Responsabilité civile : la faute inexcusable en matière d'accidents de la circulation. Par Kilian Haddad, Étudiant.

Responsabilité civile : la faute inexcusable en matière d’accidents de la circulation.

Par Kilian Haddad, Étudiant.

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Explorer : # responsabilité civile # accidents de la circulation # faute inexcusable # indemnisation des victimes

Ce que vous allez lire ici :

En 2019, la Cour de cassation a confirmé que la faute inexcusable n'était pas caractérisée dans un cas d'accident de deux mineurs à vélo, renforçant ainsi le régime d'indemnisation des victimes. Cette décision complique la qualification de la faute et crée des défis pour les assureurs dans l'évaluation des risques.
Description rédigée par l'IA du Village

La faute inexcusable en matière d’accidents de la circulation peut priver une victime conductrice de toute indemnisation. Cette notion, qui s’inscrit dans le régime spécial de la loi Badinter, soulève de nombreuses interrogations tant en matière de qualification que d’application jurisprudentielle. Quelles sont les conditions retenues par les juges ? Comment cette faute est-elle appréciée ? Cet article portant sur l’arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation en date du 28 mars 2019 (18-14.125 18-15.855), propose un éclairage sur les principes et les décisions récentes en la matière.

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Le régime de responsabilité des accidents de la circulation a, par sa création en 1985, favorisé l’indemnisation des victimes des accidents de la circulation. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt de cassation rendu en date du 28 mars 2019 (18-14.125 18-15.855), s’inscrit dans ce mouvement sur la caractérisation de la faute inexcusable.

En l’espèce, deux mineurs se déplaçaient de nuit sur une route départementale. Ils ont été heurtés par un véhicule arrivant en sens inverse et effectuant un dépassement. L’accident a entraîné le décès de l’un des mineurs et des dommages pour le second.

L’assureur du conducteur de la voiture assigne en justice les parents des mineurs afin de les priver de tout droit à indemnisation en raison de fautes inexcusables. Les frères et grands-parents du défunt interviennent volontairement à l’instance. Un jugement a été rendu en première instance dont il a été interjeté appel. La cour d’appel, par un arrêt du 16 janvier 2018, fait droit aux demandes de l’assureur. Les familles se pourvoient alors en cassation et une jonction de pourvois s’opère.

La cour d’appel décide que les mineurs ont commis une faute inexcusable qui est la cause exclusive de l’accident. Elle affirme qu’ils ont pris volontairement la décision d’emprunter la route départementale au lieu de la piste cyclable, alors qu’ils ne disposaient d’aucun éclairage et d’équipement lumineux ou réfléchissant. En outre, ils avaient connaissance des lieux et avaient conscience du danger du fait de leur âge. Par conséquent, leur droit à indemnisation sur les conséquences dommageables de l’accident est exclu.

Ainsi, la question posée à la Cour de cassation était celle de savoir si un individu en bicyclette en âge d’avoir le discernement nécessaire pour connaître les dangers d’une route départementale en bicyclette, qui plus est en l’absence d’équipements de sécurité, est sujet à la faute inexcusable en cas d’accident de la circulation.

La Cour de cassation répond par la négative en cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. Elle affirme que “seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience”. En l’espèce, au regard des éléments factuels, l’existence d’une faute inexcusable n’est pas caractérisée.

Par cet arrêt, les juges du Quai de l’Horloge renforcent l’enjeu du régime de responsabilité des accidents de la circulation : favoriser l’indemnisation des victimes (I). Néanmoins, en contrepartie, ils rendent, difficile tant pour les juges que les justiciables l’opération de qualifier la faute inexcusable (II).

I/ Le renforcement d’un régime favorisant l’indemnisation des victimes.

La Cour de cassation favorise l’indemnisation des victimes en imposant une interprétation stricte de la faute inexcusable (A) tout en ajoutant cet arrêt à la jurisprudence, toujours constante en la matière (B).

A) L’interprétation stricte de la faute inexcusable.

L’arrêt étudié présente une interprétation stricte de la faute inexcusable en ce que cette dernière doit être une “faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience”. Cette faute inexcusable est ainsi soumise à l’appréciation in concreto des juges. La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé à plusieurs reprises que les fautes s’apprécient indépendamment les unes des autres. Sa décision repose ici sur l’interprétation stricte de l’article 3 alinéa 1 de la loi de 1985 qui exclut l’indemnisation des victimes uniquement si la faute avait été la cause exclusive de l’accident. Or, l’accident est également la cause d’une conduite à risque de la part du conducteur du véhicule terrestre à moteur qui “arrivait en sens inverse et effectuait une manœuvre de dépassement”.

