La Cour de cassation est à l’unisson de l’esprit de la loi : renforcer la protection du salarié précaire et sanctionner les fraudes au recours à ce contrat d’exception :
En exigeant des juges du fond une appréciation in concreto des demandes de requalification d’un CDD en CDI ;
En érigeant une sanction redoutable au non respect des règles d’ordre public relatives au CDD.
I. La requalification des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminé doit s’apprécier in concreto.
Quel que soit le type de contrat à durée indéterminée soumis à l’appréciation du juge, dont le contrat d’usage et le contrat saisonnier, la Cour de cassation exige des juges du fond une analyse concrète et pragmatique des demandes de requalification.
Dans certains secteurs d’activités, le législateur permet à l’employeur de recourir au contrat à durée déterminée, c’est par exemple le cas en matière de restauration et hôtellerie, d’audiovisuel et production cinématographique.
Or, la seule appartenance à ces secteurs d’activité ne suffit pas à légitimer le contrat à durée déterminée du salarié. Encore faut-il que l’employeur prouve le caractère non durable et non permanent des tâches effectuées par le salarié.
A défaut, le CDD rompu sera requalifié en CDI par les juges avec toutes les conséquences qui en découlent dont l’indemnité de requalification, les dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement et pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, etc.
Analysons les dernières décisions rendues en matière de CDD saisonnier et de CDD d’usage : un manutentionnaire agricole revendiquait la requalification de son contrat de travail à caractère saisonnier en un contrat de travail à durée indéterminée.
La cour d’appel s’appuyait sur l’activité de l’employeur spécialisée dans les cultures maraichères soumises aux aléas climatiques qui justifiait ainsi selon la cour du caractère saisonnier des CDD.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel constatant :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans vérifier si le salarié avait été affecté à l’accomplissement de tâches à caractère strictement saisonnier et non durables appelées à se répéter chaque année à une époque voisine, en fonction du rythme des saisons, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (Chambre sociale 16 décembre 2015 n°14-20687).
En d’autres termes, le seul caractère saisonnier de l’activité de l’employeur ne suffit pas en lui-même à établir l’accomplissement par le salarié de tâches non permanentes et non durables, les juges devant concrètement constater l’accomplissement de tâches saisonnières non permanentes du salarié.
En 2016, la Cour de cassation a réitéré de manière explicite ses exigences d’appréciation in concreto du caractère saisonnier des contrats de travail.
Dans cette affaire, il s’agissait de contrats à durée déterminée saisonniers successifs souscrits par un ouvrier agricole pour lequel la cour d’appel avait rejeté la demande de requalification en CDI considérant « qu’il ne peut être contesté le caractère saisonnier des tâches confiées au salarié manœuvre agricole, tâches appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes en fonction du rythme des saisons, l’intéressé n’ayant jamais été employé pendant toute la période d’ouverture de l’entreprise, soit l’année entière ».
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel les juges du fond n’ayant pas de manière suffisamment concrète apprécié le formalisme attaché à chaque contrat saisonnier et le caractère non permanent et non durable des tâches confiées au salarié, sur des périodes variant en fonction de contraintes extérieures à la volonté de l’employeur, ici le rythme des saisons :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser concrètement la nature et la date des différents emplois ayant donné lieu à la conclusion des contrats saisonniers litigieux ni vérifier si le salarié avait été affecté à l’accomplissement de tâches à caractère strictement saisonnier et non durables, appelées à se répéter chaque année à une époque voisine, en fonction du rythme des saisons, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (28 janvier 2016 n°14-22947).
Il en est de même à l’égard de contrats d’usage par exemple dans l’audiovisuel et cinématographique.
Un imitateur des « Guignols de l’Info » revendiquait la requalification de ses contrats renouvelés durant 16 ans. Pour s’opposer à la requalification des CDD en CDI, l’employeur faisait valoir le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par l’imitateur qui exerçait des fonctions exclusivement artistiques et non techniques, en l’absence de clause d’exclusivité et alors que l’activité normale et permanente de l’entreprise n’était pas l’emploi de salariés imitateurs.
