Représentations des peines alternatives par les acteurs judiciaires de Lubumbashi.

Par Perry Grace Selemani, Avocat.

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Explorer : # peines alternatives # justice restauratrice # système pénal congolais # réinsertion sociale

Cet article a été réalisé dans le cadre d’une recherche scientifique. Il est important de signaler qu’elle a abouti à des résultats sans précédent. Il aide à comprendre le discours des connaissances autres sur la peine d’emprisonnement, dite encore de réclusion, de privation de liberté ou de servitude pénale. Cela à partir des perceptions philosophiques sociales et culturelles de la peine.

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Introduction.

Cet article se veut une recherche empirique. C’est pour cette raison que nous sommes allés sur le terrain pour récolter les points de vus des acteurs judiciaires sur la problématique de la peine de prison, privilégiée par les institutions pénales, la prison plutôt que d’autres peines alternatives, épicentre de la justice restauratrice. Dans cet exercice, nous avons eu un champ d’étude limité aux acteurs judiciaires de la ville de Lubumbashi en République Démocratique du Congo.
Le point de vue des acteurs recueillis oralement est suivi de nos propres commentaires pour les éclairer. Ces commentaires sont analysés ou éclairés à l’aide des extraits des auteurs savamment chevronnés en droit et autres sciences proches de nôtre objet d’étude. Chaque fois nous mettons les références pour les idées qui ne viennent pas de nous et nous constituerons à la fin une bibliographie.

Il est manifeste que la peine de privation de liberté ou d’emprisonnement est la plus utilisée en République Démocratique du Congo. Pourtant, d’autres alternatives sont aujourd’hui envisagées pour substituer à cette peine. Il n’est pas à dire que le Droit Congolais n’a pas prévu les peines alternatives, loin de là. Il est vrai que le Code pénal congolais prévoit des peines alternatives et ou d’autres peines. Il est aussi vrai que la peine d’emprisonnement est la plus administrée. Mais pourquoi cette préférence ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans cette recherche.

C’est avec raison, Jacques Faget disait que « toutes les représentations de la sanction sont envahies par l’image de la prison. Si bien que les justiciables, condamnés y compris, ont l’impression que toute autre sanction exprimerait l’indulgence, voire pour certains, le laxisme du tribunal. Rien d’étonnant dès lors que la prison mobilise l’essentiel des efforts des chercheurs eux-mêmes fascinés par ce monde invisible » (Jacques Faget, 2007 :149).

La prison intéresse plus d’un chercheur parce qu’elle est réputée pour protéger la société contre les criminels. Faut-il encore que cette réputation trouve un fondement solide conforme aux résultats escontés. Comme nous le verrons dans le point de vue des acteurs impliqués dans l’infliction des peines, pour les acteurs de la justice pénale, on ne peut pas abandonner la peine de prison, car ils estiment que celle-ci protège la société.

La justice restauratrice consiste quant à elle à « transformer les regards que portent les sociétés contemporaines sur la criminalité et les formes apparentées des comportements perturbants ainsi que la manière dont ils y réagissent » (GAILLY Philippe et alii, (2011 :21).

Parmi ces sociétés il y a la société de Lubumbashi sur laquelle se focalise la grande partie de cette recherche. Le regard de cette société vis-à-vis de la peine de prison et des alternatives à celle-ci est plus qu’intéressant dans notre entreprise. C’est pourquoi, en voulant comprendre ce que les acteurs judiciaires pensent des peines alternatives, nous les avons interrogés dans le but d’avoir les idées divergentes et éviter de rouler à sens unique dans notre article. Car comme on le dit dans le langage populaire à Lubumbashi et ailleurs, du choc des idées jaillis la lumière.

I. Les acteurs judiciaires.

Nous avons interrogé les acteurs judiciaires, dont les avocats et les juges.

1. Les avocats :

Maître Jules, avocat au barreau de Kinshasa- Matete et habitant de Lubumbashi dit que :

« Je pense que chaque Etat a une politique qu’il adapte au mental de sa population. Vous savez, la peine a pour raison principale de terrifier, de dissuader, de faire peur aux personnes pour qu’elles ne puissent pas commettre les infractions et interrompre la vie normale de la société. Il faut souligner qu’au Congo, les peines alternatives à la prison étaient reconnues à leur temps. Exemple, les travaux forcés, le fouet, l’amende etc., L’amende est reconnue à certaines infractions. Je pense que si nous prenons les peines alternatives notre population sera délinquante, parce que le congolais a peur de la prison que des autres peines.

