Recouvrement d’une créance maritime : saisie conservatoire des navires en zone Cemac.

Par Narcisse Hervé Ekome Essake, Avocat.

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Explorer : # saisie conservatoire # créance maritime # procédure judiciaire # zone cemac

La saisie conservatoire est un moyen de garantir le recouvrement d’une créance. Elle est généralement mise en œuvre lorsque le créancier ne dispose pas encore de moyen d’exécution. C’est-à-dire qu’il n’a pas un titre exécutoire matérialisant sa créance.

La saisie conservatoire des navires est concomitamment réglementée par le Code communautaire de la marine marchande du 3 août 2001, lequel a été profondément modifié en juillet 2012 et la convention de Bruxelles de 1952 portant unification de certaines règles applicables à la saisie conservatoire des navires.

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I- Les conditions liées à la saisie conservatoire des navires

A. Conditions inhérentes à la nature de la créance

L’article 149 du Code communautaire de la marine applicable au Cameroun et en zone Cemac, énumère les types de créance qui peuvent donner lieu à immobilisation d’un navire au moyen de la procédure de saisie conservatoire. Il s’agit en réalité d’une reprise de l’article 1 de la convention de Bruxelles, notamment :
a) pertes ou dommages causés par l’exploitation du navire ;
b) mort ou lésions corporelles survenant, sur terre ou sur eau, en relation directe avec l’exploitation du navire ;
c) opérations de sauvetage ou d’assistance, ainsi que tout contrat de sauvetage ou d’assistance, y compris le cas échéant, pour indemnité spéciale concernant des opérations de sauvetage ou d’assistance à l’égard d’un navire qui, par lui-même ou par sa cargaison, menaçait de causer des dommages à l’environnement ;
d) dommages causés ou risquant d’être causés par le navire au milieu, au littoral ou à des intérêts connexes ; mesures prises pour prévenir, réduire ou éliminer ces dommages ; indemnisation de ces dommages ; coût des mesures raisonnables de remise en état du milieu qui ont été effectivement prises ou qui le seront ; pertes subies ou risquant d’être subies par des tiers en rapport avec ces dommages ; et dommages, coûts ou pertes de nature similaire à ceux qui sont indiqué dans le présent alinéa ;
e) frais et dépenses relatifs au relèvement, à l’enlèvement, à la récupération, à la destruction ou à la neutralisation d’un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou se trouvait à bord de ce navire, et frai et dépenses relatifs à la conservation d’un navire abandonné et à l’entretien de son équipage ;
f) tout contrat relatif à l’utilisation ou à la location du navire par affrètement ou autrement ;
g) tout contrat relatif au transport de marchandises ou de passagers par le navire, par affrètement ou autrement ;
h) pertes ou dommages subis par, ou en relation avec, les biens, y compris les bagages, transportés par le navire ;
i) avarie commune ;
j) remorquage ou pilotage d’un navire ;
k) marchandises, matériels, approvisionnement, soutes, équipements, y compris conteneurs, fournis ou services rendus au navire pour son exploitation, sa gestion, sa conservation ou son entretien ;
l) construction, reconstruction, réparation, transformation ou équipement du navire ;
m) droits et redevances du port, de canal, de basin, de mouillage et d’autres voies navigables ;
n) gages et autres sommes dues au capitaine, aux officiers et autres membres du personnel de bord, en vertu de leur engagement à bord du navire, y compris les frais de rapatriement et les cotisations d’assurance sociale payables pour leur compte ;
o) paiements effectués pour le compte du navire ou de ses propriétaires ;
p) primes d’assurance, y compris cotisations d’assurance mutuelle, en relation avec le navire, payables par le propriétaire du navire ou par l’affréteur en dévolution ou pour leur compte ;
q) frais d’agence ou commissions de courtage ou autres en relation avec le navire, payables par le propriétaire du navire ou par l’affréteur en dévolution ou pour leur compte ;
r) tout litige quant à la propriété ou à la possession du navire ;
s) tout litige entre les copropriétaires du navire au sujet de l’exploitation ou des droits aux produits d’exploitation de ce navire ;
t) hypothèque, « mortgage » ou droit de même nature sur le navire ;
u) tout litige découlant d’un contrat de vente du navire

Il résulte en outre de l’article 149 ci-haut repris que l’existence d’une créance partiellement maritime suffit pour procéder à la saisie d’un navire.

B. Conditions relatives au bien saisi et à son propriétaire, prévalence de l’action in rem.

Le code Cemac permet indistinctement de saisir le navire auquel la créance se rapporte ou tout autre navire appartenant à celui qui était propriétaire au moment où est née la créance.

1. le navire auquel la créance se rapporte ou la saisie « in rem ».

Il appert des dispositions du code que la saisie peut être pratiquée, soit sur le navire auquel la créance se rapporte ou sur tout autre navire appartenant à celui qui était au moment où est née la créance maritime, propriétaire du navire auquel cette créance se rapporte.

C’est dire que le code et la convention de Bruxelles retiennent une action contre le navire, une action in rem.

Ainsi, le créancier poursuivant peut rendre le navire indisponible quant bien même ledit bien meuble aurait été cédé par le propriétaire initial. Il suffit simplement que la créance porte sur le navire concerné.

2. la flotte du propriétaire du navire auquel la créance se rapporte est le gage des créanciers.