Confirmant l’arrêt d’appel qui avait prononcé la requalification des CDD en CDI, la Cour de cassation relève que « le caractère temporaire de l’emploi du salarié n’était pas établi et que l’intéressé avait, suivant la répétition durant 16 ans de lettres d’engagement mensuelles, exercé les mêmes fonctions d’imitateur dans le cadre du même programme télévisuel ».
Ainsi, si le secteur audiovisuel autorise l’usage au contrat à durée déterminée, celui-ci ne doit pas revêtir un caractère durable et permanent, ce que révèle le recours durant une période de 16 ans du même salarié affecté aux mêmes fonctions et au même programme durant tout l’exercice de la relation contractuelle (Cour de Cassation, Chambre sociale arrêt du 20 octobre 2015 n°14-23712).
Cet arrêt confirme l’arrêt précédent du 24 juin 2015 (n°13-26631) dans lequel une technicienne vidéo avait conclu avec la société AB Télévision 189 contrats à durée déterminée entre 2000 et 2009.
De manière idoine, la Cour de cassation avait validé l’arrêt d’appel en relevant que la Cour « qui a constaté que la salariée avait été recrutée pendant 9 ans, suivant 189 contrats à durée déterminée successifs, pour remplir la même fonction, a pu en déduire que ces contrats avaient eu pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».
Ainsi, le caractère durable et permanent des fonctions occupées par le salarié est établi selon la Cour suprême par :
- la durée de la relation contractuelle ;
- l’identité des fonctions occupées par le salarié durant cette relation contractuelle ;
- le nombre de contrats à renouveler.
A contrario, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du salarié sollicitant la requalification de ses CDD alors qu’il était constaté un grand nombre de CDD mais conclu pour quelques jours, de manière discontinue, avec des périodes d’inactivité pouvant atteindre jusqu’à 5 mois et des fonctions différentes suivant les postes occupés :
« Mais attendu que… la cour d’appel a constaté qu’un grand nombre de contrats d’engagement de la salariée n’avaient été conclus que pour quelques jours, que les contrats s’étaient succédés de manière discontinue avec, entre chacun d’eux, des périodes d’inactivité dont la durée pouvait atteindre jusqu’à 5 mois, et que l’engagement n’intervenait pas toujours pour les mêmes postes, a… légalement justifié sa décision » (24 juin 2015 n°14-12610).
En résumé, la seule preuve de l’activité de l’entreprise relevant des contrats d’usage ou d’une activité saisonnière ne suffit pas à légitimer le caractère déterminé du contrat souscrit avec le salarié.
Il appartient aux juges du fond d’apprécier très concrètement et de manière pragmatique le caractère non permanent et non durable des tâches exercées par le salarié et d’en justifier dans leur décisions.
II. Le caractère d’ordre public des règles de forme du contrat à durée déterminée et la sanction : la requalification du CDD en CDI.
Contrat d’exception, le contrat à durée déterminée obéit à un formalisme légal d’ordre public. A défaut de respect des règles légales, la sanction est radicale.
Le non-respect des dispositions légales prévues notamment aux articles L.1242-12 (rédaction d’un contrat écrit dont les formes sont réglementés) et L.1243-1 (s’agissant des motifs limités de rupture du contrat à durée déterminée) du Code du travail, le non-respect par l’employeur entraine ipso facto la requalification du contrat en durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
Ainsi, l’absence de remise d’un contrat de travail écrit indiquant le motif du recours du CDD, entraîne, sauf mauvaise foi du salarié, la requalification du CDD en CDI.
Ainsi, à défaut de justifier d’un contrat écrit signé par le salarié, l’employeur devra établir que l’absence de remise résulte par exemple du seul refus du salarié de signer son contrat ou de le renvoyer signé dans le délai légal.
Concernant le contrat de professionnalisation à durée déterminée, celui-ci doit être remis comme tout contrat à durée déterminée par écrit au salarié dans les 2 jours suivant l’embauche.
A défaut, la requalification du contrat de professionnalisation à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée sera prononcée.
Ainsi en a-t-il été par la Cour de cassation le 7 janvier 2015 (n°13-18598) à l’égard d’un salarié dont le contrat de professionnalisation a été signé tardivement avec effet à compter de la date d’embauche.
