Facebook, un ami qui ne vous veut pas forcément du bien.

Par Isabelle Kuok, Avocat

2441 lectures 1re Parution: 4.98  /5

Explorer : # réseaux sociaux # licenciement # liberté d'expression # vie privée

Critiquer et menacer son employeur sur le "mur" peuvent justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

-

FACEBOOK est un réseau social qui connaît depuis quelques années un engouement certain. Les jeunes ne peuvent plus s’en passer, les plus âgés s’y mettent et les derniers réticents l’ont même adopté. En quelques clics, on laisse des messages, on publie quelques photos, quelques articles de journaux… un moyen ludique pour rester en contact sans conséquence en théorie puisque depuis quelques mois plusieurs décisions semblent indiquer que les propos injurieux tenus sur le « mur » FACEBOOK présentent un caractère public et peuvent justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

C’est en ce sens que les conseillers prud’homaux de Boulogne Billancourt ont statué en section départage le 19 novembre 2010 ainsi que les magistrats de la Cour d’appel de Reims du 9 juin 2011. Dans ces décisions, les juges ont considéré que l’employeur était fondé à licencier un salarié pour les propos injurieux tenus sur le mur FACEBOOK dès lors que ces propos présentaient un caractère public.

Cette interprétation vient d’être confirmée une nouvelle fois par la Cour d’appel de Besançon dans un arrêt du 15 novembre 2011.

Les faits de l’espèce sont simples. Un responsable de magasin d’une grande enseigne est licencié pour faute grave. Indigné par cette sanction qu’il estime injuste, il le fait savoir sur son mur FACEBOOK.

Ses bons et loyaux amis viennent le soutenir tour à tour et laissent des messages d’encouragement, d’indignation, chacun y va de son commentaire…

Le ton est engagé, la société n’est pas encore identifiée jusqu’au moment où l’une de ses collègues et amie lâche les mots suivants « oui, c’est clair, cette boîte me dégoûte… Non faire juste notre boulot et ne pas en faire trop, j’espère me retrouver vite autre chose, après là, ils se démerderont…Oui c’est sur tu vas retrouver quelque chose, ca va te permettre de voir d’autres horizons, mais ça fait quand même chier quand même la façon dont ça s’est passé, ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ! » tandis qu’un des contacts mentionne le nom de la société.

La suite est simple : la direction a connaissance de ce message via un ami qui effectue une impression d’écran et la salariée est licenciée pour cause réelle et sérieuse pour deux motifs : l’un, pour les injures et menaces proférées à l’encontre de son employeur via le réseau social FACEBOOK et l’autre, pour le défaut d’alerte sur les agissements frauduleux de son ancien responsable de magasin. Ici, nous nous intéresserons au premier motif.

En première instance, la salariée a saisi le Conseil de Prud’hommes de Montbéliard pour contester son licenciement pour cause réelle et sérieuse et réclamer des dommages et intérêts. Elle est déboutée par jugement du 4 octobre 2010. Les Conseillers prud’homaux de Montbéliard avaient considéré que le message laissé par la salariée n’avait rien d’une correspondance privée. Il présentait un caractère public et les termes injurieux et menaçants justifiaient son licenciement pour cause réelle et sérieuse. La motivation brève voire lacunaire du jugement était passée inaperçue auprès de la doctrine…

L’affaire s’est donc présentée devant la Cour d’appel de Besançon et l’argumentation avancée par la salariée était la même que dans le jugement du Conseil de Prud’hommes de Boulogne du 19 novembre 2010.

Tout d’abord, la salariée soutenait que la conversation sur le « mur » de FACEBOOK de son ancien responsable présentait un caractère privé en prenant l’exemple d’une discussion échangée entre amis dans un café.
L’employeur considérait que cet exemple n’était pas pertinent puisque les propos litigieux étaient visibles par les contacts et les contacts des contacts. Il rappelait également que les amis du titulaire du « mur » pouvaient se chiffrer à une dizaine voire une centaine de personnes qui pouvaient lire son mur et commenter à tout va. En outre, il faisait une distinction entre les messages échangés sur le mur de ceux laissés dans la boite privée en précisant que si la salariée voulait laisser un message privé, elle pouvait le faire par le biais de la messagerie individuelle. Cette solution est d’ailleurs logique puisque laisser un message sur « un mur » signifie vouloir apporter son opinion publiquement !