Cependant, selon mon constat, même la prison ne parvient plus à rééduquer. La rééducation était sa mission principale, les gens sortent aujourd’hui plus délinquant en prison qu’avant d’y entrer. Qu’est faut-il maintenant faire ? Il faut chercher une peine plus forte que la prison. Il faut trouver une peine intermédiaire entre la prison et la peine de mort. Et c’est là où la tâche revient à Vous criminologues de nous trouver cette peine intermédiaire et qui soit honorable ».

Cet avocat de carrière, rencontrée dans son cabinet entouré de ses collègues de service, estime qu’il n’est pas question des alternatives qui rendraient la population plus délinquante. Pour lui, c’est la peur de la prison qui fait que les gens se comportent bien. Ce point de vue est partagé par plusieurs professionnels du droit et ne reste pour nous qu’une prétention. Il estime qu’il n’est pas question d’abandonner la peine de prison, mais au contraire il faut la durcir en cherchant une peine médiane entre la peine de prison et la peine de mort. C’est-à-dire qu’il faut chercher une peine plus dure que la prison et moins dure que la peine de mort car celle-ci n’est plus exécutée en RDC depuis un moratoire à son sujet. Toutefois il souligne que cette peine doit être « honorable ». Le mot « de peine honorable » a retenu notre curiosité. Il envoie les criminologues au travail.

Maître Oscar, Avocat au barreau du Haut Katanga dit que :

« Les alternatives sont prévues par le Code pénal. Vous parlez du bracelet électronique sous d’autres cieux ! Ça c’est de la torture ! C’est la bestialisation de l’homme ! La peine a pour mission de resocialiser le délinquant et de dissuader le délinquant potentiel. La peine de prison n’est pas à concevoir uniquement comme elle est ici au Congo, nous savons qu’il y a beaucoup à faire et à refaire.Toutefois, la meilleure justice c’est la Justice divine ».

Ce célèbre avocat que nous avons rencontré à l’intérieur de la maison du barreau de Lubumbashi, estime que les alternatives ne peuvent pas prendre le dessus sur la peine de prison. Car celle-ci sert à protéger la société en resocialisant les délinquants et en dissuadant ceux qui auraient en vue de choisir une carrière criminelle. Nous l’avons interrogé sur la possibilité du Congo d’intégrer le bracelet électronique comme peine alternative. Il s’y est opposé vivement en disant que c’est réduire l’homme à une bête, car dans les traditions congolaises comme africaine, on liait le grelot dans le coup d’un chien enragé pour que les gens soient informés du danger et que ceux qui peuvent l’éliminer le fasse. On ne saurait donc réduire le délinquant à un chien enragé ni à une bête. Pour lui le bracelet électronique n’est rien de plus qu’un grelot moderne. Cela nous a fait penser à une dimension culturelle de la peine et des peines alternatives.

2. Les juges.

Madame Ngongo, juge rencontrée dans son bureau au palais de justice de Lubumbashi dit que :
« Le code pénal congolais, prévoit des peines alternatives à la peine desprison. Par exemple le sursis, ici la personne est condamnée mais ne vapas en prison. En effet, son casier judiciaire est entaché et cela peut avoirdes conséquences sur ses droits civiques tels que la question de l’éligibilité. Je soutiens cependant que la peine de prison sert à protéger la société contre les criminels ».

Pour cette dame qui est aussi juge de profession, la peine de prison reste championne en matière de protection de la société que toute autre peine. C’est peut-être pour cela que tout le monde la privilégie comme peine efficace.

Monsieur Patrice, juge rencontré au palais de justice de Lubumbashi lui pense que :
« Nous savons que la prison a échoué sa mission de resocialisation.Que les prisons arrivent à être surpeuplées et souvent leurs objectifs ne sont pas atteints. Mais la prison reste la peine reconnue par les Etats. Vous savez bien que les délinquants sont des hors la loi qu’il faut mettre hors d’état de nuire. Lorsque l’ordre public est perturbé l’Etat doit intervenir ;
La médiation n’est pas démise en droit pénal congolais car la loi donne le monopole de dire le droit aux seuls cours et tribunaux. Si quelqu’un s’y oppose il est le seul responsable. La médiation peut intervenir en matière civile, si les parties s’accordent dans le respect de la loi, la morale et les bonnes mœurs, le juge peut le constater par un jugement d’expédiant.
 »

Pour ce juge, les alternatives doivent être exercées par les cours et tribunaux. Et pas question de la médiation pénale. Et même la médiation en matière civile doit être soutenue par le juge. Cette réponse résulte de la question que nous lui avons adressée de savoir pourquoi, les juges aussi préfèrent infliger la peine de prison, alors que la loi leur donne la possibilité d’infliger plusieurs peines alternatives.

