Le contexte
Depuis de nombreuses années, ce sujet a fait l’objet d’un débat passionnant et passionné, renforcé au niveau communautaire par l’arrêt « DocMorris », rendu le 11 décembre 2003, par lequel la Cour de Justice de l’Union européenne (alors Cour de Justice des Communautés Européennes) a jugé :
• qu’au regard des articles 28 et 30 du Traité instituant la Communauté européenne (Traité CE), un Etat membre ne saurait interdire la vente par correspondance, via un site Internet, de médicaments légalement autorisés et ne nécessitant pas une prescription médicale préalable ;
• qu’en revanche, compte tenu des exigences liées à la protection de la santé publique, une législation nationale peut prohiber le commerce électronique de médicaments soumis à prescription médicale obligatoire.
Ainsi, depuis déjà plus de 9 ans, il est clair qu’au sein de l’Union européenne la possibilité de restreindre la commercialisation à distance de médicaments non soumis à prescription médicale se heurte au principe de libre circulation des marchandises et des services tel qu’affirmé par le Traité CE.
Dans ce contexte, la Direction Générale de la Santé avait engagé, notamment avec l’AFSSAPS (depuis lors ANSM) et le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, des travaux afin de définir le cadre juridique de la vente de tels produits sur Internet (voir par ex. : Question écrite n° 96594 à l’attention de M. le Ministre de la santé sur le projet d’autoriser la vente de médicaments, délivrés sans ordonnance, sur Internet et la réponse publiée au JO du 8 février 2011, page 1355).
A cela s’est rajoutée la nécessaire transposition en droit national des dispositions de la Directive communautaire 2011/62/UE du 8 juin 2011 relative à « la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés » laquelle identifie la vente illégale de médicaments au public via Internet comme une menace majeure pour la santé publique.
Cette Directive communautaire a notamment introduit un article 85 quarter au code communautaire du médicament (Directive 2001/83/UE modifiée) qui impose aux Etats membres de permettre la vente à distance au public de médicaments au moyen de services électroniques, tout en leur laissant la possibilité d’interdire la vente à distance pour les médicaments soumis à prescription.
A la lumière de ce texte, la vente en ligne de médicaments doit intervenir aux conditions suivantes :
• la personne physique ou morale offrant des médicaments est habilitée à délivrer des médicaments au public, y compris à distance, par la législation nationale de l’Etat membre dans lequel elle est installée ;
• la personne a notifié à l’Etat membre dans lequel elle est établie des informations minimum sur son lieu d’activité, la date de début d’activité du site, l’adresse du site et la classification des médicaments proposés à la vente ;
• les médicaments vendus en ligne respectent la législation nationale de l’Etat membre de destination ;
• le site contient des informations relatives à l’autorité qui a reçu la notification citée au deuxième point, un lien vers le site Internet mis en place par l’Etat membre dans lequel le site est établi pour informer le public sur la vente à distance de médicaments, et enfin un logo commun, qui doit être défini par la Commission européenne.
Aussi, la récente « Loi Bertrand » (loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé), adoptée ensuite de l’affaire du Mediator, a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de sa promulgation le 29 décembre 2011, « les mesures relevant du domaine de la loi qui ont pour objet de transposer la directive 2011/62/UE […] ainsi que les mesures tendant à modifier la législation applicable aux autres produits de santé mentionnés à l’article L. 5311-1 du code de la santé publique afin d’encadrer, en ce qui les concerne, l’information et le commerce électroniques ».
Le texte
C’est donc in extremis que le Gouvernement a adopté, le 19 décembre dernier, une Ordonnance n° 2012-1427 « relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments », après avoir saisi l’Autorité de la concurrence pour avis sur le fondement de l’article L. 462-2 du code de commerce aux termes duquel : « l’Autorité de la concurrence est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : 1° de soumettre l’exercice d’une profession ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives (…) ».
Cette Ordonnance a intégré de nouveaux articles dans le code de la santé publique (ci-après « CSP »), dont les suivants :
• L’article L.5125-33 du CSP définit l’activité de commerce électronique par une pharmacie d’officine et prévoit les catégories de pharmaciens autorisés à exercer cette activité.
• L’article L.5125-34 du CSP dispose que l’activité de commerce électronique n’est autorisée que pour les médicaments de médication officinale qui peuvent être présentés en accès direct au public.