Dans le cas d’espèce, la faute inexcusable aurait pu être retenue, au détriment des parents des victimes puisqu’ils étaient chargés d’informer leurs enfants sur l’utilisation d’une route départementale à bicyclette alors que des pistes cyclables auraient dû être utilisées. Néanmoins, la juridiction suprême refuse de faire droit à ce raisonnement en considérant, au contraire, que la réunion de tous les éléments ne suffit pas à caractériser cette faute. La faute inexcusable demeure par conséquent un concept difficile à mettre en place en ce que certaines circonstances sont plus à même de favoriser le déploiement de celle-ci alors que d’autres, également sujettes à débat, le permettent moins. Toutefois, comme l’affirme le Professeur Philippe le Tourneau “étant donné les conséquences d’une telle qualification, élevée dans l’échelle des fautes, elle ne peut être retenue que si elle est constatée : le juge ne saurait la présumer ni se contenter d’une simple apparence”. De fait, il expose ici l’idée que la faute inexcusable doit être clairement définie et cela renvoie ainsi aux concepts de faute volontaire, caractérisée par l’intention même de nuire, et de gravité exceptionnelle, Enfin, la faute inexcusable se caractérise par la conscience et donc la connaissance du danger auquel l’individu s’expose.

Ainsi, conformément aux concepts précis auxquels la faute inexcusable renvoie, il convient naturellement de s’interroger sur son utilisation et sur son appréciation.

L’enjeu auquel elle renvoie demeure toujours aussi important, et à l’instar d’autres exonérations d’indemnisation, il convient de se demander si la jurisprudence s’accorde sur son appréciation.

B) La constance de la jurisprudence sur la définition de la faute inexcusable.

Cet arrêt du 28 mars 2019 ne constitue pas une décision nouvelle ou un revirement jurisprudentiel d’envergure qui viendrait basculer le régime spécial des accidents de la circulation dans une nouvelle perspective. En effet, l’objectif du législateur a été de favoriser les victimes avec l’adoption de la loi Badinter du 5 juillet 1985. L’appréciation “stricte” étudiée précédemment s’intègre d’ailleurs dans cette dimension puisque qu’une appréciation ‘stricte’ de la faute inexcusable reviendrait à ne retenir que des situations au caractère exceptionnel - qui par ailleurs n’a jamais été clairement défini - et donc de placer l’indemnisation des victimes comme priorité au sein de ce régime spécial. L’arrêt du 28 mars 2019 poursuit ainsi cette application quasi-constante d’indemnisation des victimes en matière de faute inexcusable et confirme ainsi la jurisprudence depuis 1987.

Ces jurisprudences en matière de faute inexcusable sont assez nombreuses. La faute inexcusable a été définie comme « une faute volontaire, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » suite à une série de six arrêts rendus le 20 juillet 1987 [1]. La persistance des hauts magistrats à vouloir épargner les victimes de la faute inexcusable s’est par ailleurs démontrée par l’obligation des juges du fond à caractériser tous les éléments de la faute si elle devait être reprochée aux victimes. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a d’ailleurs également décidé de protéger les piétons dans un arrêt du 10 novembre 1995 [2] ou en état d’ébriété, un piéton se fait renverser par un automobiliste, mais qui n’est finalement pas frappé par la faute inexcusable bien que la décision de deuxième instance l’ait voulu. C’est dans cette continuité que la Cour de cassation a par exemple estimé que le fait, pour un piéton, de circuler de nuit, sur la voie de gauche d’une route non éclairée, par temps de pluie et en état d’ébriété, ne pouvait pas être qualifié de faute inexcusable [3].

La jurisprudence depuis 1987 démontre ainsi une constance jurisprudentielle que vient confirmer l’arrêt du 28 mars 2019. En effet, la Cour de cassation et le législateur, en vertu de la loi du 5 juillet 1985, ont décidé de renforcer l’indemnisation des victimes par une application stricte de cette faute inexcusable, seule exonération possible pour les victimes des accidents de la route. Toutefois, si la faute inexcusable se caractérise par différents éléments, elle demeure néanmoins difficilement qualifiable par les magistrats.

II/ La difficile qualification de faute inexcusable.

La Cour de cassation, par son choix de favoriser l’indemnisation des victimes, rend difficile la qualification de faute inexcusable. En effet, son manque de motivation sur l’absence de faute inexcusable en l’espèce est critiquable (A), lequel met en difficulté les assureurs dans leur objectif d’anticiper les cas d’indemnisation puis leur rôle d’indemniser les victimes (B).

A) Le défaut de motivation sur l’absence de faute inexcusable.

L’arrêt étudié casse et annule la décision de la cour d’appel qui avait débouté les parents des cyclistes de leur demande sur motif de la faute inexcusable. Cette décision de ne pas frapper les victimes de la faute inexcusable reste légitime au vu de la jurisprudence, mais demeure toutefois dans le cas d’espèce légèrement argumentée. La décision est uniquement soutenue au visa de l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985 et l’économie de motifs dont fait preuve la Cour de cassation pour soutenir sa décision est à souligner. Cela est d’autant plus mis en exergue que la cour d’appel effectue elle, un effort de justification dans l’utilisation de la faute inexcusable à l’égard des victimes. En outre, les termes définissant la faute inexcusable relatifs aux arrêts du 20 juillet 1987 pourraient s’appliquer au cas d’espèce. Toutefois, la pratique demeure éloignée de l’aspect théorique conçu en ce que cette faute inexcusable ne semble pas être retenue au vu du comportement douteux du conducteur. De surcroît, la Cour de cassation effectue un contrôle ‘abstrait’ en ce qu’elle ne vérifie pas concrètement l’absence des éléments constituant la faute inexcusable.

