Responsabilité vétérinaire : quand le dépôt salarié s’immisce dangereusement dans le contrat de soin.

Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.

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Explorer : # responsabilité vétérinaire # contrat de soins # dépôt salarié # procédure judiciaire

Ce que vous allez lire ici :

Une jument confiée à un centre de reproduction est décédée après un incident pendant une échographie. La cour a dû se prononcer sur la responsabilité du vétérinaire en lien avec deux contrats signés. Le jugement en première instance a été annulé, alors que des questions de respect du contradictoire et de responsabilité ont été soulevées.
Description rédigée par l'IA du Village

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse RG n° 21/00848 du 28 mai 2024 a évoqué la responsabilité du vétérinaire sous l’angle de son obligation de surveillance et non dans le cadre plus classique de son obligation d’information et de soins.

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Rappelons brièvement les faits :

Une jument a été confiée à un centre de reproduction. Dans ce cadre, deux contrats ont été signés par le propriétaire : un contrat d’insémination et un contrat de pension.

Aux termes du premier, le propriétaire de la jument a autorisé le vétérinaire qui en a la charge de procéder aux examens gynécologiques et généraux nécessaires, aux suivis échographiques et à l’insémination de la jument.

Or lors d’une échographie, la jument placée dans la barre de contention pour son suivi gynécologique a violemment tiré au renard. Suite à cet incident, la jument a présenté des symptômes neurologiques faisant suspecter un œdème cérébral. Elle est décédée deux jours plus tard.

Si la cour d’appel a pris la peine de distinguer ce qui ressortait du contrat de soin et ce qui relevait du contrat de dépôt, ce qui s’entend puisque deux contrats différents ont été souscrits, la cour s’est néanmoins laissé embarquer dans une application quelque peu extensive du dépôt salarié.

Sur la validité du jugement rendu en l’absence du défendeur.

Un premier problème procédural a opposé les parties. Le vétérinaire et son assureur soulevaient la nullité du jugement qui avait été rendu en leur absence et qui les avait condamné à la somme vertigineuse de 150.000€ de dommages et intérêts. Il faut reconnaitre que l’assureur du vétérinaire avait quelques arguments :

  • L’assignation avait été délivrée le 3 novembre 2020 au Vétérinaire, mais seulement le 15 janvier 2021 et à sa compagnie d’assurance, sans mentionner la date de l’audience fixée au 4 février 2021. Or l’article 751 du Code de procédure civile dispose depuis le 1er janvier 2021, que l’assignation devait faire figurer une date d’audience communiquée par le greffe.
  • À l’audience du 4 février 2021, en l’absence des deux défendeurs, le tribunal avait immédiatement clôturé la procédure, examiné l’affaire et mis l’affaire en délibéré au 16 février 2021.

Toutefois, la cour d’appel a considéré au vu de l’article 763 du Code de procédure civile, qui oblige le défendeur de constituer avocat dans le délai de 15 jours, que le respect de cette obligation aurait permis au défendeur de solliciter un renvoi de l’affaire à la mise en état du 4 février.

La sanction était sévère pour le vétérinaire et surtout son assureur condamné en première instance et dont la demande de suspension de l’exécution provisoire avait été rejetée par le premier président de la cour d’appel.

Retenons sur ce point que l’absence de constitution dans le délai de 15 jours suffit à considérer que le principe du contradictoire est respectée si le Tribunal décide de clôturer l’affaire dès la première audience, comme il en a la possibilité.

Au vu de cette décision, rappeler à ses client la nécessité de transmettre l’exploit introductif d’instance à leur conseil dès réception et au pire dans les meilleurs délais, parait une sage précaution.

Sur le fond, cependant les arguments des appelants furent entendus par la cour qui infirma le jugement en toutes ses dispositions après avoir examiné la responsabilité du vétérinaire sur le fondement du contrat de soins (I) ce qui est classique mais aussi sur le fondement du dépôt salarié (II) ce qui l’est moins et parait contestable en l’espèce (III).

I- Sur le contrat d’insémination, qualifié de contrat de soins.

Un contrat d’insémination s’analyse bien en un contrat de pension, puisqu’on suppose que la jument était confiée au centre de reproduction jusqu’à ce que sa gestation soit confirmée soit une durée d’environ 3 semaines minimum. Le premier contrat prévoyait expressément que le propriétaire de la jument, avait connaissance des risques de lacération rectale au cours des actes d’insémination artificielle, mais aussi des risques d’accidents à la contention, pouvant dans les cas graves entraîner la mort de la jument.

