médecin ne peut laisser un pilote dépressif, ou avec des signes de radicalisation, mettre potentiellement sa vie et celle des autres en danger au motif de préserver le secret médical.
Le rapport d’enquête du Bureau des Enquêtes et des Accidents (BEA) précise on ne peut plus clairement, page 35, « qu’il n’a pas été possible d’interroger les proches du copilote et ses médecins privés car ceux-ci ont exercé leur droit de refuser d’être interrogés par le BEA et le BFU allemand ».
L’absence de collaboration avec les autorités judiciaires des médecins au nom du respect du secret médical, dans ce dossier a été largement critiquée.
Qu’auraient fait les médecins si le pilote avait été radicalisé ?
Le crash aurait-il pu être évité si les médecins avaient communiqué leur dossier médical à la compagnie ? L’enquête aurait-elle été plus rapide et plus facile si les médecins avaient communiqué leur dossier médical aux autorités judiciaires ?
Alors quelles sont les limites du secret médical ? Ce dossier est-il un cas exceptionnel ?
Comment démontrer que les personnes radicalisées souffrent de pathologies mentales ?
La littérature médicale ne recèle guère d’études probantes sur l’existence ou non de pathologies psychiatriques notamment chez les personnes radicalisées.
Mais quelques données britanniques récentes méritent d’être rappelées.
Le « British Journal of Psychiatry » a publié en 2016 une étude concernant 3.679 hommes de 18 à 34 ans, « Extremism, religion, and psychiatric morbidity in a population-based sample of young men ».
Il est bien difficile d’interpréter les résultats dans le sens d’une plus grande propension pour les jeunes radicalisés à présenter des troubles psychiatriques que les jeunes non radicalisés.
D’autant plus qu’un biais sérieux pourrait être l’actualité, influençant les opinions des personnes interrogées. Le phénomène du copycat entraîne parfois aussi le passage à l’acte.
Les résultats très contrastés du plan "Prevent Strategy" de Theresa May.
Theresa May a mis en place le plan "Prevent Strategy" lorsqu’elle était à la tête du Home Secretary and Minister for women and equalities en juin 2011.
Le plan consiste à endiguer la propagation d’idéologies extrémistes. Il s’agit aussi d’identifier les personnes vulnérables avant leur radicalisation.
Le plan Prevent impose un « devoir de prévention » aux personnels de santé, dont les médecins, du domaine de l’éducation, dont les enseignants, et du secteur des établissements pénitentiaires, dont les surveillants. Détection et signalement sont les objectifs.
Un rapport de 2016, Eroding Trust, relève pourtant des résultats très mitigés.
On observe non seulement un taux de signalement très faible mais surtout une défiance des populations concernées à l’égard des acteurs du système de soins, en l’occurrence, les médecins.
Alors impliquer directement les médecins, dont les psychiatres dans la lutte anti-terroriste ne pourrait-il pas générer une défiance totale à leur égard ?
Toutefois, les autorités policières et judiciaires attendent en permanence des médecins des informations décisives permettant de stopper les terroristes.
Les médecins sont en effet incontournables, dans nombre de cas.
Comment ces informations peuvent-elles être communiquées ?
Comment les médecins peuvent-ils collaborer avec la police et la justice ?
Essayons d’imaginer quelques situations.
Un médecin, psychiatre ou non, qui reçoit, qui soigne un patient, radicalisé ou non, ou en voie de le devenir, ou pire, suspecté de projeter un acte terroriste, peut-il le dénoncer aux autorités policières ou judiciaires, sans craindre la foudre du Conseil de l’Ordre, c’est-à-dire une suspension ou une radiation pour violation du secret professionnel ?
Comment le médecin peut-il être certain que le patient va passer à l’acte ?
Comment ne pas détruire sa carrière en cas de mauvaise appréciation ?
La position du Conseil national de l’Ordre des Médecins.
Les discussions et les enjeux sont si importants que le conseil national de l’ordre des médecins s’est prononcé.
