Quand les métiers du chiffre veulent exercer les métiers du droit. Par Nathalie Versigny, Avocat.

Quand les métiers du chiffre veulent exercer les métiers du droit.

Par Nathalie Versigny, Avocat.

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Explorer : # compétence professionnelle # conflit d'intérêts # déontologie # honoraires

Voici un sujet d’actualité. Rappelons que sur le thème « Oser, Agir, Conquérir », Monsieur Macron a ‎demandé aux experts comptables d’être « les ambassadeurs des réformes ‎économiques du gouvernement » auprès des entreprises ; en échange il leur ‎propose un cadeau royal : élargir leur champ de compétence : les experts ‎comptables pourraient très prochainement réaliser des activités commerciale et ‎des actes juridiques à titre accessoire.

-

Deux décisions rendues le 23 septembre 2014 par le Pôle 5, Chambre 8 de la ‎Cour d’Appel de Paris, et le 11 décembre 2014 par le Haut Conseil du ‎Commissariat aux Comptes, illustrent les dangers de brouiller les sphères de ‎compétence.‎

Le litige opposait une SAS à son Commissaire aux Comptes.‎

S’agissant d’une mission légale, les conditions d’intervention et de ‎rémunération des commissaires aux comptes sont encadrées par la loi. ‎

- La mission est limitée à la vérification des documents comptables et au ‎contrôle de leur conformité aux règles en vigueur, ainsi qu’au contrôle de la ‎sincérité des informations données aux actionnaires sur la situation financière ‎de l’entreprise et les comptes annuels.‎

L’article L 823-10 du Code de Commerce prohibe toute immixtion du ‎Commissaire aux Comptes dans la gestion ; au titre « Interdiction situations à ‎risques », l’article 10 - 11° du code de déontologie interdit toute prestation de ‎service en matière juridique.‎

- Les honoraires sont fixés suivant un barème arrêté en fonction du bilan de ‎l’entreprise (art. R 823-12) ; la mission est planifiée à l’avance dans un ‎programme de travail qui indique le nombre d’heures et le montant des ‎honoraires correspondants (art R 823-11) ; le taux horaire doit être fixé d’un ‎commun accord préalablement à l’exercice de la mission (art.R 823-15).‎

Pour s’affranchir de ces contraintes tarifaires, le Commissaire aux Comptes ‎s’était imposé dans la gestion de la société en lui prodiguant des avis juridiques ‎qu’il facturait comme diligences complémentaires.‎

Le litige se jouait sur deux fronts : ‎

‎1. Devant le Juge judiciaire à qui la société demandait réparation des ‎préjudices subis du fait d’actions à la fois prohibées par la loi et malveillantes, ‎poursuivies dans le seul but d’obtenir le paiement d’ honoraires hors champ ‎conventionnel et légal.‎

‎2. Devant la Chambre de Discipline des Commissaires aux Comptes ‎exclusivement compétente en matière de fixation d’honoraires qui avait été ‎saisie par le Commissaire au Comptes.‎

- Devant la Cour d’Appel de Paris était évoquée la difficulté suivante : le ‎Commissaire aux comptes avait refusé de certifier les comptes au seul motif ‎d’un litige d’honoraires entre les parties et d’une provision qu’il entendait voir ‎figurer dans les comptes pour couvrir un risque de révision rétroactive de loyer ‎sur 9 ans.‎

Comme tout juriste le sait, la révision de loyer d’un bail commercial n’a pas ‎d’effet rétroactif ; aucune révision n’ayant jamais été demandée, la société ne ‎pouvait se voir réclamer par le propriétaire aucune régularisation.‎
Le Commissaire aux Comptes défendait pourtant un avis contraire.‎

La Cour sanctionne cet entêtement en notant que la société contrôlée s’est ‎aussitôt expliquée à ce propos, et a rappelé les dispositions légales par ‎l’intermédiaire d’un avocat ; loin d’avoir acquiescé « à cet avis autorisé » le ‎commissaire aux comptes a recouru à une seconde consultation juridique ‎auprès d’un tiers, avocat lui-même, qui a conclu dans le même sens que le ‎premier ; le commissaire aux comptes n’a finalement remis ses rapports ‎qu’après avoir été assigné en référé. ‎

La Cour juge cette obstination fautive et considère qu’elle constitue un abus ‎dans l’exercice de la mission.‎
De même, juge la Cour, la dénonciation de la société contrôlée au procureur de ‎la République, dès le lendemain de la remise du rapport de certification, ‎procède manifestement de l’intention de nuire, exclusive de l’immunité légale de ‎l’article L 823-12 alinéa 2 du code de commerce.‎

- L’épopée « Honoraires », s’est terminée par l’arrêt rendu le 11 décembre 2014 ‎par le H3C saisi sur appel de la décision rendue le 19 décembre 2013 par la ‎Chambre Régionale de Discipline.‎

Constatant que les honoraires afférents à la mission de certification des ‎comptes avaient été réglés, le H3C rejette toutes les factures présentées au titre ‎des « diligences complémentaires ».‎

