Renégociation des taux de royalties sur les streams musicaux avec les maisons de disques : tendances et implications.

Par Nathalie Dreyfus, Conseil en PI.

1552 lectures 1re Parution:

Explorer : # renégociation des royalties # streaming musical # droits des artistes # contrats musicaux

La discussion des royalties sur les streams musicaux et la manière dont les contrats devraient être renégociés pour une meilleure répartition des redevances entre les différents acteurs de l’industrie musicale sont des sujets majeur de ces dernières années.
En effet, de nombreuses tensions entre artistes et maisons de disques expliquent en grande partie le renouveau de cette interrogation.

-

Quelle est la situation actuelle entre les maisons de disques et les artistes concernant les redevances ?

Les artistes ou interprètes sont la plupart du temps liés aux maisons de disques (labels) par des contrats. En effet, l’artiste confie à la maison de disques la diffusion de sa musique sur les plateformes de distribution numérique dédiées à l’écoute de musique en streaming tels que YouTube, Spotify, Deezer, etc. Le producteur obtient ainsi une part des redevances résultant des streams sur les plateformes, en raison des droits voisins du droit d’auteur qu’il détient.
Néanmoins, les statistiques sont loin d’être parfaites en ce qui concerne les parts de redevances, comme l’illustre le rapport du Comité Permanent sur le Droit d’auteur et l’Organisation des droits voisins. Ce dernier démontre effectivement une certaine injustice dans la situation qui unit les différents acteurs de l’industrie. En réalité, les auteurs, les compositeurs et les artistes musicaux en général ne touchent pas suffisamment d’argent par rapport aux éditeurs. Ces chiffres doivent servir de signal d’alarme dans ce secteur, car la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI) a affirmé que le streaming sur des plateformes telles que Spotify ou Deezer représente la principale rémunération des artistes dans l’industrie musicale.
Par conséquent, afin de garantir la diversité musicale que l’on peut connaître aujourd’hui, les artistes doivent pouvoir bénéficier d’un encadrement contractuel efficace, prévoyant notamment les revenus liés au streaming. En outre, il est important que les artistes interprètes (qui représentent la principale base créative sur laquelle repose l’industrie) perçoivent des revenus, pour l’avenir de l’industrie musicale.

Quels sont les changements intervenus en matière de royalties sur les streams ?

La Directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique a apporté de nettes améliorations à ce sujet dans l’Union Européenne. Il s’agit aujourd’hui d’un élément essentiel pour l’industrie de la musique. En effet, cette Directive défend désormais les principes de transparence et de rémunération proportionnelle ; tous ces éléments étant favorables aux artistes interprètes et aux auteurs. La Directive prévoit ainsi, dans un chapitre sobrement intitulé "Rémunération équitable dans les contrats d’exploitation des auteurs et des artistes interprètes", de nombreuses améliorations significatives :
- Art 19 - Obligation de transparence : les auteurs et les artistes-interprètes doivent recevoir, au moins une fois par an, des informations sur leur prestation. En outre, un principe de rémunération équitable met une certaine pression sur les maisons de disques pour que la répartition des revenus se rapproche de 50/50.
- Art 20 - mécanisme d’ajustement du contrat : les auteurs et les artistes-interprètes peuvent demander une rémunération appropriée supplémentaire s’ils estiment que celle qu’ils ont reçue est trop basse. S’ils n’y parviennent pas, ils ont la possibilité de déposer une réclamation auprès d’un organisme créé à cet effet dans chacun des États membres de l’UE.
- Art 21 - Procédure alternative de résolution des litiges : introduit un organisme où tous les litiges résultant des Art 19 et 20 doivent être soumis.
- Art 22 - Droit de révocation : Dans le cas où les maisons de disques n’exploitent plus le master qui leur a été confié, l’artiste peut demander la révocation de son contrat d’enregistrement avec la maison de disques.
Les 27 Etats membres de l’Union européenne œuvrent pour que l’équilibre entre les maisons de disques et les artistes revienne à 50/50.

Une situation intéressante est celle du Royaume-Uni, qui reste en marge de ce progrès en cours en Europe, puisque, suite au Brexit les dispositions de la directive ne s’appliquent plus au Royaume-Uni. L’industrie musicale britannique est assez ennuyée, puisque des majors comme Warner, Universal et Sony ont toujours la possibilité d’inclure des conditions déraisonnablement contraignantes dans leurs contrats avec les artistes. Les décideurs politiques au Royaume-Uni ont décidé de s’assurer que le cadre juridique entourant les accords permettrait un processus de renégociation Les membres de la Chambre des Communes pour les médias ont quant à eux déposé un projet de loi, qui suit maintenant le processus de motion devant les Chambres du Parlement.
A l’origine de cette avancée législative : un mouvement de contestation des artistes britanniques. C’est l’affaire Four Tet contre la maison de disques Domino qui marque le début d’un changement dans les mentalités. En l’espèce, Four Tet a signé en 2001 un contrat d’enregistrement de musique avec Domino sans avoir reçu de conseils juridiques, alors qu’il entrouvrait à peine les portes de la célébrité. Vingt ans plus tard, il réclame une plus grande part du gâteau sur les revenus de streaming. L’artiste affirmait en effet que le contrat suggérait un "taux de redevance raisonnable" pour les streams et les téléchargements fixé à au moins 50 %. Domino lui avait simplement versé 18% sur les streams et les téléchargements. En parallèle, Domino avait retiré trois des albums de Four Tet de ses services de streaming (pause, round, everything ecstatic), alors qu’il était impliqué dans le procès sur les redevances de streaming - des albums qui rapportaient le plus de revenus de streaming musical à Four Tet. Finalement, les parties ont réglé l’affaire à l’amiable. En décembre 2020, le juge du Tribunal d’entreprise de la propriété intellectuelle (IPEC) a accepté que Four Tet poursuive tout de même une action en rupture de contrat contre Domino, concernant le retrait des albums sur les sites de streaming pendant la période des poursuites.

