Responsabilité des banquiers : le nouveau devoir de vigilance.

Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat

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Explorer : # devoir de vigilance # responsabilité des banquiers # obligation de conseil # anomalies apparentes

Il est constant que le banquier est tenu aux devoirs d’information, de conseil et de mise en garde envers son client, principalement vis-à-vis de son client profane. Ces devoirs s’imposent au banquier notamment lors de l’octroi d’un prêt.

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Il est admis que la banque, prêteuse de deniers, doit attirer l’attention de l’emprunteur sur l’importance de l’endettement résultant du prêt contracté (Cass. civ., 27 juin 1995, n° 92-19212).
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Agit ainsi avec une « légèreté blâmable », constitutive d’une faute, l’établissement de crédit qui amène un agriculteur à contracter un emprunt dont la charge est supérieure au revenu procuré par l’exploitation (Cass. civ., 8 juin 1994, n° 92-16142).

A défaut d’avoir pris connaissance des capacités financières de l’emprunteur, l’établissement de crédit ne peut prétendre avoir été mis à même d’attirer l’attention de l’emprunteur sur l’éventuelle disproportion des charges de l’emprunt au regard de sa situation financière et des risques, non moins éventuels, d’insolvabilité.

Toutefois, la Cour de cassation vient de rassurer les banquiers prêteurs en jugeant que les capacités financières et le risque d’endettement devaient être évalués par le banquier en considération tant des revenus que du patrimoine de l’emprunteur, et ce même si ce patrimoine n’a pas vocation à permettre le règlement des mensualités des prêts (Cass.com., 6 décembre 2011, n° 10-24.268).

Aujourd’hui, en plus de leurs devoirs d’information, de conseil et de mise en garde, la jurisprudence impose désormais au banquier, un nouveau devoir de vigilance.

Rappelons tout d’abord que l’article L. 561-6 alinéa 2 du Code Monétaire et Financier dispose :

« Avant d’entrer en relation d’affaires avec un client, les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 (notamment les banques) recueillent les informations relatives à l’objet et à la nature de cette relation et tout autre élément d’information pertinent sur ce client.
Pendant toute sa durée (…), ces personnes exercent sur la relation d’affaires, dans la limite de leurs droits et obligations, une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur client. »

Certes, l’obligation de vigilance imposée aux organismes financiers en application de l’article 14 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990, devenu les articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier, n’a pour seule finalité que la détection de transactions portant sur des sommes en provenance du trafic de stupéfiants ou d’activités criminelles organisées.

Une victime d’agissements frauduleux ne peut dès lors se prévaloir de l’inobservation d’obligations résultant de ce texte pour réclamer des dommages et intérêts à l’établissement financier.

Toutefois, les juges ont élaboré une obligation de vigilance à partir des articles 1147, 11134 (responsabilité contractuelle vis-à-vis des clients) et également 1382 et 1383 du Code civil (vis- -vis des tiers).

Cette obligation de vigilance n’est limitée que par un principe de non-ingérence selon lequel il est fait interdiction au banquier de s’immiscer dans les affaires de ses clients.

Ce principe de non-ingérence n’est prévu par aucune loi ni aucun texte.

Les juges considèrent de manière constante que le principe de non-ingérence s’arrête là où commencent les anomalies apparentes.

Ainsi, les banquiers sont tenus de relever les anomalies apparentes, lesquels sont de deux ordres :

-  les anomalies matérielles (retouches, surcharges sur documents bancaires) ;
-  les anomalies d’ordre intellectuel, quand certains éléments laissent penser à une opération illicite.

Ainsi, dans un arrêt du 22 novembre 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation a sanctionné un établissement bancaire au motif de la violation par ce dernier de son obligation de vigilance, tant à lors de l’ouverture du compte bancaire qu’à l’occasion de son bon fonctionnement (Cass.com., 22 novembre 2011, n° 10-30101).

En l’espèce, une société d’investissement de droit irlandais avait ouvert un compte à la Banque Populaire sur lequel elle déposait les chèques émis par les personnes démarchées.

Cette société d’investissement n’a pu restituer les fonds perçus car une liquidation judiciaire a été prononcée à son encontre.

Les clients ont assigné la Banque Populaire en lui reprochant d’avoir commis diverses fautes lors de l’ouverture et pendant le fonctionnement du compte.

La Cour a ainsi notamment relevé que la Cour d’Appel avait retenu que le fonctionnement du compte, « qui présentait des mouvements très nombreux sans justification apparente et des virements de sommes créditées sur des comptes étrangers, ouverts en Suisse ou aux Bahamas, ne pouvait qu’attirer l’attention s’agissant d’opérations qui font nécessairement l’objet d’une surveillance accrue. »

Dans cet arrêt du 22 novembre 2011, la Cour de cassation a alors jugé « qu’en l’état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir des anomalies de fonctionnement appelant une vigilance particulière de la banque, la Cour d’Appel a pu retenir que cette dernière avait commis une faute en procédant à l’encaissement de tels chèques dans ces conditions. »

Devoir d’information, de conseil et de mise en garde et désormais devoir d’alerte, le banquier a plus que jamais des comptes à rendre à ses clients comme aux tiers.

Jean-Baptiste Rozès
Avocat Associé
OCEAN AVOCATS
www.ocean-avocats.com

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  • par Al , Le 11 mars 2016 à 00:16

    Bonjour,

    Vous mêlez TRACKFIN et "devoir de vigilance" dans votre analyse, et confondez les deux. Il n’existe aucun devoir ou obligation de vigilance à la charge du banquier. Bien que cette obligation existe de toute évidence dans la pratique, telle une diligence du professionnel face à l’exécution précise de l’ensemble de ses obligations, elle n’existe cependant pas sur le plan du droit. Aucune disposition légale ni aucun arrêt de principe n’a jamais consacré cette obligation, pour de nombreuses raisons. La jurisprudence a même rejeté cette obligation et continue de le faire, au regard des nombreux plaideurs qui assignent sur ce fondement. Vous confondez en fait dans votre analyse l’obligation de vigilance découlant des dispositif légaux anti-blanchiment (TRACKFIN) et l’obligation de vigilance du banquier, générale, qui a tant fait écrire les auteurs.

    Concluant par un simple conseil, si vous êtes un plaignant, n’allez pas sur ce terrain, et n’optez pas pour une prétendue obligation de vigilance comme seul moyen de droit... Ou votre moyen sera assurément rejeté par le juge du droit !

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