Ensuite, la salariée précisait que les propos tenus n’étaient nullement abusifs mais seulement sévères.
Or, les termes « ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ! » allaient bien au-delà de ce qui est autorisé, voire toléré par la liberté d’expression. L’employeur rappelait à juste titre que la société possédait plus de 500 magasins dans sept pays européens, de tels propos de la part d’une salariée qui occupait le poste de vendeuse et qui était en permanence en contact avec la clientèle, nuisaient nécessairement à son image de marque.

Enfin, la salariée rétorquait qu’elle n’avait pas identifié elle-même le nom de la société. Or, s’il est vrai que cette société a été identifiée par une autre personne, ce fait n’était pas de nature à atténuer la faute et en toute hypothèse, les propos tenus visaient forcément la société.

Inspirée par les quelques décisions rendues sur FACEBOOK, la Cour d’appel de Besançon a confirmé le jugement prud’homal de Montbéliard en toutes ses dispositions et débouté Madame F de l’ensemble de ses demandes.

Les magistrats ont d’abord relevé que même si la salariée n’avait pas nommément désignée son employeur, ce fait n’était pas de nature à atténuer la faute et en toute hypothèse, les propos tenus visaient forcément la société : « s’il est avéré que lors du dialogue auquel elle a participé sur FACEBOOK avec l’ancien directeur de magasin et certains contacts de ce dernier, Melle F n’a jamais désigné nommément la société CASA, il n’en demeure cependant pas moins que ces propos sont demeurés inscrits sur le « mur » du profil de son interlocuteur, d’une part, qu’ils ont été par la suite complétés par un autre contact qui a expressément mentionné la société CASA, d’autre part ; que même à supposer que la salariée ait quitté au plus tôt le site sitôt après la délivrance de son dernier message, ses propos sont tout de même demeurés accessibles et son employeur parfaitement identifiable ».

Ils ont ensuite relevé que la conversation de la salariée avec son ancien responsable était publique puisqu’elle a été faite sur le mur FACEBOOK de ce dernier : « le réseau FACEBOOK a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroître de façon exponentielle par application du principe « les contacts de mes contacts deviennent mes contacts » et ce, afin de leur permettre de partager toutes sortes d’informations, que ces échanges s’effectuent librement via « le mur » de chacun des membres auquel tout un chacun peut accéder si son titulaire n’a pas apporté des restrictions, qu’il s’ensuit que ce réseau doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public ; qu’il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur FACEBOOK, soit d’adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s’assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu’il a limité l’accès à son « mur ».

La Cour d’appel précise également que « la salariée qui ne pouvait ignorer le fonctionnement du site FACEBOOK, n’est pas fondée à soutenir que son dialogue avec l’ancien directeur du magasin constituait une conversation privée, que pour ce faire, elle disposait en effet de la faculté de s’entretenir en particulier avec lui en utilisant la fonctionnalité adéquate proposée par le site ».

S’agissant des propos tenus par la salariée, la Cour d’appel de Besançon relèvent qu’ « eu égard à leur caractère violent et excessif, ces propos témoignent d’un abus incontestable de la liberté d’expression reconnu à tout salarié ».

Cet arrêt donne pour la première fois une définition précise du réseau social FACEBOOK et de sa finalité et met un terme à l’interrogation du caractère public ou privé des propos tenus sur le mur FACEBOOK.

Enfin, par cet arrêt du 15 novembre 2011, les magistrats rappellent également autant qu’il est nécessaire que les salariés sont tenus à l’égard de leur employeur à une obligation de loyauté qui ne doit pas être prise à la légère. Aux utilisateurs assidus de FACEBOOK ou autre réseau social, si vous voulez critiquer votre employeur ou son entreprise, faites le mais en privé ! ».

Isabelle KUOK, Avocat
COSTER BAZELAIRE ASSOCIES

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

49 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs