Deux décisions rendues le 23 septembre 2014 par le Pôle 5, Chambre 8 de la Cour d’Appel de Paris, et le 11 décembre 2014 par le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes, illustrent les dangers de brouiller les sphères de compétence.
Le litige opposait une SAS à son Commissaire aux Comptes.
S’agissant d’une mission légale, les conditions d’intervention et de rémunération des commissaires aux comptes sont encadrées par la loi.
La mission est limitée à la vérification des documents comptables et au contrôle de leur conformité aux règles en vigueur, ainsi qu’au contrôle de la sincérité des informations données aux actionnaires sur la situation financière de l’entreprise et les comptes annuels.
L’article L 823-10 du Code de Commerce prohibe toute immixtion du Commissaire aux Comptes dans la gestion ; au titre « Interdiction situations à risques », l’article 10 - 11° du code de déontologie interdit toute prestation de service en matière juridique.
Les honoraires sont fixés suivant un barème arrêté en fonction du bilan de l’entreprise (art. R 823-12) ; la mission est planifiée à l’avance dans un programme de travail qui indique le nombre d’heures et le montant des honoraires correspondants (art R 823-11) ; le taux horaire doit être fixé d’un commun accord préalablement à l’exercice de la mission (art.R 823-15).
Pour s’affranchir de ces contraintes tarifaires, le Commissaire aux Comptes s’était imposé dans la gestion de la société en lui prodiguant des avis juridiques qu’il facturait comme diligences complémentaires.
Le litige se jouait sur deux fronts :
1. Devant le Juge judiciaire à qui la société demandait réparation des préjudices subis du fait d’actions à la fois prohibées par la loi et malveillantes, poursuivies dans le seul but d’obtenir le paiement d’ honoraires hors champ conventionnel et légal.
2. Devant la Chambre de Discipline des Commissaires aux Comptes exclusivement compétente en matière de fixation d’honoraires qui avait été saisie par le Commissaire au Comptes.
Devant la Cour d’Appel de Paris était évoquée la difficulté suivante : le Commissaire aux comptes avait refusé de certifier les comptes au seul motif d’un litige d’honoraires entre les parties et d’une provision qu’il entendait voir figurer dans les comptes pour couvrir un risque de révision rétroactive de loyer sur 9 ans.
Comme tout juriste le sait, la révision de loyer d’un bail commercial n’a pas d’effet rétroactif ; aucune révision n’ayant jamais été demandée, la société ne pouvait se voir réclamer par le propriétaire aucune régularisation.
Le Commissaire aux Comptes défendait pourtant un avis contraire.
La Cour sanctionne cet entêtement en notant que la société contrôlée s’est aussitôt expliquée à ce propos, et a rappelé les dispositions légales par l’intermédiaire d’un avocat ; loin d’avoir acquiescé « à cet avis autorisé » le commissaire aux comptes a recouru à une seconde consultation juridique auprès d’un tiers, avocat lui-même, qui a conclu dans le même sens que le premier ; le commissaire aux comptes n’a finalement remis ses rapports qu’après avoir été assigné en référé.
La Cour juge cette obstination fautive et considère qu’elle constitue un abus dans l’exercice de la mission.
De même, juge la Cour, la dénonciation de la société contrôlée au procureur de la République, dès le lendemain de la remise du rapport de certification, procède manifestement de l’intention de nuire, exclusive de l’immunité légale de l’article L 823-12 alinéa 2 du code de commerce.
L’épopée « Honoraires », s’est terminée par l’arrêt rendu le 11 décembre 2014 par le H3C saisi sur appel de la décision rendue le 19 décembre 2013 par la Chambre Régionale de Discipline.
Constatant que les honoraires afférents à la mission de certification des comptes avaient été réglés, le H3C rejette toutes les factures présentées au titre des « diligences complémentaires ».
Le H3C relève que le Commissaire aux Comptes n’avait pas reçu l’accord préalable du client quant au tarif facturé, aux diligences envisagées et au nombre d’heures pour les accomplir ; qu’il n’avait pas usé de la faculté de révision prévue dans la lettre de mission, enfin que l’article 33 du Code de déontologie impose au professionnel d’obtenir l’accord de l’entité contrôlée au plus tard au moment où il apparaît que les travaux ou diligences complémentaires doivent être réalisées.
Qu’au surplus, pour celles des factures qui comportaient un libellé, celui-ci permettait de constater qu’elles étaient relatives à des travaux de nature juridique, dont certains s’inscrivaient dans le cadre du différend né entre le commissaire aux comptes et la société.
Deux ans de procédure douloureuse pour la société qui confirme que la séparation entre les métiers du droit et les métiers du chiffre, sert avant tout les intérêts des usagers qui sont contraints d’y recourir.
Discussions en cours :
5/ Vous indiquez que ce projet porté également sur le fait d’autoriser les experts-comptables à effectuer des actes juridiques accessoirement à leur mission principale. Que voyez-vous de nouveau là dedans. Cela fait partie des prérogatives anciennes de l’expert-comptable (contrats de travail, statuts de sociétés, PV d’AG, rapport de gestion, convocation des associés, rapport moral...). Et je dis bien accessoirement à la mission principale de l’expert-comptable. Voir article 59 de la loi du 31 décembre 1971, et l’article 22 de l’ordonnance du 19 septembre 1945.
Pour aller au-delà, l’expert-comptable a toujours été autorisé à assister ses clients devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et administratif (art. 22, al.5, ord. 19/09/1945). Entendons nous, il s’agit là d’assistance et non de représentation.
6/ Je vous cite : "L’article L 823-10 du Code de Commerce prohibe toute immixtion du Commissaire aux Comptes dans la gestion ; au titre « Interdiction situations à risques », l’article 10 - 11° du code de déontologie interdit toute prestation de service en matière juridique". Les dispositifs précités, comme vous le mentionnez à très juste titre, sont ceux applicables aux commissaires aux comptes et non aux experts-comptables. Je vous le rappelle, ce sont deux professions distinctes. LE CONSEIL JURIDIQUE N’EST EN AUCUN CAS INTERDIT A L’EXPERT-COMPTABLE.
7/ Vous retenez le cas d’un commissaire aux comptes, ayant agi dans la méconnaissance du cadre légal et sanctionné par ses paires, pour illustrer l’incompétence de cette profession en matière juridique. Ce raccourci dangereux, a pour unique objectif à mon sens, de jeter le discrédit sur la profession prise dans son ensemble, et m’oblige à deux commentaires. Premièrement, il n’est pas acceptable de laisser sous-entendre que l’incompétence (juridique, ou de toute nature) serait l’exclusivité des commissaires aux comptes. J’ose encore penser que l’incompétence (ou l’erreur), ou encore la malveillance, peut malheureusement se retrouver dans n’importe quelle profession.
Deuxièmement, vous concluez comme suit : "Deux ans de procédure douloureuse pour la société qui confirme que la séparation entre les métiers du droit et les métiers du chiffre, sert avant tout les intérêts des usagers qui sont contraints d’y recourir". Si l’on fait abstraction de la théorie soutenue dans votre article, consistant à généraliser l’incompétence d’un professionnel à l’ensemble d’une profession ; je me dois tout de même de vous poser la question suivante : Avez-vous saisi à la base que les professions d’expert-comptable et de commissaire aux comptes étaient deux professions différentes ?
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