II. Analyse.

La fonction quasi unique reconnue à la prison est la réinsertion et la neutralisation du délinquant dans le but de protéger la société. Les défenseurs de cette institution reconnaissent cet argument et le défendent avec leur énergie. Maurice Cusson affirme que « la réinsertion sociale des délinquants est un fait indiscutable. Toutefois, les doutes et le débats persistent à propos de l’efficacité différentielle des mesures mises en œuvre pour provoquer cette réinsertion ou de l’accélérer. » (Maurice CUSSON, 2005 :133).

Les partisans Lushois, de cette institution, ne nous ont pas permis non plus de comprendre ces mesures qu’on pourrait adapter pour la réussite de cette réinsertion. Ils se contentent de nous dire que la prison a pour mission de protéger la société mais que cette mission a échoué.
La prison ne satisfait pas à sa prétention d’insertion, car elle n’arrive pas à transformer ce que Blatier appelle « la personnalité criminelle » définie comme la somme des modes comportementaux actuels ou potentiels déterminés par l’hérédité ou l’environnement (Catherine Blatier, 2014 :5).

On peut cependant se demander si la personnalité criminelle peut être transformée par un enfermement sans aucune autre mesure de conscientisation. Car ce point de vue fondé sur la criminologie du passage à l’acte, considérant le délinquant comme criminel-né, oriente à un contrôle social plus sévère de la délinquance et du délinquant conçu comme un monstre.

Bien que toutes les peines s’équivaillent et qu’il y ait des récidives partout, comme le reconnaît Cusson, il n’y a donc pas de fondement d’apprécier uniquement la peine de prison comme la seule efficace. Mais parmi les causes de cette préférence, il y a aussi l’ignorance des justiciables. C’est pourquoi on peut recourir aux alternatives comme on le fait pour la prison. En Belgique, certaines missions des maisons des justices sont telles que : « former et informer à propos des mesures judicaires alternatives,(…) lancer et entretenir un dialogue systématique entre les différents acteurs du monde judiciaire au sens large,(…) des missions d’enquête civile et d’encadrement pour promouvoir la médiation etc. » (Acte du colloque du 26 avril 2011 : 99).

Dans le droit belge, les alternatives sont utilisées, sans que la prison soit supprimée. Pourtant, longtemps le droit congolais a été considéré comme une copie conforme du droit Belge. Les critiques du système pénale, lui reproche sa prétention d’administrer des punitions, justes proportionnées et dissuasives alors que dans la pratique, il ne le fait pas.

Dans son Crime, shame and reintegration, il soutient que les sociétés dont les taux de criminalités sont les plus bas, couvrent de honte le comportement criminel de manière la plus efficace. Il distingue ainsi, faire honte dans le but de réintégrer et stigmatiser. Le premier prévient la criminalité alors que le deuxième aggrave le problème.

Pour cet auteur, la stigmatisation fait honte en créant des exclus, elle est irrespectueuse et humiliante. Elle traite les délinquants comme des gens mauvais, ayant commis des actes malveillants.
Par contre la reintegrative shaming désapprouve l’acte mauvais tout en traitant la personne comme bonne. Cela veut dire condamner l’acte, mais d’une manière qui soit respectueuse de la personne (Philippe Gailly et al. Op cit p. 114).

Pour l’auteur, si l’on saisit cela c’est alors qu’on peut comprendre pourquoi mettre plus de policiers dans la rue augmenterait la criminalité. Cette augmentation peut accroître la criminalité si ces policiers s’occupent de la criminalité de manière stigmatisante et à l’inverse, cette augmentation peut réduire la criminalité, si ces policiers s’occupent de la population de manière à assurer leur intégration.

Il souligne également que la construction des nouvelles prisons, pourrait aggraver le problème de la criminalité. Mais comment et pourquoi ? Pour lui, une augmentation de la population carcérale dissuade certains et empêche d’autres à commettre certaines infractions comme le braquage des banques dans la mesure où il n’y a pas de banques à braquer en prison, même s’il y a certains à dépouiller. Mais en raison de leur effet stigmatisant, les prisons empirent les choses pour ceux dont l’incarcération vient affirmer l’identité criminelle, pour ceux que la stigmatisation mène à chercher un réconfort dans la compagnie d’autres exclus, pour ceux qui considèrent la prison comme une institution d’enseignement permettant l’acquisition des nouvelles compétences utiles sur le marché hors- la- loi.

Conclusion.

Nous arrivons à la fin de cette dissertation qui a examiné les points de vue des acteurs judiciaires sur les peines alternatives. Nous avons vu que certains estiment qu’il n’y a pas des peines alternatives pour les criminels, car la prison protège la société contre leurs actes ignobles et d’autres les amendes et le travail d’intérêt général sont les alternatives privilégiées.

Dans nos analyses, nous avons adopté une perspective critique vis-à-vis de nos données de terrain. Nous avons trouvé que les partisans de la peine de prison y sont attachés, car d’abord ils ont été formés de cette façon, en suite, la prison est l’une des institutions qui le font vivre. Ils sont de ceux qui reçoivent les fruits des interactions de ce que Karl Marx appelle, les bénéfices secondaires du crime. La chaine pénale, (police, tribunal, prison) fait fonctionner plusieurs institutions sociales déployées pour combattre le crime et les personnes affectées à cette lutte ne préfèreraient pas aller au chômage, devenir des sans-emplois.

C’est avec raison qu’Antoinette Chauvenet, dit dans son article qu’ :
« après une période où, dans le discours public, la prison devait tirer sa légitimité interne de l’ensemble de mesures visant la réinsertion sociale des détenus, par le travail, l’éducation, les politiques de maintien des liens familiaux et l’individualisation de la peine, et face aux échecs de ces politiques dont témoigne la récidive, il semble bien aujourd’hui que l’on tente de donner une nouvelle légitimité à la prison »( Dan Kaminsji et Michel Kokoreff, 2004 : 274). Ce sont les entrepreneurs des morales collectives qui se donnent à cette tentative.

Bibliographie :
- Acte du colloque du 26 avril 2011, L’Aide juridique et les maisons de justice, vers une justice plus citoyenne ? Une publication de l’ordre des avocats du barreau de Nivelles, du Département de criminologie et de droit pénal de la Faculté de droit de l’UCL et de la maison de justice ;
- Blatier Catherine, (2014) Les personnalités criminelles, évaluation et prévention, Paris, Dunod ;
- Code Pénal congolais (Zaïrois) art.5 ;
- Cusson Maurice, (2005), La criminologie, 4ème éd. Paris, Hachette ;
- De Lagasnerie Geoffroy, (2016) Juger, l’Etat pénal face à la sociologie, Paris, Fayard ;
- Faget Jacques, (2007), Sociologie de la délinquance et de la justice pénale, Paris, Editions Erès ;
- Gailly Philippe et alii, (2011), La justice restauratrice, Bruxelles, éd. Larcier ;
- Kaminski Dan et Kokoreff Michel, (2004) ;
- Sociologie pénale : système et expérience. Pour Claude Faugeron, Paris, Erès.

Est assistant de recherche à l\’Université de Lubumbashi et également avocat au Barreau près la Cour d\’Appel de Kinshasa Matete

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 14 décembre 2019 à 09:57
    par Me. Triplon EHUTA , Le 9 décembre 2019 à 22:58

    Cet article lancé par Maitre SELEMANI PERRY GRACE, sur les représentations des peines alternatives est très capital dans le sens que la nature insidieuse des mesures alternatives à l’emprisonnement doit être interrogée. Cependant, les changements de contexte socio-économique et les exigences de la paix civile posent d’une autre façon la question des alternatives. Aujourd’hui, celles-ci ne prennent pas seulement sens par rapport à la prison mais de plus en plus par rapport aux besoins sociaux des populations qui en font l’objet et à l’ensemble des logiques du système de justice. Merci beaucoup pour cet apport.

    • par Maitre Perry Grace SELEMANI , Le 14 décembre 2019 à 09:57

      Merci beaucoup à toi mon frere et confrere, Maitre Triplon ONANDJO,

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