En l’espèce, en 1991 la société Renault véhicules industriels a vendu un autocar mis en circulation le 26 septembre 1990 à la société Marcot. En 1999, la société Renault véhicules industriels, aux droits de laquelle vient la société Renault Trucks, a apporté à la société Irisbus, devenue Iveco France, sa branche d’activité « autocars et autobus ». La même année, l’autocar de la société Marcot a subi un accident entrainant le décès du chauffeur et des blessures aux passagers.
En 2005, la société Marcot, ainsi que son assureur responsabilité civile et l’assureur dommage du véhicule, assignent en responsabilité les sociétés Iveco France et Renault Trucks.
Cette affaire a donné lieu à un premier arrêt de la chambre commerciale en 2016 [1] dans lequel la Cour de cassation applique la règle dégagée par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt Marleasing [2] et affirme que :
« le droit interne applicable au litige relatif à un produit mis en circulation après le 30 juillet 1998, date d’expiration du délai de transposition de la directive […] du 25 juillet 1985 […], et avant la date d’entrée en vigueur de la loi n°98-389 du 19 mai 1998 transposant en droit français cette directive, doit être interprétée à la lumière de cette dernière ».
La Cour de cassation avait donc cassé la solution retenue par la cour d’appel au motif qu’elle n’avait pas recherché si :
« eu égard à la date de mise en circulation du produit défectueux, qui n’est pas nécessairement celle de la vente, le droit interne dont elle faisait application […] ne devait pas être appliqué à la lumière de la directive précitée pour les dommages entrant dans le champ d’application de celle-ci ».
Dans ce nouvel arrêt, la Cour de cassation retient une application du droit interne en référence à la directive concernant la détermination du dommage réparable, mais pas concernant la détermination du point de départ du délai de prescription, compte tenu de la différence de nature entre le délai butoir de l’article 11 de la directive et le délai de prescription de l’article 189 bis devenu L110-4.
Le principe d’interprétation conforme : l’interprétation du droit interne en référence au contenu de la directive.
Le premier moyen examiné par la Cour de cassation porte sur le champ d’application de la directive.
L’arrêt d’appel est attaqué au motif qu’il avait jugé que le préjudice moral, financier, commercial et d’image entrait dans le champ d’application de la directive, alors que ce préjudice ne découlait pas d’une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même.
La Cour de cassation rappelle que les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d’une atteinte à la réputation causée par une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, y compris par ricochet, sont couverts par le régime de responsabilité du fait des produits défectueux.
L’arrêt d’appel est donc validé en ce qu’il a retenu qu’étaient réparables sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, interprété à la lumière de la directive de 1985, les préjudices moral, financier, commercial et d’image que la société Marcot avait subis à la suite de l’accident.
Cette interprétation est conforme à l’article 1245-1 résultant de la transposition de la directive, donc postérieur aux faits de l’espèce, qui prévoit qu’est réparable tout « dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ».
Pas d’interprétation contra legem du droit national : la nécessaire distinction entre délai de prescription et délai butoir.
Le premier arrêt d’appel avait été cassé au motif que les juges du fond avaient déclaré l’action prescrite sans avoir recherché si le droit commun de la responsabilité devait être appliqué à la lumière de la directive de 1985 pour les dommages entrant dans son champ d’application.
L’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national [3]
La Cour de cassation rappelle sa jurisprudence établissant que l’action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le fabriquant d’un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l’expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet sur ce point d’une interprétation conforme au droit de l’Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé [4]
En l’espèce, la Cour d’appel a appliqué l’article 189 bis devenu L110-4 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi de réforme de la prescription en matière civile [5]. Mais la Cour d’appel a interprété l’article L110-4 à la lumière de la directive, ainsi le point de départ du délai de prescription de 10 ans a été fixé au jour de la mise en circulation du produit litigieux, et non à la date de réalisation du dommage ou la date de sa révélation à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en a pas eu connaissance.
Toujours selon la Cour d’appel, la vente du véhicule ayant eu lieu en 1991 et l’action en responsabilité intenté en 2005, les demandes en indemnisation étaient prescrites.
La Cour de cassation censure l’interprétation de la Cour d’appel en raison de la différence de nature entre le délai de 10 ans prévu par l’article L110-4 du Code de commerce et celui prévu par l’article 11 de la directive. Le délai prévu par L110-4 est un délai de prescription tandis que le délai de 10 ans prévu par la directive est un délai butoir enserrant le délai de prescription de l’article 10.
En conséquence, les dispositions de l’article 189 bis devenu L110-4 ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une interprétation conforme à l’article 11 de la directive de 1985 et l’action se prescrit en application du droit interne, soit 10 ans à compter de la réalisation du dommage ou de sa révélation à la victime.
En l’espèce, le dommage s’est produit en 1999, ainsi l’action engagée en 2005 n’est pas prescrite.
L’affaire n’est cependant pas close, la Cour de cassation renvoi les parties devant la cour d’appel de Nancy, à suivre donc.
Ainsi, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, suivant la date de mise en circulation du produit, il existe trois régimes applicables :
Le produit a été mis en circulation avant le 30 juillet 1988 : le régime de responsabilité du fait des produits défectueux défini par la directive de 1985 n’est pas applicable. Seuls sont applicables les régimes de droit commun de responsabilité délictuelle et contractuelle.
Délai de prescription : 10 ans à compter de la réalisation du dommage ou de sa révélation à la victime.
Le produit a été mis en circulation entre le 30 juillet 1988 et le 21 mai 1998 : le régime de droit commun est applicable, mais il est interprété au regard de la directive pour ce qui est de l’étendu des dommages indemnisables.
Seul le régime de droit commun est applicable à la prescription.
Délai de prescription : 10 ans à compter de la réalisation du dommage ou de sa révélation à la victime.
Le produit a été mis en circulation après le 21 mai 1998 : la responsabilité du fait des produits défectueux telle que transposée en droit français est applicable.
Délai de prescription : 3 ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur.
Délai butoir : 10 ans après la mise en circulation du produit qui a causé le dommage.