Aussi le propriétaire avait accepté expressément, les risques inhérents à tout acte médical, thérapeutique ou contention chimique visant à sécuriser les actes, améliorer ou maîtriser la fertilité.

L’existence de cette clause est fondamentale dans l’hypothèse d’une lacération rectale, dans la mesure où la jurisprudence a pu estimer que, même l’éleveur professionnel n’est pas forcément informé des risques de lacération rectale (étant précisé qu’en l’espèce ce n’est pas ce risque qui s’est produit) la sanction du non-respect de l’information étant une perte de chance de renoncer à l’acte dont le pourcentage est apprécié souverainement par les juges [1].

En l’espèce c’est au moment de la mise à la barre et avant que le dispositif ne puisse être sécurisé, que la jument a « tiré au renard » et s’est renversée avec violence.

La cour rappelle que l’acte d’insémination de la jument est bien un contrat de soin qui oblige le propriétaire à démontrer la faute du vétérinaire.

Cette affirmation est heureuse et était attendue. La jument examinée et fouillée par le vétérinaire, est l’objet d’une action humaine, elle est manipulée en vue d’une prestation médicale, elle a donc un rôle actif caractéristique du contrat d’entreprise, conformément à la distinction, obligation de sécurité de moyen, obligation de sécurité de résultat, selon que le créancier a ou non l’entière maîtrise des évènements.

S’il est clair que « cheval attaché rime souvent avec danger », cette constatation ne doit pas systématiquement entraîner la responsabilité de celui qui gère le cheval.

C’est à juste titre que la cour d’appel va considérer que la preuve de la faute du vétérinaire n’est pas rapportée au vu de plusieurs éléments : tout d’abord l’éleveur avait agréé les installations (les juges font expressément référence au contrat signé), la présence d’anneaux sur les barres de contention était conforme à la fiche technique de l’IFCE, le vétérinaire n’avait pas l’obligation de prévoir une personne en plus à la tête de la jument, et enfin sachant que le contrat faisait expressément référence aux risques d’accident de contention la cour en déduit que c’est la démonstration que la jument pouvait être attachée à des anneaux sans que le propriétaire ne puisse prétendre ne pas en être informé.

Rappelons que la Cour d’appel de Toulouse le 27 février 2017 (Voir l’article La responsabilité du professionnel à qui le cheval est confié) avait également rejeté la demande formulée contre l’entraîneur d’un cheval qui après une séance de travail, avait été attaché dans le local de douche où il s’était renversé.

II- Sur l’application du dépôt salarié, postérieurement à l’accident.

Comme l’y invitait le propriétaire du cheval, la cour d’appel va analyser la responsabilité du vétérinaire sur le fondement du dépôt salarié (1927 et 1928 du Code civil). Si Le vétérinaire n’est en principe tenu que d’une obligation de soins lorsque le cheval n’est pas hospitalisé, raisonner sur le fondement du dépôt salarié pouvait être légitime à deux titres. Tout d’abord, un deuxième contrat expressément nommé « contrat de pension » avait été signé entre le propriétaire et le centre d’insémination, puisque la jument était confiée pour plusieurs semaines, le temps de permettre son insémination et la vérification de son état de gestation. En outre, la jument est présumée être en parfaite santé, la gestation n’étant évidemment pas une maladie mais à l’inverse, l’objet même du contrat.

Néanmoins, c’est là qu’il existe un risque de confusion qui nous parait dangereux pour le vétérinaire, le propriétaire reprochait au vétérinaire de ne pas avoir bien surveillé la jument après l’accident et ce jusqu’à son décès deux jours plus tard.

Or, compte tenu de l’accident et de la blessure de la jument, le vétérinaire n’était pas censé seulement surveiller la jument, mais aussi la soigner pour tenter de limiter les conséquences neurologiques de la chute ayant entraîné des traumatismes secondaires à l’atteinte cérébrale. Le vétérinaire ne faisait pas que surveiller un cheval bien portant, il apportait des soins et une surveillance continue et intensive à une jument victime de graves lésions qui ont entraîné une issue mortelle.