En France, le mouvement se met progressivement en place, et l’année 2022 s’est avérée être vecteur de changement. En effet, le SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique), la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques) et de nombreuses autres sociétés de gestion de l’industrie musicale française ont signé le 12 mai dernier, sous la direction du Ministère de la Culture, un accord appelé Garantie de Rémunération Minimum (GRM). Cet accord prévoit une rémunération minimale aux artistes sur les plateformes de streaming. Il établit un taux de redevance minimum, et des forfaits spécifiques pour le streaming ainsi qu’une rémunération supplémentaire automatique lorsque des seuils d’écoute sont franchis. Ainsi, les musiciens bénéficieront désormais d’un taux de rémunération garanti sur les écoutes en ligne - les fameuses royalties - "supérieur à 10%". Les fruits d’un combat mené depuis longtemps pour accéder à une juste rémunération.

Ce qu’il faut savoir avant de se lancer dans la renégociation du partage des revenus sur le numérique et les streams.

Aussitôt que les artistes décident de se lancer dans la renégociation de l’accord qu’ils ont conclu avec leur maison de disques, ils doivent se préparer. Lorsqu’ils traitent avec des majors tels que Warner, Universal ou Sony, il y a deux aspects essentiels à prendre en compte.
Tout d’abord, la chose la plus importante à connaître est le contenu de l’accord d’enregistrement. En effet, il existe 3 types d’accords qui peuvent être conclus. Tout d’abord, un accord traditionnel, où la maison de disques obtient 85 à 90% des revenus et n’en reverse que 10 à 15%. Le label avance l’argent et, lors de la sortie des masters, les artistes bénéficient d’excellentes relations publiques, du prestige d’avoir pour maison de disques Warner ou équivalent. Le prix à payer pour cela est la faible proportion de royalties qu’ils obtiennent. Dans le cas d’un contrat à bénéfice net, il y a beaucoup moins de relations publiques et pas de budget important consacré à la campagne de marketing, Les artistes reçoivent 50 % du revenu net des enregistrements vendus (c’est-à-dire seulement ce qui reste après le paiement de tous les frais). Enfin, dans le cas d’un contrat à 360 degrés, les principales caractéristiques sont celles d’un contrat traditionnel, mais l’artiste-interprète obtient une part sur toutes les sources de revenu tels que les enregistrements télévisés.
Ensuite, un grand débat porte sur la nature des streams. Les streams sont par définition virtuels, intangibles puisqu’ils ne sont que des objets numériques. Ainsi, aucun fabricant n’est réellement impliqué dans le processus, comme c’était le cas avec les CD et les vinyles, ce qui justifiait la part plus importante pour la maison de disques. Se présente alors la question délicate de la qualification des streams en tant que ventes ou licences. Généralement, les redevances sur les licences sont de 50/50. S’il s’agit d’une vente, alors la règle du 10/90 d’un accord traditionnel s’applique. Frustration pour les artistes, la plupart des maisons de disques ont toujours affirmé que les streams constituent des ventes et non des licences. En particulier, aux États-Unis, il y a 10 ans, de nombreux artistes ont poursuivi leur maison de disques en justice, comme l’illustre l’affaire Eminem.
Dans cette affaire, la compagnie d’Eminem, F.B.T. Productions, affirmait que sa maison de disques, Universal Music Group, lui devait des royalties sur les ventes des chansons du rappeur via iTunes et d’autres points de vente numériques, en faisant valoir que la mise à disposition de sa musique pour le téléchargement était un accord de licence et qu’à ce titre, il devait avoir droit aux mêmes royalties de 50 % des recettes nettes qu’il obtenait pour les ventes de disques et de CD. Cependant, UMG prétendait que la mise à disposition de la musique d’Eminem pour le téléchargement était un accord de distribution, et qu’il avait droit à une plus faible part des revenus sur les ventes. Après trois ans de lutte et de nombreux rebondissements, Eminem a finalement gagné le combat des royalties contre UMG en octobre 2012.

Si l’on se projette dans l’avenir, les maisons de disques ne pourront plus compter sur leurs anciennes pratiques très longtemps dans cette nouvelle économie. La réputation des maisons de disques pourrait même être fortement entachée si elles refusent de renégocier le montant des royalties. L’avenir est prometteur pour les artistes-interprètes et les artistes, mais ils doivent se préparer et être prêts à convaincre non seulement les géants de cette industrie, mais également un éventuel juge, dans l’hypothèse où une négociation à l’amiable n’aboutirait pas.

Nathalie Dreyfus,
Conseil en Propriété Industrielle
https://www.dreyfus.fr/

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

0 vote

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs