Dans le cas de la nomination de l’Américaine Fiona Scott, la question ne porte pas seulement sur la nationalité, mais aussi sur l’expérience professionnelle qui peut caractériser un conflit d’intérêts dans la protection de la souveraineté numérique européenne, notamment dans l’application de la loi sur les marchés numériques (Digital Markets Act - DMA) et de la loi sur les services numériques (Digital Services Act - DSA).
Ainsi, comment l’Union européenne peut-elle protéger ses données sensibles, essentielles à la sauvegarde de sa souveraineté ? Cet article vise à analyser brièvement cette question.
Dans le cadre du Traité de l’Union européenne (TUE), instauré à Maastricht en 1992, les membres font partie d’une nouvelle étape dans le processus d’intégration européenne engagé par la création des Communautés européennes travers l’inspiration des héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe.
Selon le Traité de l’Union européenne (TUE) les organes sont : i) le Parlement européen ; ii) le Conseil européen ; iii) le Conseil de l’Union européenne et iv) la Commission européenne.
La composition de la Commission Européenne.
La Commission Européenne – composée de 27 commissaires, un par État membre de l’Union – est la gardienne des traités européens et défend l’intérêt général de l’Union, pendant la période de cinq ans elle personnifie le pouvoir exécutif de l’Union européenne.
Dans le cadre du processus décisionnel européen, elle détient le monopole de l’initiative législative et peut introduire auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) un recours en manquement contre un État membre pour violation du droit de l’UE.
Les attributions de la Commission de l’UE.
Selon le Traité la Commission veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. De plus, elle exerce des fonctions de coordination, d’exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités. À l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune et des autres cas prévus par les traités, elle assure la représentation extérieure de l’Union.
Concernant le processus de nomination au sein de la Commission l’article 17 du Traité de l’Union européenne (TUE) prévoit que :
« Les membres de la Commission sont choisis en raison de leur compétence générale et de leur engagement européen et parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance ».
Les membres de la Commission sont choisis parmi les ressortissants des États membres selon un système de rotation égal entre les États membres permettant de refléter l’éventail démographique et géographique de l’ensemble des États membres.
Ce système est établi à l’unanimité par le Conseil européen conformément à l’article 244 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Dans ce cadre, la nomination de l’Américaine Fiona Scott Morton par la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager a été très polémique. Au-delà d’être américaine (non-européenne), la candidate a travaillé pour de grandes entreprises de l’internet telles qu’Apple, Meta et Microsoft (GAFAM), e qui pourrait également compromettre son indépendance au sein de la Commission européenne à l’avenir, notamment concernant la régulation numérique, après l’adoption du Digital Markets Act - DMA et Digital Services Act - DSA.
Au sein de l’UE il est important de privilégier le processus d’intégration européenne et la nomination d’une étrangère hors Union Européenne peut qualifier l’ingérence au cœur des institutions européennes, un « cheval de Troie pour Big Tech », a défendu l’eurodéputé Geoffroy Didier.
Cependant, compte tenu des principes, des valeurs et des fondements de l’Union européenne, il ne semble ni raisonnable ni proportionnel de nommer un « conseiller Gafam » à un poste aussi essentiel et important pour la protection de la souveraineté numérique européenne.
La notion de conflit d’intérêts et les obligations relatives en matière de prévention.
La Commission prend au sérieux la prévention des risques de conflits d’intérêts dans l’exécution du budget de l’UE. À tout moment, une situation peut donner lieu à un conflit d’intérêts (y compris aussi un conflit perçu comme tel).
Ainsi, il est impératif de prévenir ces conflits d’intérêts ou, à défaut, de les gérer de façon appropriée, et ce pour respecter la réputation et l’impartialité du secteur public et de ceux qui prennent des décisions concernant la gestion des fonds de l’UE, de même que pour asseoir la crédibilité des principes de l’état de droit en tant que valeur fondamentale de l’UE.
Voilà pourquoi la mise en place de politiques et de règles détaillées en matière de prévention et de gestion des conflits d’intérêts et des conflits d’intérêts perçus comme tels est un élément essentiel d’une bonne gouvernance et d’une bonne gestion financière.
Dans ce contexte, la Commission Européenne a publié les Orientations relatives à la prévention et à la gestion des conflits d’intérêts en vertu du règlement financier (2021/C 121/01).
Selon le document, au sens de l’article 61 du RF 2018, il y a conflit d’intérêts « lorsque l’exercice impartial et objectif des fonctions d’un acteur financier ou d’une autre personne » qui participe à l’exécution budgétaire « est compromis pour des motifs familiaux, affectifs, d’affinité politique ou nationale, d’intérêt économique ou pour tout autre intérêt personnel direct ou indirect ».
Il faut souligner qu’il peut y avoir conflit d’intérêts même lorsque la personne concernée ne tire pas un avantage réel de la situation : il suffit en effet que des circonstances compromettent l’exercice de ses fonctions de manière objective et impartiale.
Néanmoins, ces circonstances doivent avoir un certain lien identifiable et individuel avec (ou une incidence sur) des aspects concrets de la conduite, du comportement ou des relations de la personne.
Le droit à une bonne administration.
L’article 6 TUE prévoit que l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.
Dans ce contexte, il faut souligner que l’article 41 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne prévoit le droit à une bonne administration au sein des organes de l’Union Européenne.
Ainsi, en cas de nomination d’un ressortissant étranger non européen à un poste clé au sein de l’Union européenne, il est possible de vérifier, par hypothèse, une éventuelle violation de l’article 6 TUE.
La loi française de blocage de 1968.
En France, dans le dossier du projet de la Loi Sapin II, le Sénat a eu l’opportunité d’invoquer la loi dite « de blocage » de 1968 et permet d’éviter que les autorités étrangères n’aient pas connaissance d’informations sensibles attentant aux intérêts de la Nation, lors d’enquêtes, en les contraignant à respecter les canaux de l’entraide judiciaire ou administrative internationale.
Ce projet de loi mentionne à plusieurs reprises l’importance de la loi Sapin II pour préserver la souveraineté de la France et les intérêts des entreprises face à la loi sur les pratiques de corruption à l’étranger (Foreign Corrupt Practices Act - FCPA).
Cependant, dans le contexte européen, la nomination d’un étranger ayant déjà travaillé pour des sociétés dites Gafam pourrait, en théorie, donner accès à des données confidentielles, ce qui pourrait mettre en péril la souveraineté européenne.
En résumé, en matière de prévention des conflits d’intérêt il convient d’appliquer un ensemble de règles concernant la préservation des valeurs fondamentales de l’Union européenne, ainsi que le respect au droit à une bonne administration, à la transparence et à l’accountability au sein de l’Union européenne.
Enfin, il est apparu clairement qu’il ne s’agissait pas d’un cas de discrimination à cause de sa nationalité, mais plutôt d’un éventuel conflit d’intérêts dans le contexte de la protection de la souveraineté numérique de l’Union européenne, en raison du fait que le candidat avait précédemment travaillé pour de grandes entreprises technologiques américaines.