Le communiqué de presse du conseil national de l’ordre des médecins, du 3 avril 2017, rappelle que le secret médical instauré dans l’intérêt des patients est une condition indispensable à leur confiance.
L’article 226-13 du code pénal, les articles L.1110-4 et R.4127-4 du Code de la santé publique caractérisent l’obligation de respect du secret médical, de générale et absolue.
Mais il existe trois dérogations à ce principe général et absolu.
Le médecin, « quelque soit sa spécialité, peut déroger au respect du secret médical dans l’hypothèse de sévices ou de privations sur des mineurs ou des personnes vulnérables, dans l’hypothèse de sévices ou de privations sur des personnes majeures, avec leur accord, dans l’hypothèse de la dangerosité de personnes détenant une arme ou voulant en acquérir une ».
Le conseil national de l’ordre des médecins précise « qu’à titre exceptionnel et en cas de risque grave et imminent de mise en danger d’autrui, qu’il ne peut prévenir autrement et après qu’il ait épuisé toute autre solution, le médecin peut s’affranchir du secret médical, en informant le médecin chargé de la santé au travail sinon en saisissant le procureur de la République ».
L’article 223-6 du code pénal dit aussi « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne, s’abstient volontairement de le faire, est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende ».
L’alinéa 3 de l’article 226-14 du code pénal autorise « le médecin à informer le préfet et à Paris le préfet de Paris du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une ».
Le médecin pourrait « ainsi justifier de l’état de nécessité absolue, par analogie avec les dispositions de l’article 122-7 du code pénal, exonérant de toute responsabilité pénale la personne qui accomplit face à un danger actuel et imminent, un acte nécessaire et proportionné à la gravité de la menace ».
En pratique ?
Le conseil national de l’ordre des médecins précise quatre situations.
« Le médecin, tant dans son cabinet qu’à l’hôpital, peut recevoir les confidences d’un tiers ». Il s’agit donc de la transmission d’une information au médecin par une personne qui n’est pas son patient.
Mais comment vérifier si le tiers détient des informations fiables ?
« Le médecin peut être confronté à un patient mineur en voie de radicalisation ou radicalisé ». Si le patient est mineur, le médecin ne doit-il pas informer les parents titulaires de l’autorité parentale avant tout ? Sauf bien sûr si des éléments lui permettent de penser qu’un passage à l’acte est imminent.
« Le médecin peut être confronté à un patient majeur en voie de radicalisation ou radicalisé, avec la notion d’un danger imminent ».
Le médecin doit-il se plonger dans les écrits de Gilles Kepel et de Olivier Roy sur les tentatives de définition de la radicalisation et constater les polémiques ? Qu’en conclure ? Comment se repérer ?
Le conseil national de l’ordre des médecins tente tant bien que mal de distinguer la radicalisation du fondamentalisme.
On nous dit que la radicalisation peut se définir par un processus progressif. L’adhésion à une idéologie extrémiste, la légitimation de l’emploi de la violence pour défendre une cause ou une idéologie, pourrait être une forme de radicalisation.
« Le médecin peut être aussi sollicité par les autorités judiciaires ». Le scénario est différent, le parquet ou les services de police expliquant au médecin dans quel cadre il est amené à donner certaines informations. Le médecin sera à même d’accepter ou non de livrer des informations conformément à la déontologie médicale, voire de consulter préalablement le conseil de l’ordre. Mais en aura-t-il le temps ?
Les faisceaux d’indices, la fameuse formule magique lorsqu’on n’a pas de critères précis, permettent a priori au médecin d’évaluer la situation d’un patient. Encore faut-il que le patient ne dissimule ni ses croyances ni ses projets. Encore faut-il aussi qu’il consulte un médecin.
Le médecin doit aussi se livrer à un délicat exercice de sémiologie en recherchant une pathologie psychiatrique sous-jacente. Encore faut-il voir le patient en consultation régulièrement et avoir les connaissances en psychiatrie.
