Durée du travail des cadres : où en est-on ?

Par Romain Aupoix, Avocat.

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Explorer : # durée du travail # cadres dirigeants # forfaits jours # réglementation du travail

La règlementation de la durée du travail, telle que fixée par le Code du travail, ne cesse d’évoluer sous l’influence de la jurisprudence.
L’un des domaines privilégiés d’intervention des juges concerne le temps de travail des cadres qui a fortement évolué ces dernières années.
Afin de préserver la santé des salariés concernés, divers gardes fous ont été mis en place, ouvrant la voie à de nouveaux contentieux, notamment en matière d’heures supplémentaires.
Les principaux champs d’intervention des juges concernent les cadres dirigeants, dont la notion a été précisée, et les forfaits jours, soumis à un contrôle des plus stricts.

-

I- Les cadres dirigeants : une catégorie précisée et limitée

Les cadres dirigeants, qui ne sont pas soumis à la réglementation de la durée du travail, sont définis par le Code du travail comme les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou l’établissement [1].

Cette catégorie de cadres est nécessairement restreinte et par un arrêt en date du 31 janvier 2012, la Cour de cassation a entendu rappeler qu’un cadre ne pouvait répondre à la qualification de cadre dirigeant qu’autant qu’il participe effectivement à la direction de l’entreprise [2].

Depuis lors, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises cette exigence, excluant la qualification de cadre dirigeant pour une responsable d’agence immobilière [3] ou un directeur technique devenu « vice-président recherche et développement produits » [4].

Le haut niveau de rémunération comme l’importance des responsabilités confiées ne peuvent, en l’absence de participation effective à la direction de l’entreprise, justifier le statut de cadre dirigeant.

La remise en cause de la qualification de cadre dirigeant autorisant le salarié à se prévaloir de l’ensemble des règles sur la durée du travail, dont la réglementation des heures supplémentaires, il convient d’être vigilant lors de l’attribution d’un tel statut.

II- Les forfaits jours : un recours contrôlé et encadré

Conformément aux dispositions des articles L. 3121-39 et suivants du Code du travail, la mise en place de forfaits annuels en jours ou en heures suppose l’existence d’une convention ou d’un accord collectif d’entreprise ou de branche le prévoyant et la conclusion, avec le salarié concerné, d’une convention individuelle de forfait.

– L’accord autorisant le recours au forfait jours doit prévoir des garanties précises

La Cour de cassation est venue préciser que les accords collectifs autorisant le recours aux forfaits jours doivent instaurer un certain nombre de garanties précises en l’absence desquelles le forfait mis en place ne sera pas jugé valable.

Depuis 2011, la Cour de cassation procède à une analyse des dispositions des conventions collectives prévoyant le recours au forfait jours , qui doivent assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés concernés en garantissant le respect des durées maximales du travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.

A ce titre, si les dispositions de la convention collective de la métallurgie ont été jugées conformes à cette exigence [5], ont été successivement invalidées les dispositions de l’accord-cadre sur l’organisation et la durée du travail dans l’industrie chimique [6], l’accord sur la durée du travail des commerces de gros [7], l’accord relatif à la durée du travail de la branche « Syntec » [8] et les dispositions de la convention collective des experts comptables [9].

Si les dispositions d’un accord d’entreprise peuvent permettre de suppléer à l’insuffisance d’un accord de branche, les garanties minimales à mettre en place, au regard de la jurisprudence actuelle, sont les suivantes :

• Création d’un document de contrôle, qui pourra être renseigné par le salarié, sous la responsabilité de l’employeur, faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos pris,
• Suivi régulier, par le supérieur hiérarchique, de l’organisation et de la charge de travail du salarié,
• Tenue d’au moins un entretien annuel entre le salarié et son supérieur hiérarchique au cours duquel doivent être évoquées l’organisation et la charge de travail du salarié, l’amplitude de ses journées d’activité, l’articulation entre sa vie professionnelle et personnelle et sa rémunération

En tout état de cause, les dispositions mises en place par l’accord ne peuvent avoir pour effet de faire reposer sur le seul salarié le suivi de sa charge de travail [10].

L’accord doit en effet mettre en place un système de contrôle effectif des conditions d’exécution du forfait, sous la responsabilité de l’employeur.

L’absence de dispositions conventionnelles conformes aux exigences jurisprudentielles est lourdement sanctionnée.

Il est en effet désormais jugé que la convention de forfait conclue est alors nulle ou réputée privée d’effet, ce qui autorise le salarié à solliciter le bénéfice d’heures supplémentaires.

De telles exigences transforment radicalement ce mode d’organisation du temps de travail initialement privilégié pour sa souplesse.

Les nouvelles dispositions négociées au sein de la branche « Syntec » en sont une parfaite illustration.

Dans le prolongement de l’arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2013 qui a invalidé les dispositions de l’accord collectif de branche consacrées aux forfaits jours, les partenaires sociaux ont négocié un avenant à cet accord qui devra être respecté par les entreprises de la branche et dont les dispositions se révèlent particulièrement rigoureuses (avenant du 1er avril 2014 entré en vigueur au 1er août 2014).

En effet, il est désormais exigé, notamment :

• la mise en place d’un document renseigné par le salarié sous le contrôle de l’employeur précisant le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des journées non travaillées,
•la tenue d’au moins deux entretiens annuels avec le salarié, outre l’organisation d’entretiens spécifiques en cas de difficulté inhabituelle,
•l’affichage dans l’entreprise de la période quotidienne de travail et de la période hebdomadaire intégrant les périodes de repos minimal obligatoire avec mise en place d’un outil de suivi permettant d’assurer le respect des temps de repos quotidiens (11 heures consécutives) et hebdomadaires (35 heures),
•la déconnexion obligatoire des outils de communication à distance,
•la création d’un droit d’alerte au profit du salarié en cas de difficulté inhabituelle dans l’organisation ou sa charge de travail impliquant de recevoir le salarié dans les 8 jours

- L’employeur doit respecter les dispositions conventionnelles et légales afférentes au forfait jours

Outre que l’accord collectif doit prévoir différentes garanties, il est encore indispensable que l’employeur respecte les dispositions prévues par l’accord.

Là encore, à défaut, le forfait sera jugé sans effet et autorisera le salarié à solliciter le règlement d’heures supplémentaires. C’est notamment ce que confirme la Cour de cassation dans son récent arrêt du 2 juillet 2014 [11].

Il en va de même des règles légales relatives au forfait jours.

Ainsi, doit être respectée, y compris pour les conventions de forfait conclues avant l’entrée en vigueur de l’article L. 3121-46 du Code du travail, l’organisation de l’entretien annuel portant sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération [12]. A défaut, le forfait est là encore privé d’effet.

Sous l’influence de la jurisprudence, le forfait jours devient un instrument de plus en plus contraignant à manier pour les entreprises. Il implique en effet une grande vigilance afin de vérifier que les conditions du recours au dispositif sont bien respectées mais également que toutes les mesures sont prises afin de veiller au respect des règles destinées à en contrôler les conditions d’exécution.

Romain Aupoix - Avocat au barreau de Paris
Site : romainaupoix-avocat.com

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Notes de l'article:

[1article L. 3111-2 du Code du travail

[2Soc. 31 janvier 2012 n° 10-24.412

[3Soc. 2 juillet 2014 n° 12-19.759

[4Soc. 26 novembre 2013 n° 12-21.758

[5Soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107

[6Soc. 31 janvier 2012 n° 10-19.807

[7Soc. 26 septembre 2012 n° 11-14.540

[8Soc. 24 avril 2013 n° 11-28.398

[9Soc. 14 mai 2014 n° 12-35.033

[10Soc. 11 juin 2014 n° 11-20985

[11Soc. 2 juillet 2014 n° 13-11940

[12Soc. 12 mars 2014 n° 12-29.141

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Discussions en cours :

  • Bonjour Maitre,

    vous oubliez de préciser qu’un risque supplémentaire existe pour l’employeur qui au delà des heures supplémentaires à payer pourra être condamné au versement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

    Cordialement

    • par romain Aupoix , Le 8 octobre 2014 à 18:02

      Cher Monsieur,
      L’application du régime des heures supplémentaires et une condamnation de l’employeur à ce titre peut effectivement entraîner une condamnation au titre du travail dissimulé qui est un risque à prendre en compte.
      Bien cordialement
      Romain Aupoix

    • par Debray , Le 1er décembre 2014 à 21:47

      Bonjour maitre,
      je suis un cadre au forfait journalier 218j annuel, et je voulais savoir où trouver l’article "[12] Soc. 12 mars 2014 n° 12-29.141" que vous préciser dans votre article. Car je voulais connaître les règles et modalités sur les salariés des cadres au forfait 218 jours ..
      car j’ai des doutes sur ma rémunération aux vues des nouvelles demandes de mes employeurs.. Plus d’heures a effectuer sur les journées .. Avec des trajets parfois important ..
      merci a vous

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