Véhicules autonomes et transport public : le nouveau cadre juridique des expérimentations.

Par Lionel Goutalier, Avocat.

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La réglementation des véhicules à délégation de conduite enfin précisée par le décret n°2018-211 du 28 mars 2018.

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Par un décret du 28 mars 2018 (JORF du 30 mars 2018), le Gouvernement vient enfin de donner un cadre réglementaire aux expérimentations de véhicules autonomes sur la voie publique (décret n° 2018-211 du 28 mars 2018 relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques [1]).
Ces véhicules – dits également véhicules à délégation totale ou partielle de conduite (VDPTC) –, pilotés grâce à des logiciels de supervision et équipés de multiples capteurs leur permettant de s’adapter à leur environnement, font désormais l’objet de développements de la part de la quasi-totalité des constructeurs automobiles et, depuis plusieurs années, d’expérimentations grandeur nature. Si les essais menés en matière de voitures individuelles et connus du grand public sont principalement liés à des incidents ayant conduit à des accidents mortels aux Etats-Unis (TELSA en 2016 et UBER en 2018), l’utilisation des véhicules autonomes à des fins de transport public de personnes est une des pistes d’évolution les plus intéressantes du secteur, où les entreprises françaises sont aux avant-postes.

A cet égard, les expériences de navettes dédiées au transport de personnes en sites ouverts à la circulation lancées en 2016 et 2017 à Lyon et Paris notamment, permettent de dresser un premier bilan de la réglementation applicable (A) ainsi que des modalités pratiques de déroulement de ces essais de véhicules intelligents (B) . Enfin, force est de relever que les expérimentations de VDPTC affectées au transport de voyageurs font aujourd’hui l’objet de quelques assouplissements au regard du droit des transports, légitimés pas leur caractère innovant, mais n’ont, en revanche, donné lieu à aucune modification du régime de responsabilité civile (C).

A. L’État de la réglementation applicable

Les textes fondateurs sur l’utilisation des véhicules à délégation de conduite procèdent d’un article de la loi d’habilitation n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et de l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 – composée de quatre articles très brefs – dont l’application devait être précisée par voie réglementaire, objet du décret n° 2018-211 du 28 mars 2018.

1. Un cadre juridique naissant pour les VDPTC

C’est donc l’article 37, IX de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui a habilité le Gouvernement, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnance « toute mesure relevant du domaine de la loi afin de permettre la circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite [VDPTC], qu’il s’agisse de voitures particulières, de véhicules de transport de marchandises ou de véhicules de transport de personnes, à des fins expérimentales, dans des conditions assurant la sécurité de tous les usagers et en prévoyant, le cas échéant, un régime de responsabilité approprié ».

C’est ainsi que l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016 (relative à l’expérimentation des véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques) a subordonné la circulation à des fins expérimentales des VDPTC à la délivrance d’une autorisation destinée à assurer la sécurité et le déroulement de l’expérimentation.

Toutefois, l’ordonnance du 3 août 2016 renvoyait à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les conditions et les modalités de mise en œuvre de l’autorisation, et à un arrêté ministériel conjoint des ministres chargés de la sécurité routière et des transports celui de fixer notamment la composition du dossier.

Après une phase de consultation réalisée au cours du premier trimestre 2017 auprès des opérateurs économiques concernés et plus d’un an d’attente, le décret attendu a enfin été publié. Il autorise les véhicules autonomes à circuler sur des voies ouvertes à la circulation publique sous couvert d’un titre provisoire de circulation spécifique qui s’ajoute au nombre de ceux prévus par l’article R. 322-3 du Code de la route.

2. Un caractère strictement expérimental donnant lieu à la délivrance d’un nouveau certificat WW DPTC

Conformément aux termes combinés de la loi de 2015 et de l’ordonnance de 2016, l’article 1er du décret du 28 mars 2018 défini limitativement les hypothèses d’expérimentation pouvant donner lieu à autorisation, à savoir :
1° Essais techniques et mise au point ;
2° Évaluation des performances en situation pour l’usage auquel est destiné le véhicule à délégation de conduite ;
3° Démonstration publique, notamment lors de manifestations événementielles.

L’autorisation, accordée pour une durée maximale de deux ans et renouvelable une fois, peut porter aussi bien sur un véhicule affecté à l’exécution d’un service de transport de personnes que de marchandises.

Les modalités particulières d’instruction de la demande d’autorisation doivent encore faire l’objet d’un arrêté conjoint du ministre chargé des transports et du ministre de l’intérieur. Le décret prévoit cependant, préalablement à la décision d’autorisation, la consultation du gestionnaire de la voirie, de l’autorité compétente en matière de police de la circulation et, le cas échéant, de l’autorité organisatrice des transports lorsque la demande d’autorisation porte sur une expérimentation en matière de transport public. Ces autorités doivent de prononcer dans un délai de trois mois, sans pour autant que ces avis soient contraignants.

En tout état de cause, le silence gardé par l’administration pendant six mois vaut décision de rejet d’une demande d’autorisation d’expérimentation.

