Le rôle du directeur juridique dans la gestion de crise : le secteur pharmaceutique.

Le rôle du directeur juridique dans la gestion de crise : le secteur pharmaceutique.

Propos recueillis par Laurine Tavitian
Rédaction du Village de la Justice
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Intimement lié au positionnement de la direction juridique dans l’entreprise, le rôle du directeur juridique dans la gestion de la crise et dans les cellules qui en découlent ne peut plus être passé sous silence. C’est pourquoi, le Village de la Justice vous propose de faire le point sur cette facette de son travail à travers des témoignages de directeurs juridiques.
Le deuxième témoignage que nous vous proposons est celui de François Garnier, Vice-Président exécutif en charge des affaires juridiques du Groupe IPSEN.

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Dans le secteur pharmaceutique et de la santé, le directeur juridique est susceptible d’intervenir dans différentes procédures de gestion de crise relatives à la mise en péril des personnes ou à un actif de l’entreprise qui peut avoir un impact sur sa réputation, sur les individus, sur les éléments qui sont classiquement répertoriés en période de gestion de crise. Traditionnellement, dans le secteur pharmaceutique, on va considérer que la crise principale est une crise produit, une crise médicament dont la problématique est liée à la sécurité des produits.

Village de la justice : Pourquoi le directeur juridique intervient-il dans une cellule de crise ?

François Garnier : Cela vient à mon sens de la définition générique du "pourquoi de la crise". Il y a crise quand un actif de l’entreprise est menacé, est en péril, est soumis à un risque extrêmement significatif. Le directeur juridique a dans son rôle la protection des actifs de l’entreprise quelle que soit la nature de ces derniers : sa réputation, un produit, ses employés, ses locaux…

"Le directeur juridique a dans son rôle la protection des actifs de l’entreprise quelle que soit la nature de ces derniers..."

A ce titre, incombe naturellement au directeur juridique dans le cadre de la sécurité de ces actifs une implication assez importante dans la gestion de la crise.

Est-ce que le directeur juridique est un membre permanent ou est-ce qu’il peut intervenir ponctuellement selon les crises ?

Dans mon expérience, il y a deux niveaux d’implication du directeur juridique :
1/ Dans le cadre du déclenchement de la crise en interne : à quel moment l’entreprise va se mettre en mode gestion de crise, à quel moment elle va mettre en place et démarrer ses procédures internes de gestion de crise et dans ce seuil de déclenchement, le directeur juridique peut être ou ne pas être impliqué.
2/ Dans la gestion elle même de la crise au quotidien sachant que toute organisation de crise est par essence temporaire et courte dans le temps. Sinon, on n’est plus dans la crise, mais dans une gestion un peu plus pérenne.

Donc deux niveaux d’implication et en fonction des choix d’entreprise, le juriste est impliqué soit à un, soit aux deux. Mon expérience dans le domaine de la santé, compte tenu des enjeux en cause, du besoin d’avoir une vision un peu plus éloignée du business et un peu plus patrimoniale de l’entreprise, montre que le directeur juridique est impliqué en général dans les deux niveaux.

Est-ce que vous qualifieriez le rôle du directeur juridique plutôt de préventif ou de curatif ? Ou bien les deux ?

Il joue un double rôle. Il a un rôle préventif dans le sens où, face à une situation factuelle donnée il va évaluer et anticiper les différents risques qui peuvent se déclarer au-delà du risque principal qui est évident pour tout le monde. Il a également un rôle curatif puisque dans le mode de résolution de la crise, son avis, son conseil voire son action sont importants.

Pouvez-vous me donner des exemples concrets de crise ?

Je vais prendre deux exemples. Un que j’ai connu et un qui est connu.

Le premier que j’ai connu, c’est une cellule de crise suite au retrait d’un produit concurrent mais néanmoins appartenant à la même famille qu’un produit de mon entreprise, suite à des problèmes d’effets secondaires. Comment, alors que notre produit est toujours sur le marché et qu’il est réputé appartenir à la même famille, gérer le retrait pour des problématiques de sécurité sanitaire du concurrent ?