• L’article L.5125-35 du CSP dispose que l’activité de commerce électronique n’est autorisée que pour les pharmaciens ayant obtenu une licence pour créer une officine de pharmacie physique ou une décision du ministre chargé de la santé, et que lorsque la pharmacie est effectivement ouverte.
• L’article L.5125-36 du CSP soumet la création d’un site internet d’une officine à une autorisation du directeur général de l’agence régionale de santé compétente. Le pharmacien est également tenu d’informer le Conseil de l’Ordre des pharmaciens compétent de l’ouverture de son site de vente en ligne de médicaments.
• L’article L.5125-40 du CSP précise qu’une personne physique ou morale légalement habilitée à vendre des médicaments au public dans l’Etat membre de l’Union européenne dans laquelle elle est installée doit, dans le cadre d’une activité de commerce électronique de médicaments à destination d’une personne établie en France, respecter les dispositions de l’article L.5125-34 du CSP ainsi que la législation applicable aux médicaments commercialisés en France.
• L’article L.5125-39 du CSP définit les sanctions administratives applicables par le directeur général de l’agence régionale de santé compétente en cas de manquement aux règles du commerce électronique de médicament et aux bonnes pratiques de dispensation.
La controverse et les difficultés soulevées par le texte
La vente de médicaments sur Internet parait donc désormais encadrée. Elle ne peut être adossée qu’à une officine physique, relève de l’entière responsabilité du pharmacien et est limitée aux seuls médicaments dits "de médication officinale" qui peuvent être présentés en accès direct au public dans les pharmacies.
On notera sur ce dernier point que l’ANSM définit la liste des médicaments de médication officinale et la met à jour régulièrement, suite à l’évaluation des demandes faites par les industriels (article R.5121-202 du CSP). La liste de ces médicaments est plus restreinte que celle des médicaments non soumis à prescription. Il en résulte donc une limite non prévue par la Directive communautaire 2011/62/UE susceptible de soulever des difficultés à l’avenir compte tenu du caractère incomplet de la transposition.
On notera également que le texte suscite déjà le mécontentement des pharmaciens. Il suffit pour s’en convaincre de se référer au communiqué de presse publié le 20 décembre 2012 par l’Ordre des pharmaciens sur son site, dont le titre est assez évocateur : « Vente en ligne de médicaments : Une décision brutale ! Plus de risques que d’avancées ».
Il n’est pas sûr que ce sentiment soit partagé par les patients qui, comme l’a mis en avant l’Autorité de la concurrence dans son avis du 13 décembre 2012, pourraient notamment bénéficier de prix en ligne plus favorables que ceux pratiqués en officine (physique), en conséquence d’une « animation de la concurrence ».
Le texte suscite également diverses interrogations. Par exemple, rien n’est dit sur les conséquences de ces dispositions sur l’application des règles en matière de publicité de médicaments. Pourtant, la définition de la publicité est large et les pages d’un site officinal présentant un produit pourraient être assimilées à de la publicité et tomber, le cas échéant, sous le coup des articles L.5122-1 et suivants du CSP (contrôle de l’ANSM, visa de publicité grand public...). Aucune exclusion n’a été prévue à cet égard.
D’aucuns peuvent également s’interroger sur l’application des règles déontologiques des pharmaciens à l’activité de commerce électronique. A titre d’exemples : Comment appliquer à l’activité de commerce électronique le principe de l’exercice personnel par le pharmacien de l’activité et de sa présence continue dans l’officine ? Comment concilier l’activité de commerce électronique avec le devoir d’information et de conseil qui pèse sur le pharmacien, tout en assurant la confidentialité et la sécurité des données échangées et le respect du secret professionnel ? Comment assurer la livraison aux patients des médicaments commandés par Internet dans le respect des règles déontologiques ? etc.
Le décret portant sur les modalités d’application de ces nouvelles dispositions et notamment sur « les informations minimales que doivent contenir les sites internet de commerce électronique », visé par l’article L.5125-41 du CSP, a été publié le 1er janvier 2013 (Décret n° 2012-1562 du 31 décembre 2012). Un arrêté ministériel doit également être pris afin de fixer les bonnes pratiques de dispensation par voie électronique (cf. voir la décision de l’Autorité de la concurrence du 13 décembre 2012 et également l’article L.5121-5 du CSP). Peut-être que cet arrêté apportera, au moins en partie, des réponses à ces interrogations.