Si le médecin est amené à informer les autorités policières ou judiciaires du comportement d’un patient a priori radicalisé, identifié comme dangereux, il est fort probable que la poursuite de son activité libérale ou hospitalière dans le quartier ou dans la ville, voire dans le pays soit largement compromise, pour des raisons de sécurité.
Qu’a-t-on prévu pour ce professionnel de la santé et sa famille qui s’exposent à des représailles ? Il pourrait a priori bénéficier des dispositions de la loi du 3 juin 2016, notamment des articles 706-58 et 706-62-2 du code de procédure pénale protégeant les témoins. C’est néanmoins un bouleversement total de sa vie.
L’intervention d’un médecin sur les lieux d’un attentat.
D’abord, l’intervention du médecin, surtout urgentiste, dépend du type d’attentat, du lieu, de sa nature, du contexte, et de la sécurisation de la zone. L’accès aux blessés ne dépend ni des pompiers, ni des médecins mais de l’autorisation des forces de sécurité et plus spécialement du commandant des opérations de secours. Le sur-attentat est toujours redouté. Les démineurs et les dépiégeurs donnent le timing.
Depuis le drame du Bataclan et des autres attentats, la nouvelle doctrine tend à l’action immédiate des unités primo-engagées par la gendarmerie ou primo-arrivantes par la police. Ces unités ont été équipées en matériel et en armes. Les unités primo-intervenantes prennent le relais, avec la distinction des unités menantes et concourantes. Secourir les victimes au plus vite s’impose.
Le rapport sur « les conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population » précise page 30 et 31 que « pour les soldats engagés dans une opération intérieure, si de fortes présomptions permettent d’établir que des vies humaines sont menacées, que la mise à exécution de la menace est imminente et que les moyens de dissuasion mis à la disposition des militaires autres que les armes à feu ont été épuisés ou sont inopérants, il est permis de faire usage des armes à feu dans le cadre de la légitime défense et de l’excuse de nécessité définis aux articles 122-5 et 122-7 du code pénal. »
Cela signifie que les soldats de la force sentinelle recevraient (très probablement) maintenant l’ordre d’intervenir dans le Bataclan dès leur arrivée. Mais on ne peut pas refaire l’histoire.
Rappelons que dans l’attentat du Bataclan, les policiers de la BAC sont arrivés 11 minutes après le début de l’attaque. 8 militaires de la force sentinelle, munis de fusils automatiques étaient sur les lieux. Ils n’ont pas reçu l’ordre de rentrer dans le Bataclan, Auraient-ils pu faire diversion, ralentir, voire stopper la tuerie ?
Les policiers de la BAC ont demandé aux militaires de leur prêter leurs armes automatiques. Refus des autorités au motif qu’il ne s’agissait pas d’une zone de guerre ! On connait la suite.
Les deux tomes du rapport n° 3922 de la commission d’enquête parlementaire, présidée par Georges Fenech, contiennent les témoignages des policiers de la BAC, notamment pages 30 et 31 du tome 1.
Lors des interventions de la BRI, du RAID ou du GIGN, une zone d’exclusion police est mise en place, comprenant des zones de combat et de reprise. Un point de regroupement des victimes est organisé, avec un poste médical avancé, un nid de blessés, une colonne d’exfiltration des blessés. Le choix de l’organisation dépend du contexte. On se reportera aux articles cités dans la bibliographie pour comprendre le plan Blanc, l’organisation des secours, notamment du SAMU et de la Brigade des Pompiers de Paris.
Les victimes sont triées : les urgences absolues (UA), les urgences relatives (UR), les extrêmes urgences (UE, au pronostic vital immédiatement engagé), les U1 (pronostic vital potentiellement engagé), les U2 (victimes invalides nécessitant un transport couché non médicalisé), les U3 (victimes valides pouvant être évacuées au moyen d’un transport collectif). Les techniques de damage control mobilisent tous les secours.
Qu’est-ce que le damage control ?