Le deuxième cas qui est assez connu est celui de la josacine. Il est typique d’une crise liée à un accident ou à un décès lié à la prise éventuelle d’un médicament appartenant à une entreprise et issue d’un acte de malveillance.

Quel rôle joue alors le directeur juridique dans ce cas ?

Le directeur juridique a alors un rôle technique et peut être managérial.
Technique, parce qu’il va apporter son expertise juridique par rapport à une situation factuelle afin de s’assurer que certaines procédures ont été mises en place, qu’éventuellement dans le cadre de communication ou d’action, le risque juridique a été pris en compte de manière assez claire, qu’on a assuré la protection de la responsabilité de l’entreprise…
Dans le cas de la josacine, où on a le décès d’un patient suite à la prise d’un médicament concernant une entreprise, le directeur juridique va tout de suite dans le cadre de cette gestion de crise examiner avec d’autres départements de l’entreprise si les différentes contraintes réglementaires et légales qui président à la fabrication et la commercialisation de ce médicament ont été respectées. On a un rôle un peu technique d’apporter des éléments concernant le cadre juridique et réglementaire dans lequel s’est déclarée la crise.

"... Un rôle managérial, stratégique, tournant autour du positionnement éthique, de l’image, de la réputation de l’entreprise."

Ensuite, dans le cadre de la résolution de la crise, il va apporter son expertise technique que ce soit dans la façon de communiquer en protégeant les intérêts de l’entreprise, dans la façon d’interagir avec les autorités réglementaires…

Il a aussi un rôle managérial qui est lié mais qui est d’apporter à la gestion de la crise dans son rôle de valeur ajoutée d’origine juridique au management de l’entreprise un œil plus éloigné du business, un œil qui associe du bon sens, du recul, une rigueur dans le traitement du dossier et éventuellement le respect des valeurs de l’entreprise.
C’est donc un rôle managérial, stratégique direction générale tournant autour du positionnement éthique, de l’image, de la réputation de l’entreprise.

Ce qui se passe et qui se dit dans le cadre des cellules de gestion est-il confidentiel ?

Pas forcément. Dans le cadre réglementaire et de certaines législations, la façon dont est gérée la crise peut être mise à jour dans le cadre d’enquêtes des autorités. C’est confidentiel dans le sens où ce n’est pas public, mais dire que c’est totalement confidentiel est illusoire. Tout ce qui se dit et se passe peut potentiellement se retrouver un jour devant un juge.

Est ce que le directeur juridique peut être amené à communiquer en interne ou en externe ?

Oui, mais ce n’est pas ma recommandation parce qu’en général la direction de la communication est impliquée dans la gestion de crise et que c’est son métier. A défaut de cas particuliers bien identifiés qui doivent être l’exception, ce n’est pas le rôle du directeur juridique qui par ailleurs n’est pas toujours bon.
En interne, c’est sensiblement identique avec des exceptions plus larges dans le sens où il n’est pas impossible dans le cas d’une crise particulière qu’il ait besoin de rappeler à l’entreprise un certain nombre de règles, de procédures internes, de rappeler que dans la gestion d’une crise, il est encore plus important d’être rigoureux dans le respect de la réglementation etc.

Comment le juriste est-il perçu dans ces cellules ?

Il est souvent perçu comme une caution morale, une caution de rigueur dans la gestion de la crise. C’est comme cela que je l’ai vécu. Il est perçu comme celui qui va protéger l’entreprise dans le cadre de la gestion et qui va rappeler ce à quoi il faut faire attention. Il a un peu le même rôle que celui qu’il joue au quotidien donc un rôle de caution, garantie morale, législative, réglementaire.
C’est valable dans les entreprises qui ont une vision moderne du juriste. Mais dans les entreprises un peu à l’ancienne, franco-françaises, je ne suis pas sûr qu’il soit toujours impliqué et il se peut qu’il soit vécu comme étant celui qui freine, qui empêche un certain nombre d’actions.
Je pense que c’est de moins en moins le cas et qu’il est perçu comme celui qui aide à la gestion de la crise dans un souci de sécurité juridique et éventuellement de garde fou éthique par rapport aux valeurs de l’entreprise.

Propos recueillis par Laurine Tavitian
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