L’article 144 alinéa 1 du Code dispose que le créancier peut saisir tout navire appartenant à celui qui était, au moment où est née la créance maritime, propriétaire du navire auquel sa créance se rapporte. Cette disposition met en avant une application cumulative des notions d’action in rem et d’action in personam.

Il s’agit d’une reprise de la Convention de Bruxelles qui élargit les poursuites à tous « les navires qui composaient, au moment de la naissance de la créance, le patrimoine du propriétaire ».

3. Exclusion de la condition liée à l’existence d’un péril dans le recouvrement.

Certains juridictions du port du for exigent à tort la production de mises en demeure ou lettres missives adressées au débiteur qui attesteraient de la réticence à apurer la créance dont exécution est poursuivie.

Il s’agit à n’en point douter d’une méconnaissance flagrante tant de la convention de Bruxelles que du Code communautaire de la marine marchande.

A la vérité, cette démarche procède d’une confusion regrettable entre les règles applicables à la saisie conservatoire des biens meubles prises sous les lumières de l’Acte uniforme OHADA en ses articles 54 et suivants et celles spéciales à la matière maritime.

Pourtant, l’article 154 alinéa 2 du Code communautaire de la marine marchande se veut clair lorsqu’il fait simplement obligation à la juridiction compétente d’ordonner la saisie dès lors « qu’il est justifié d’une créance maritime fondée dans son principe ».

La Cour de cassation française retient notamment que le juge n’a pas à rechercher le caractère certain et sérieux de la créance (Cass. Com. 12 janvier 1988, DMF 1992, somm. Comm. p. 134).

II- Les règles de procédure.

L’article 6 alinéa 2 de la convention de Bruxelles dispose que les règles de procédures relatives à la saisie du navire « sont régies par la loi de l’état contractant dans lequel la saisie a été pratiquée ou demandée ».

De même, les articles 7-1 et 7-4 de la Convention disposent que le saisissant doit introduire une action au fond dans un délai fixé soit par la lex fori.

La définition des juridictions compétentes et leur mode de saisine est préalable à la présentation des modalités d’exécution de la mesure.

A. Le mode de saisine

Il ressort des dispositions de l’article 150 du Code Cemac que la procédure de saisie conservatoire est introduite par une requête.

Toutefois, préalablement au dépôt de la requête, il est impératif de requérir le visa de l’autorité maritime, lequel au Cameroun est le ministre des Transports dont la résidence se trouve être Yaoundé.

B- Les juridictions compétentes

L’article 15 alinéa 2 de la loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun attribue par excellence au président du tribunal de première instance la compétence pour connaître des ordonnances sur requête, avec cette précision que ce pays compte trois ports majeurs dont celui de Kribi dans la province du Sud, de Douala dans la province du Littoral et de Limbé dans le Sud-Ouest.

Par contre, le créancier dispose d’un délai d’un mois à compter de la saisie pour initier une action au fond afin d’obtenir un titre exécutoire. A défaut le débiteur peut solliciter la mainlevée de la saisie pratiquée.

Au regard du quantum de la créance, laquelle est toujours supérieure à la somme de 10 millions de FCFA, seul le tribunal de grande instance statuant en sa chambre commerciale est compétent pour connaître de l’action au fond en recouvrement.

Cependant, dans l’hypothèse ou il existerait une clause d’arbitrage ou de juridiction, le titulaire de la créance maritime est tenu de porter la contestation sur le fond devant l’instance choisie par les parties contractantes.

Mais il est important de souligner un certain tempérament en ce sens qu’aux termes des stipulations de l’article 7 alinéa 1.f de la convention de Bruxelles, « si la créance est garantie par une hypothèque maritime ou un mort-gage sur le navire saisi », les tribunaux de l’État dans lequel la saisie a été opérée seront compétents pour statuer sur le fond du procès, en dépit de l’existence d’une clause attribuant compétence à une juridiction d’un État tiers.

III- L’exécution de la mesure

La mesure est exécutée par un huissier de justice (1) avec le concours de l’autorité maritime (2).

A- L’huissier instrumentaire

La saisie est pratiquée par l’huissier au moyen d’un procès-verbal de saisie notifié au capitaine du navire, au commandant du port, à l’autorité maritime, au consul de l’État du pavillon ou, à défaut, au consignataire du navire.

B- L’autorité maritime

Constituée gardien du navire contre rémunération, l’autorité maritime dès réception du procès-verbal prend un arrêté portant interdiction d’appareiller.

Dès l’instant où il aura fait procéder à la saisie conservatoire, le créancier est tenu d’accomplir certaines formalités tendant à l’obtention d’un titre exécutoire en vue de la vente du navire.

La procédure de saisie vente en vue de l’adjudication n’obéit plus aux règles de la saisie immobilière édictées par l’Acte uniforme OHADA auxquelles renvoyait le précédent texte communautaire. Mais fait depuis 2012 l’objet d’une procédure précise définie par le code révisé.

Narcisse Hervé EKOME ESSAKE.
Avocat.
ecabpartners chez outllook.com / nar6avocat chez yahoo.frAvocat

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Discussion en cours :

  • par Bihemle , Le 12 février 2019 à 21:30

    Merci, très édifiant, hâte de lire l’article sur la saisie vente.
    Êtes vous Domicilié au Cameroun ?

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