Si l’autorisation est accordée, celle-ci doit préciser les sections de voiries sur lesquelles le ou les véhicules sont autorisés à circuler en délégation de conduite ainsi que les fonctions de délégation de conduite qui peuvent être activées. Elle doit également déterminer le trajet sur lequel se déroule l’expérimentation des véhicules autonomes, et, enfin, elle peut être assortie de conditions spéciales en vue de garantir la sécurité durant l’expérimentation.

L’autorisation administrative donne lieu à la délivrance d’un certificat provisoire d’immatriculation permettant la circulation à titre expérimental d’un véhicule à délégation partielle ou totale de conduite, dit certificat WW DPTC (cf. art. R. 322-3 du code de la route modifié). Néanmoins, la mise en place des certificats WW DPTC ne sera rendue obligatoire qu’à compter du 1er janvier 2019, en application des dispositions transitoires et finales du décret du 28 mars 2018.

B. Les modalités pratiques des expérimentations

Une fois précisées les éléments d’instruction administrative et technique préalables à l’autorisation, le décret fixe également les conditions de fond devant présider au déroulement des expérimentations de VDPTC, principalement en termes de sécurité, impliquant de pouvoir reprendre en main le véhicule à tout instant.

1. Des obligations de sécurité propre au déroulement des essais

Outre les conditions spéciales qui peuvent être imposées par la décision d’autorisation, il appartient à celui qui entend réaliser l’expérimentation de VDPTC de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour remédier aux événements pouvant porter atteinte à la sécurité.

On peut supposer, selon toute vraisemblance, que ces mesures seront décrites précisément au stade du dossier de demande d’autorisation, à définir par arrêté. D’ores et déjà, il est prévu des enregistrements de données régulièrement effacés sauf en cas d’accident où les données des cinq dernières minutes qui précèdent l’incident devront être conservées pendant un an.

Par ailleurs, le texte précise que l’activation des fonctions de délégation de conduite, a fortiori en situation de délégation totale, ne peut s’envisager sans la présence d’un conducteur susceptible de reprendre le contrôle du véhicule.
Sur ce point, le décret n° 2018-211 apporte plusieurs innovations importantes par rapport aux expériences actuellement menées en France dans le cadre d’un service de transport public de personnes, où l’accompagnateur présent à bord des véhicules est nécessairement un chauffeur expérimenté titulaire du permis D, c’est-à-dire habilité à la conduite des véhicules conçus et construits pour le transport de plus de huit passagers, non compris le conducteur.

En premier lieu, le décret impose que le conducteur reçoive une formation spécifique à la délégation de conduite en vue de l’expérimentation pour laquelle il intervient. Mais hormis cette formation ad hoc le texte n’impose pas de critère de qualification supplémentaire, comme celle exigeant d’être titulaire d’un permis de conduire particulier (permis D) ou autre.

En second lieu, le texte admet que la personne ayant la qualité de conducteur ne soit plus obligatoirement placée à l’intérieur du véhicule ! En effet, le décret précise que l’autorisation d’expérimentation peut autoriser le conducteur à se trouver à l’extérieur du véhicule. Peu importe l’endroit où il se trouve, à proximité ou non, la condition étant qu’il puisse reprendre à tout instant le contrôle du véhicule. On peut penser sur ce point que l’arrêté attendu apportera des précisions sur les modalités technologiques et/ou de sécurité minimum qui permettront d’autoriser le conducteur à ne pas être à l’intérieur du véhicule.

2. Des obligations d’information des personnes participant à l’expérimentation

Toute expérimentation d’un VDPTC fait l’objet d’un suivi particulier nécessitant de tenir un registre des personnes et des matériels autorisés par le conducteur.
S’agissant des personnes admises à bord, celles-ci doivent être informées de leur participation à une expérimentation et doivent, de surcroît, donner leur accord. Cette modalité s’inspire ce que prévoyait déjà l’article 9, VI de l’arrêté du 9 février 2009 relatif aux modalités d’immatriculation des véhicules, lequel fonde juridiquement les expérimentations en cours initiées antérieurement au décret du 28 mars 2018. L’arrêté de 2009 impose en effet à son annexe IX (§ 3.4) de recueillir les noms et qualités des personnes transportées dans les véhicules relevant des prototypes ou autres catégories de véhicules neufs en cours d’études et destinés à des essais techniques et de mise au point.

Néanmoins, pour les expériences relevant d’un service de transport de voyageurs, cette obligation de recueil préalable des identités se révèle particulièrement pénalisante en exploitation nominale. Aussi le décret de 2018 a-t-il tenu compte de cette difficulté, en prévoyant que, par dérogation, dans le cas de l’exécution d’un service de transport de personnes, la tenue d’un registre nominatif n’est pas obligatoire sous réserve que le public soit informé, avant de monter à bord, qu’il participe à une expérimentation.

Dans ce cas de figure, l’accord des participants n’est plus requis, le décret suggérant, d’une certaine manière, qu’il a été implicitement exprimé par la connaissance éclairée des personnes sur le fait que, en acceptant de monter dans le véhicule, elles concourent à une expérimentation.