La cour d’appel dans son raisonnement estime que les mineurs de 16 et 17 ans, en raison de leur âge, et de leur connaissance des lieux, bénéficiaient du discernement nécessaire pour mesurer le danger, d’autant plus qu’ils connaissaient les lieux et donc la vulnérabilité de l’utilisation de leur bicyclette sur cette route. En effet, la cour d’appel transpose les différents arguments soutenant sa décision au travers de deux fondements : celui de la volonté puisque les deux mineurs auraient “volontairement de nuit, décidé d’emprunter la route départementale” et celui de la conscience, car “âgés de 16 et 17 ans ils avaient conscience du danger comme cela ressort des auditions”. D’un point de vue juridique, cette qualification binaire pourrait suffire à justifier l’utilisation de la faute inexcusable, en ce que l’article 3 Al. 1 de la loi de 1985 considère que ces caractéristiques de volonté et de conscience sont indispensables à la qualification de la faute inexcusable. Toutefois, l’application faite par la cour d’appel de la définition des termes aux faits d’espèce demeure trop légère et le caractère d’exceptionnelle gravité ne saurait être ainsi retenu si l’on devine la motivation qu’aurait pu tenir la Cour de cassation. De cette manière, la deuxième chambre civile refuse de définir la notion d’exceptionnelle gravité, laissant donc les juges du fond dans l’incertitude pour leurs futurs jugements.

En conséquence, la Cour de cassation conformément à sa décision interprète l’article 3 dans son ensemble et en fait un attendu de principe auquel toute la décision se réfère. Cette décision prévoit à termes nombre de conséquences pour les justiciables et les entités en charge de leurs assurances.

B) La mise en difficulté des assureurs dans l’indemnisation des victimes.

Aux premiers abords, l’arrêt semble être anodin en ce qu’il ne fait que suivre une lignée jurisprudentielle et plus largement le mouvement du droit en faveur des victimes. Néanmoins, comme les arrêts précédents, celui-ci n’est pas sans conséquences notamment d’un point de vue économique et social. En effet, les assureurs sont les premiers affectés par ces arrêts.

Les assureurs, afin de créer leurs modèles économiques d’indemnisation, doivent anticiper ce que va être le droit et calculer les risques liés à leurs assurés. Dans la survenance d’un sinistre avec la déclaration du dommage par le souscripteur, l’assureur, tant de l’auteur que de la victime de l’accident, est le premier, avant le juge, qui doit déterminer si une faute est excusable ou inexcusable. Plus largement, et heureusement une certaine sécurité juridique règne, la stabilité de la définition de faute inexcusable est primordiale pour la viabilité des modèles économiques et la création des conditions particulières auxquelles souscrivent les assurés.

La tâche de l’assureur est aussi de faire la distinction entre l’alinéa 1 et l’alinéa 3 de l’article 3 de la loi de 1985 puisque la définition de la faute fait écho à cet alinéa 3. En effet, il fait exception aux deux alinéas précédents en disposant qu’il n’y a pas d’indemnisation lorsque le dommage a été volontairement recherché. Une distinction se crée ainsi entre faute inexcusable et faute recherchée où l’assureur doit impérativement déterminer si l’une ou l’autre de ces fautes est retenue. La différence tient à l’origine de l’intention. Une opposition se crée entre l’intention de prendre la route en ayant connaissance du danger - prendre le risque - et l’intention de subir le dommage - assumer le risque.

Les assureurs sont donc mis en difficulté dans ce régime spécial d’indemnisation et n’ont que très peu de marge de manœuvre dans l’indemnisation de leurs assurés, tant victimes qu’auteurs d’accidents de la circulation. Cette faute inexcusable et le régime d’exclusion d’indemnisation reflète ainsi la spécificité, le caractère spécial du régime, par son opposition avec la faute de la victime dans les régimes communs de responsabilité. Dans ces cas, une absence totale d’indemnisation est possible quand la faute est à l’origine exclusive du dommage. L’indemnisation sera, en revanche, partielle quand la faute n’est pas exclusivement à l’origine du dommage.

Kilian Haddad
Étudiant en Licence de Droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Stagiaire juridique chez Ziegler & Associés

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Notes de l'article:

[1Civ. 2e, 20 juill. 1987, n° 86-11.582.

[2Cass, ass. plén., 10 nov. 1995, n°94-13.912.

[3Civ. 2e, 30 juin 2005, n° 04-10.996.

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