Pourtant la cour accepte de suivre l’argumentation du propriétaire en faisant appel aux règles du dépôt salarié pour vérifier si le praticien a ou non, engagé sa responsabilité. Toutefois, la cour ne tire pas toutes les conséquences des règles du dépôt salarié, puisque dans sa motivation elle raisonne comme si le vétérinaire était tenu d’une simple obligation de moyen comme cela ressort de ses attendus : ainsi la cour relève que : « il n’est pas établi que ce dernier (le vétérinaire) n’ai pas apporté de soins ou une surveillance qui aurait permis d’empêcher le décès de la jument ». Or sachant que le dépôt salarié entraîne une présomption de faute, les juges d’appel auraient dû relever que : le vétérinaire rapporte bien la preuve qu’il a apporté des soins et une surveillance adaptée, démontrant qu’il n’a pas commis de faute, le décès ne lui étant pas imputable à faute. La cour analyse les obligations du vétérinaire comme provenant d’un contrat de dépôt salarié, mais…. elle applique le régime du contrat de soin. Elle ne tire donc pas les conséquences juridiques de la qualification qu’elle applique.

III- Le dépôt salarié, une qualification risquée pour le vétérinaire.

Tout comme les autres professionnels ayant le cheval en garde, le vétérinaire, doit s’opposer à une application extensive voire abusive du dépôt salarié. Dans certaines hypothèses, il est parfaitement justifié : chaque fois que le cheval confié en garde est victime d’une pathologie qui est sans aucun rapport avec les raisons pour lesquelles il a été hospitalisé.

Un arrêt rendu en 2012 par la Cour d’appel de Paris [2] en est une illustration parfaite : un cheval est hébergé par une clinique vétérinaire en vue d’une opération du cornage. Après l’opération qui est réussie le cheval retourne dans son box. Or un camion pénètre dans la clinique et percute le toit du box ce qui effraie le cheval qui se blesse gravement. La responsabilité de la Clinique sera retenue sur le fondement du contrat salarié ce qui est parfaitement justifié dès lors que le cheval a été victime de lésions dues à son agitation dans le box, sans rapport avec l’opération de cornage et du fait d’un évènement externe à l’état de santé ayant justifié son hospitalisation ; La cour jugera que l’agitation du pur-sang était prévisible sans que la Clinique justifie avoir apporté la surveillance et les diligences nécessaires.

À l’inverse l’arrêt de la Cour d’appel de Caen rendu le 6 février 2024 [3] n’aide pas à éclaircir le débat. Un poulain fut référé à une clinique vétérinaire après sa naissance, parce qu’il avait du mal à se tenir debout et à s’alimenter seul. Le poulain décéda deux heures après son hospitalisation d’une hémorragie liée à une perforation du péricarde vraisemblablement liée à des côtes fracturées dont le moment où ces fractures se sont produites est resté incertain (au moment de la naissance, pendant le transport ou à la clinique). Le propriétaire du poulain soutenait que la fracture des côtes s’était produite alors que le poulain était hospitalisé du fait d’un défaut de surveillance de la Clinique. Il aurait suffi aux magistrats de considérer que le moment de la fracture n’étant pas connu, la Clinique ne pouvait être tenue des règles du dépôt salarié. C’est en effet au dépositaire de prouver que le dommage s’est produit de manière certaine lors du dépôt et non l’inverse. [4].

Les juges de la Cour d’appel de Caen ont cependant considéré que la clinique devait rapporter la preuve que la fracture des côtes s’était produite avant l’entrée en clinique, (ils ont donc renversé la charge de la preuve) alors que cette preuve était impossible, ou bien devait prouver qu’elle avait donné à l’animal les mêmes soins que si le poulain lui avait appartenu, en application des règles du dépôt salarié [5]. Or en faisant référence au mot « soin » dont le poulain avait été l’objet, la frontière avec le contrat de soins proprement dit est ténue et le risque de confusion probable.

Le vétérinaire qui subit déjà de multiples actions des propriétaires des animaux qu’il soigne (obligation de conseil et d’information, de soins, de continuité des soins) doit faire preuve d’une grande vigilance pour s’opposer à une extension injustifiée des obligations nées du dépôt salarié, susceptibles d’aggraver les conditions de sa responsabilité.

Blanche de Granvilliers-Lipskind
Avocat à la Cour, Docteur en droit,
Membre de l’Institut du Droit Equin et de la commission droit de l’animal
https://www.degranvilliers.com/

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Notes de l'article:

[1Cf. Cour de cassation 15 novembre 1992.

[2Cour d’appel de Paris 30 novembre 2012 RG n°13/824.

[3Cf. commentaire dans la Revue Juridequi 2024 n°1, étant précisé qu’un pourvoi est en cours.

[4En ce sens par exemple l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar « si le dépositaire a la charge de prouver qu’il est étranger à la détérioration de la chose qu’il a reçue en dépôt, c’est au déposant de prouver que la détérioration est survenue alors que la chose était sous la garde du dépositaire » CA Colmar 18 Mai 2015.

[5Article 1927 du Code civil sur les obligation du dépositaire.

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