Par ailleurs, en présence de public dont le contrôle a priori est donc écarté, le sort des mineurs est réglé par une prescription spécifique. Est-ce pour des raisons de consentement et/ou de responsabilité, toujours est-il que leur participation est en principe interdite, à moins qu’ils ne soient accompagnés de leur représentant légal ou d’une « personne exerçant une autorité de droit ou de fait ».

Quoi qu’il en soit, le texte souligne que lorsque le véhicule est destiné au transport public de personnes, le caractère expérimental doit être annoncé de façon visible, y compris à l’intérieur du véhicule, de même en ce qui concerne les restrictions applicables aux mineurs.

3. Un contrôle et un suivi particulier de l’autorité administrative

Au chapitre du contrôle exercé par l’administration postérieurement à la délivrance de l’autorisation, le décret prévoit tout d’abord une période de marche à blanc faisant l’objet d’un compte rendu transmis au ministre chargé des transports préalablement à la mise en œuvre de l’expérimentation.

Ensuite, toute expérimentation donne lieu à un suivi et à un bilan dont les modalités seront définies par l’arrêté du ministre de l’Intérieur et du ministre des Transports.

Enfin, le décret prévoit au titre des sanctions administratives à raison d’un manquement constaté aux conditions d’expérimentation ou d’un événement de nature à porter atteinte à la sécurité : soit des prescriptions nouvelles imposées par les autorités de contrôle (l’administration), soit une suspension de l’autorisation pour une durée maximale de deux mois, soit, dans les cas les plus graves, le retrait de l’autorisation.

Dans tous les cas (sauf urgence) l’entreprise qui porte l’expérimentation doit être en mesure de présenter ses observations, selon le respect du principe du contradictoire.

C. Des assouplissements au régime du transport de personnes, qui n’affectent pas celui de la responsabilité civile

La question s’est posée de savoir si les expérimentations de véhicules autonomes lorsqu’elles étaient affectées au transport de voyageurs rentraient dans le champ de la profession réglementée de transporteur public routier de personnes, nécessitant dès lors le dépôt d’une demande d’autorisation d’exercice auprès de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) selon les conditions de droit commun.

1. Un régime réglementaire adapté pour le transport public de personnes

Le décret n° 2018-211 comporte des dispositions particulières aux VDPTC affectés à un service de transport public de personnes, ce qui confirme que ces expérimentations sont de ce fait soumises aux formalités et obligations issues du Code des transports.

Par conséquent, le dépôt de l’imprimé CERFA n° 14557*03, obligatoire afin d’exercer la profession de transport public routier de personnes, s’impose également pour autoriser toute expérimentation de VDPTC s’inscrivant dans cette finalité. Le décret dispense cependant les entreprises qui portent ces expérimentations des exigences de capacité financière et de capacité professionnelle, par une modification de l’article R. 3113-10 du Code des transports et par la création d’un article R. 3211-7-1 au même code.

Cette dispense est toutefois conditionnée par l’utilisation exclusive de VDPCT bénéficiant du certificat WW DPTC. Enfin, l’article R. 3211-12 du Code des transports, modifié lui aussi par le décret n° 2018-211, prévoit désormais la délivrance d’une licence de transport intérieur pour les entreprises qui utilisent exclusivement des véhicules circulant sous couvert d’un certificat WW DPTC.

2. Un régime de responsabilité civile inchangé

Pour mémoire, on rappellera que selon les termes de l’article 37 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le Législateur avait habilité le Gouvernement à mettre en place, « le cas échéant, un régime de responsabilité approprié ».

Mais ni l’ordonnance de 2016 ni, évidemment, le décret de 2018 n’ont apporté d’aménagement en ce domaine. Au contraire, s’agissant de l’éventuelle adaptation des règles de la responsabilité civile, le rapport au Président de la République, qui précède l’ordonnance du 3 août 2016, avait expressément écarté le sujet en précisant que si la loi d’habilitation avait envisagé cette hypothèse, une telle adaptation du droit national n’était finalement pas nécessaire compte tenu des règles existantes en la matière.

En effet, en l’état des textes, en matière de responsabilité civile, les accidents de la circulation qui surviendraient au cours des expérimentations de VDPTC resteront en tout état de cause soumis au régime existant de la responsabilité civile automobile et de la « loi Badinter ».

En conclusion, après l’ordonnance du 3 août 2016, le décret n° 2018-211 du 28 mars 2018 marque la seconde étape importante du dispositif juridique unique sensé, selon les termes du rapport de ladite ordonnance, être un « gage de sécurité pour les investisseurs ». Toutefois, à ce jour, force est de constater que le dispositif est encore incomplet et, surtout, tarde à se mettre en place au regard des mutations technologiques de demain, certes complexes, mais extrêmement rapides.

Dans le domaine des véhicules autonomes, l’adaptabilité du droit peine à répondre aux questions juridiques et éthiques que soulèvent l’arrivée de ce nouveau moyen de transport de plus en plus performant.

Lionel GOUTALIER
Avocat au Barreau de Lyon,
ENTELLE Avocat

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Notes de l'article:

[1L’arrêté prévu dans le décret a été publié au JORF du 4 mai 2018 : cf. Arrêté du 17 avril 2018 relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques.

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