L’employeur s’opposait à la demande de requalification du salarié en indiquant que le salarié n’avait pas émis de réserve à la signature certes tardive du contrat, ni démontré qu’il aurait subi une contrainte au moment de la signature du contrat alors même que l’employeur évoquait « l’inertie évidente et fautive (du salarié) pour signer ledit contrat, dont il ne pouvait valablement exciper pour en solliciter la requalification ».
Inflexible, la Cour de cassation rejette l’argumentation de l’employeur et casse l’arrêt de la cour d’appel aux motifs que :
« Attendu cependant que le contrat de professionnalisation à durée déterminée est un contrat écrit qui doit être transmis au salarié dans les deux jours suivant l’embauche ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser si l’employeur avait transmis le contrat de travail au salarié dans le délai des deux jours, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Enfin, concernant un entraîneur de football qui avait fait l’objet d’un licenciement pour faute grave justifié selon l’employeur par la violation des dispositions de la charte du football professionnel et des obligations professionnelles inhérentes au poste d’entraîneur principal dont le comportement n’aurait pas permis « le maintien du contrat de travail, en ce qu’il portait atteinte à l’indispensable confiance que doit avoir un club en son entraîneur ».
La lettre de licenciement était donc fondée sur la faute grave du salarié dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée et l’arrêt d’appel considérait que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Interprétation erronée selon la Cour de cassation qui casse l’arrêt d’appel au visa des dispositions d’ordre public de l’article L.1243-1 du Code du travail qui délimitent de manière précise les motifs de rupture du CDD avant l’échéance de son terme (s’ajoutent notamment à cette liste légale la conclusion par le salarié d’un CDI et la rupture de la période d’essai) :
En cas d’accord des parties,
En cas de faute grave ;
En cas de force majeure ;
Ou en cas d’inaptitude constatée par le médecin du travail.
Or, la Cour de cassation constatait l’absence de qualification par les juges du fond de motifs équipollents à la faute grave (l’absence de respect de la charte, la perte de confiance ne constituent pas des fautes graves), rappelant en outre qu’aucune disposition conventionnelle ne pouvait déroger dans un sens défavorable au salarié aux dispositions d’ordre public du CDD :
« Attendu, cependant qu’il résulte des dispositions d’ordre public de l’article L.1243-1 du Code du travail, auxquelles ni la charte du football professionnel, qui a valeur de convention collective sectorielle, ni le contrat de travail ne peuvent déroger dans un sens défavorable au salarié, que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas d’accord des parties, de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin de travail ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, sans caractériser une faute grave imputable au salarié, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Ainsi, dans le respect de l’esprit de la loi, la Cour de cassation maintient une vigilance accrue à l’égard du contrat à durée déterminée, quelle que soit sa forme (contrat d’usage, contrat saisonnier de professionnalisation, etc), veillant au strict respect de la loi en dépit des sanctions sévères découlant parfois d’une omission purement formelle de l’employeur ou d’un véritable détournement par celui-ci de l’arsenal législatif.
Discussions en cours :
Je tiens a vous remerciez de vos explications et surtout de votre professionnalisme a la rédaction de ces textes de loi du travail et les exemples donnés.
Je contacts largement le caractère délictuelle de mon employeur.
encore merci.
Je vous pries Madame de recevoir le meilleur de mes salutations.
Bonjour,
Merci pour cet article qui explique bien l’esprit le la loi.
Je suppose que c’est la même chose pour un contrat intérimaire qui exéde les 18 mois chez la même societe utilisatrice.
Pourriez vous nous expliquer ce que disent les testes de loi à ce propos ?
Merci,
Bonjour,
Merci pour cet article.
Sauf erreur de ma part, il semble qu’il y a une petite incohérence entre le titre de la partie II et le début de cette partie :
"II. Le caractère d’ordre public des règles de forme du contrat à durée indéterminée et la sanction : la requalification du CDD en CDI.
Contrat d’exception, le contrat à durée déterminée obéit à un formalisme légal d’ordre public. A défaut de respect des règles légales, la sanction est radicale."
Cordialement,
Bonjour et merci pour votre lecture attentive et votre remarque.
Effectivement, il y a une faute de frappe au titre II que je rectifie sans délai.
Judith Bouhana
Avocat Spécialiste en droit du travail.
www.bouhana-avocats.com