Les collectivités publiques sont fréquemment confrontées, dans le cadre de leurs procédures d’appel d’offres, à des offres pouvant paraître « anormalement basses ».
La multiplicité des procédures, la conjoncture économique, et un environnement toujours plus concurrentiel conduisent en effet les entreprises soumissionnaires à proposer des prix toujours plus bas, pour espérer emporter des marchés.
Par ailleurs, l’impératif constant de bonne gestion des deniers publics, et le contexte de crise économique peuvent conduire les collectivités à retenir des offres anormalement basses pour leurs contrats publics.
La collectivité publique doit pourtant se montrer particulièrement vigilante en la matière dans la mesure où le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte au principe d’égalité entre les candidats, protégé par l’article premier du Code des marchés publics, et fausse ainsi le libre jeu de la concurrence (« dumping »).
Partant, l’offre anormalement basse d’un candidat peut vicier, ab initio, toute la procédure de passation du contrat public, et sera, le cas échéant, censurée par le juge administratif dans le cadre de son contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la qualification de l’offre (CE, 29 janvier 2003, « Département d’Ille-et-Vilaine », n° 208096).
Par ailleurs, l’offre anormalement basse est susceptible de compromettre la bonne exécution du marché conclu sur sa base, et peut donc s’avérer préjudiciable pour la collectivité.
De manière traditionnelle, l’article 55 du Code des marchés publics offre la possibilité au pouvoir adjudicateur de rejeter par décision motivée l’offre paraissant anormalement basse, après avoir demandé par écrit à l’entreprise les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies. Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants :
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- - Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ;
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- - Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ;
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- - L’originalité de l’offre ;
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- - Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ;
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- - Ainsi que l’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le candidat.
Aucun article du Code des marchés publics n’offre toutefois de définition claire et précise de ce qu’il faut entendre par « offre anormalement basse », ou ne propose de méthode permettant de définir cette notion. La seule définition proposée est celle del’article 15.2 de la circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, qui dispose qu’ « une offre peut être qualifiée d’anormalement basse, si son prix ne correspond pas à une réalité économique ».
Par une décision remarquée « Ministre de l’Intérieur c/ société Artéis » du 29 mai 2013 (n°366606), le Conseil d’État vient d’apporter un éclairage nouveau sur cette notion, et de proposer une méthode de qualification.
Ainsi, selon le Conseil d’État :
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- - il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ;
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- - si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre ;
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- - pour estimer si l’offre de l’entreprise soumissionnaire est, ou pas, anormalement basse, le pouvoir adjudicateur ne peut se fonder sur le seul écart de prix avec le ou les offre(s) concurrente(s), mais doit rechercher si le prix en cause est, en lui-même, manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.
L’écart de prix entre l’offre paraissant anormalement basse, et les offres concurrentes, ne peut dès lors servir de seul fondement pour écarter l’offre suspecte.
Il appartient à toute collectivité publique d’identifier toute offre suspecte, et de respecter scrupuleusement les principes ainsi posés, au risque de commettre une erreur de droit, et de voir sa procédure de passation censurée par le juge administratif. Tout en se gardant de tout excès de prudence (une offre compétitive n’est pas nécessairement anormalement basse), une bonne estimation préalable d’un coût moyen de revient, une comparaison avec les offres concurrentes et un examen attentif de l’offre suspecte permettra de limiter les risques en la matière.