Le H3C relève que le Commissaire aux Comptes n’avait pas reçu l’accord ‎préalable du client quant au tarif facturé, aux diligences envisagées et au ‎nombre d’heures pour les accomplir ; qu’il n’avait pas usé de la faculté de ‎révision prévue dans la lettre de mission, enfin que l’article 33 du Code de ‎déontologie impose au professionnel d’obtenir l’accord de l’entité contrôlée au ‎plus tard au moment où il apparaît que les travaux ou diligences ‎complémentaires doivent être réalisées.‎

Qu’au surplus, pour celles des factures qui comportaient un libellé, celui-ci ‎permettait de constater qu’elles étaient relatives à des travaux de nature ‎juridique, dont certains s’inscrivaient dans le cadre du différend né entre le ‎commissaire aux comptes et la société.‎

Deux ans de procédure douloureuse pour la société qui confirme que la ‎séparation entre les métiers du droit et les métiers du chiffre, sert avant tout ‎les intérêts des usagers qui sont contraints d’y recourir.‎

Nathalie VERSIGNY
Avocat à la Cour d’Appel de PARIS

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Discussions en cours :

  • par Joste , Le 18 mars 2015 à 09:07

    Bonjour,

    Je suis quelque peu abasourdie par cet article. Il est regrettable que Nathalie Versigny n’ait pas pris la peine de se documenter de façon plus approfondie sur des métiers dont elle ne connaît visiblement ni les prérogatives, ni le fonctionnement. J’espère qu’il s’agit là d’une erreur involontaire, cependant l’absence de réponse de sa part aux commentaires précédents (très précis) me fait plutôt penser qu’il y a derrière cette attaque une mauvaise foi assumée. Cela est regrettable pour nos deux professions.

    Mme Jost, expert-comptable

  • par CHRISTIAN , Le 8 mars 2015 à 13:25

    Les propos de la consœur sont totalement erronés, et volontairement détournés. Tant de bassesse !

  • par BENTBIB , Le 17 février 2015 à 11:29

    Une réponse de l’auteur est vivement souhaitée. On ne peut fournir au public une information aussi erronée (article lu par plus de 940 personnes) sans manifester le souhait de la rectifier. A moins que l’omission soit volontaire et la faute intentionnelle...

  • par PALMIERI , Le 16 février 2015 à 18:41

    Il me semble dérangeant de publier un tel article où l’incompétence de la rédactrice le dispute à sa mauvaise foi qui en confondant volontairement deux professions distinctes tentent de les discréditer .
    Monsieur MACRON parle des experts comptables et la rédactrice parle des commissaires aux comptes. Tous les développements de celle-ci n’ont donc aucun rapport avec le thème traité par Monsieur MACRON ;
    Il est désolant que dans ce pays ce genre de prise de position médiatique et publicitaire puisse être portée à la connaissance de lecteurs peu avertis.

    Bernard Palmieri
    ESCP
    Expert comptable
    Commissaire aux comptes

  • par BENTBIB , Le 16 février 2015 à 18:06

    La lecture des nombreux amalgames contenus dans cet article m’oblige à fournir un commentaire circonstancié. Le contenu de mon message a pour unique objectif de rectifier l’information portée au lecteur. En ce sens, j’espère très sincèrement qu’il ne sera pas censuré.

    1/ Le titre de l’article évoque l’élargissement des missions de l’expert-comptable prévu par la loi Macron. En parallèle, le corps du texte retient la condamnation d’un commissaire aux comptes. Ce sont deux professions distinctes relevant de deux instances ordinales différentes.

    L’expert-comptable exerce sa profession sous le contrôle de l’Ordre des Experts Comptables (OEC), tandis que le commissaire aux comptes relève de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC).

    Deux instances fondamentalement distinctes, et indépendantes. La première est sous la tutelle du Ministère des Finances, tandis que la seconde est sous la tutelle du garde des sceaux. Une personne peut être diplômée à la fois expert-comptable et commissaire aux comptes, mais ne pourra jamais exercer les deux fonctions auprès d’une même entité. Je n’apprends rien à personne en rappelant qu’il s’agit d’une incompatibilité.

    2/ Cette première remarque en amène une seconde. Pour reprendre votre titre : "Quand les métiers du chiffre veulent exercer les métiers du droit". Si votre titre fait allusion aux commissaires aux comptes, comme le laisse à penser le corps du texte, cette profession est sous la tutelle du garde des sceaux, et est par conséquent davantage un métier de droit que de chiffre. Je m’interroge pour quelle raison souhaitez-vous l’exclure des métiers de droit.

    3/ Vous retenez la condamnation d’un commissaire aux comptes pour illustrer l’inadéquation du projet de loi Macron. Ce projet ne concerne ni de près, ni de loin, l’exercice du commissariat aux comptes.

    4/ Vous indiquez que le projet de loi vise notamment à autoriser les experts-comptables à exercer une activité commerciale à titre accessoire. Ces activités sont autorisées à titre accessoire et sous le contrôle de l’OEC depuis le 1er janvier 2012. Voir en ce sens l’article 22 de l’ordonnance de 1945 (version en vigueur au 1er janvier 2012) : "l’activité d’expertise comptable est incompatible avec toute activité commerciale,..., sauf si elle est réalisée à titre accessoire".

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