Les médecins pratiquent en priorité une hémostase interventionnelle rapide et une réanimation intensive, conformément au damage control, décrit par Michael F. Rotondo en 1993. Le damage control est différent du scoop and run. Dans le damage control, le médecin fait sur place des pansements compressifs, installe des garrots tourniquets, administre l’acide tranexamique (facilitant la coagulation) ainsi que de la morphine. Stopper les hémorragies est l’ultime priorité. Avec la nouvelle doctrine d’intervention des forces de l’ordre, le damage control pourrait être fait plus tôt, sauvant ainsi plus de vies.
Les soins à un terroriste bléssé.
Le médecin peut être amené à soigner un terroriste blessé, à le réanimer, à faire une hémostase, à soulager ses douleurs.
On peut imaginer nombre de situations.
Le médecin administrera-t-il de la morphine au terroriste blessé, en sachant que sa conscience, si elle est préservée malgré les blessures, peut s’altérer et l’empêcher de parler, de confier certaines choses importantes ?
Le médecin peut-il se transformer en interrogateur ?
Identification, organisation, complices, moyens, logistique, fugitifs, tout intéresse les forces de sécurité ! Tout ce que peut dire le terroriste peut aider la police, sauvegarder des vies.
Mais une prise d’otage thérapeutique n’est ni légale ni éthique comme on le verra plus loin.
Il est probable que dans une telle situation, les médecins de la BRI, du RAID et du GIGN, pourtant dédiés à leurs hommes en opération, prennent les choses en main, soignant le terroriste tout en l’interrogeant dans la mesure du possible.
Le terroriste sera aussi transporté sous escorte renforcée dans un hôpital où il ne devra en aucun cas se trouver en présence de ses victimes.
Il est plausible que le terroriste soit soigné à l’hôpital d’instruction des Armées de Percy à Clamart ou de Bégin à Saint-Mandé, par des médecins militaires, avec toute la sécurité exigée, la présence des services de renseignements et une presse éloignée du site.
Si le terroriste est un kamikaze qui n’a pas réussi à se faire exploser, qui est seulement blessé, mais qui avait l’intention de mourir, en déduira-t-on qu’il ne faut pas tenter des soins déraisonnables, qu’il n’est pas utile de s’acharner à lui sauver la vie ?
Et si des directives anticipées prévues à l’article L.1111-11 du CSP, produites par la personne de confiance ou la famille précisent que le terroriste-kamikaze veut à tout prix vivre, acceptant les soins médicaux les plus contraignants ?
Si le terroriste nécessite une greffe d’organe, le donneur sera-t-il informé de l’identité du receveur-terroriste ?
Le code de la santé publique s’applique-t-il sans aucune dérogation possible à un terroriste comme à un individu normal ?
Autant de questions dont les réponses sont primordiales.
Une seule mission : soigner sans discrimination.
L’article R.4127-7 du Code de la santé publique précise « que le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quelles que soient leurs origines, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard.
Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances.
Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée ».
Bref, le médecin n’a pas vraiment le choix.
Il doit soigner tout patient, même le pire des terroristes ou des tortionnaires.
Les dispositions du Code de la santé publique s’appliquent sans aucune dérogation possible.
Toutefois, l’article R.4127-47 assouplit ce principe.
La continuité des soins mais...
L’article R.4127-47 du CSP précise « que quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.
Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins ».
Sur les lieux d’un attentat, on peut imaginer un médecin avec un manque d’expérience pratique, concernant des gestes techniques comme l’intubation trachéale, ou un médecin en situation de sidération, en pleine décompensation, dans le chaos de la scène d’attentat, peut-être avec un de ses proches blessé ou décédé…
Il doit alors passer la main à ses confrères aptes à remplir la mission, le damage control devant être poursuivi coûte que coûte, sans formalisme. La cellule d’urgence médico-psychologique donnera les premiers soins psychologiques au médecin.
Le débriefing et le defusing suivront bien après pour savoir ce que s’est passé.
Soigner les blessures physiques est une chose. Mais les conséquences psychiques créées par le stress post-traumatique méritent qu’on s’y attarde quelque peu, les conséquences étant gravissimes. Le médecin, urgentiste ou psychiatre, doit les connaître le mieux possible. Il en va aussi de l’indemnisation des victimes dont la qualité des expertises judiciaires est essentielle.
Le stress post traumatique.
Faire face au terrorisme, c’est faire face au stress post traumatique, de mieux en mieux connu.
L’état de stress post-traumatique est apparu dans la nosographie psychiatrique en 1980 dans la troisième édition du DSM, (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) pour légitimer les souffrances des vétérans du Vietnam.
Les Américains parlent du PTSD, le post traumatic stress disorder et de l’ASD, l’acute stress disorder. L’ASD se distingue du PTSD par des symptômes de dissociation.
Les trois symptômes de l’état de stress post-traumatique sont le symptôme de reviviscence, le syndrome d’évitement et d’émoussement affectif, le syndrome d’hyperactivité neuro-végétative.
Tous les protagonistes peuvent être touchés. Les blessés, les impliqués directs, les impliqués indirects, les endeuillés, les proches, les membres des forces de sécurité, des équipes de secours, les journalistes, et bien sûr les médecins.
Les symptômes peuvent se déclarer des mois, voire des années après le traumatisme, réactivés par un autre événement traumatisant.
Dépression et addiction sont courantes. L’impact sur la vie personnelle, sociale, professionnelle est souvent dramatique.
Citons à titre d’exemple quelques études en cours qui aideront les experts.
L’étude clinique Réductrauma coordonnée à Toulouse.
L’unité Inserm 825-Tonic Toulouse Neuro-Imagery Center mène une étude clinique avec un volet imagerie, « Reductrauma-Multi » commencée en 2013 à Lille, Toulouse et Tours. Le canadien Alain Brunet étudie aussi les effets du Propanolol, un bétabloquant, sur les effets du stress post-traumatique. Les thérapies cognitives comportementales et l’Eyes Movement Desensilisation and Reprocessing sont aussi des techniques utilisées.
Les recherches de Denis Peschansky et Francis Eustache.
L’historien Denis Peschansky et le neuropsychologue Francis Eustache coordonnent des études qui vont durer 12 ans, menées par 100 chercheurs de tous les domaines sur la mémoire du drame du Bataclan. L’apport des neurosciences et de l’imagerie médicale sera primordial.
180 personnes volontaires subiront des examens complets d’imagerie médicale, IRM, scanners, pour mieux identifier le mécanisme du stress post-traumatique sur les zones cérébrales.
Le médecin bénéficiera de nouvelles connaissances pour mieux relever les défis du terrorisme.
Aucune conclusion n’est possible au terme de cet article et ses quelques pistes de réflexion.
On peut néanmoins relire « le Normal et le Pathologique » de George Canguilheim et les meilleurs ouvrages sur l’histoire de la médecine.
Car une nouvelle ère médicale, tant au niveau des méthodes que des concepts, semble naître, face aux menaces terroristes.
La confrontration entre le médecin et le terroriste ne fait malheureusement que commencer.
Bibliographie indicative :
Hirsh Martin – Carli Pierre… « The medical response to multisite terrorist attacks in Paris » – The Lancet – 24 novembre 2015.
Coid JW, Bhui K, Mac Manu, D.Kallis, C.Bebbington P, Ulrichs, « Extremism, religion and psychiatric morbidiy in a population-based sample of young men” – Br J Psychiatry, 2016, 209, 491.7.
Friedman A. Richard, “Psychiatrics can’t stop mass killers”, Washington Post, 11 octobre 2017.
“Understanding Terror Networks” de Marc Sageman.
Eroding Trust : The Uk’s prevent counter-extremism strategy in health and education – October 2016.
Décret n°2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au projet territorial de santé mentale.
American Psychiatric Association – Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, 5 th.
Rapports tome 1 et 2 n°3922 – commission d’enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 par Georges Fenech, president, et par Sébastien Pietrasanta, rapporteur.
Rapport d’information sur la loi n°2013-869 du 27 septembre 2013 de Denys Robillard et Denis Jacquart.