Saisie conservatoire et injonction de payer : l'article 215 du décret du 31 juillet 1992 fait l'objet d'interprétations divergentes, par Natacha Mignon, Avocat

Saisie conservatoire et injonction de payer : l’article 215 du décret du 31 juillet 1992 fait l’objet d’interprétations divergentes, par Natacha Mignon, Avocat

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En raison de deux jurisprudences contradictoires, et en l’absence de décisions rendues en Appel ou en Cassation, le recours à l’injonction de payer afin de valider une saisie conservatoire, pourtant prévu à l’article 215 du décret du 31 juillet 1992, reste aléatoire…

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La saisie conservatoire de créances est souvent pratiquée, sur autorisation d’un juge, avant d’engager une action en paiement.

L’article 215 du décret du 31 juillet 1992 oblige le créancier à engager son action en paiement dans le mois qui suit l’exécution de la saisie ; il définit en ces termes le type d’action pouvant être engagé :
« Si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier doit, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.
Toutefois, en cas de rejet d’une requête en injonction de payer présentée dans le délai imparti à l’alinéa précédent, le juge du fond peut encore être valablement saisi dans le mois qui suit l’ordonnance de rejet.
 »

La situation du créancier ayant saisi à titre conservatoire les biens de son débiteur semblait donc claire : pour échapper à la caducité de la saisie pratiquée, le créancier devait assigner ou déposer une requête en injonction de payer à l’encontre de son débiteur dans le mois de la saisie.

Un jugement du Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Carpentras du 20 janvier 1999 n° 98/02322 (commenté au Jurisclasseur Encyclopédie des Huissiers de Justice fascicule 10) a pourtant soulevé un doute quant à l’application de cet article.

Compte tenu de la nature non contradictoire de la requête en injonction de payer, le Juge de Carpentras prétendait que « le recours à la procédure d’injonction de payer exorbitante du droit commun, ne (pouvait) satisfaire aux exigences du texte que si l’ordonnance et sa signification intervenaient (elles-mêmes) dans le délai imparti par l’article 215 du décret ».

Or, le créancier ne pouvait être sûr, a priori, que l’ordonnance sollicitée par requête serait rendue et signifiée dans ledit délai. La position du Juge de Carpentras revenait à imposer au créancier de délivrer une assignation au fond ou en référé à son débiteur dans le délai requis.

Cette décision de 1er degré, bien qu’isolée, était la seule commentée en la matière.

Elle apparaissait, et demeure, pourtant critiquable à plusieurs égards :

-  en premier lieu, de façon littérale, cette jurisprudence peut être interprétée comme imposant une exigence supplémentaire par rapport à l’article 215 du décret, lequel prévoit expressément en son alinéa 2 le dépôt de la requête en injonction de payer, dans le mois de la saisie conservatoire ;

-  en deuxième lieu, il ne semble pas équitable d’exiger du créancier que l’ordonnance sur injonction de payer soit rendue et signifiée dans le mois d’exécution de la mesure, puisque ce créancier ne maîtrise pas les délais de traitement de sa requête en injonction de payer, délais de surcroît variables d’une juridiction à l’autre ;

-  en troisième lieu, on comprend mal la crainte du Juge de l’Exécution concernant le non respect du principe du contradictoire en cas de recours à une requête en injonction de payer ; en effet, si le créancier obtient l’ordonnance sollicitée, le débiteur peut toujours former opposition à l’encontre de cette décision ; dans ce cas, le débat sur cette opposition devient contradictoire.

Ces arguments ont convaincu le Président du Tribunal de Commerce de Lille, qui a récemment rendu une décision contraire à la décision du Juge de Carpentras (Tribunal de Commerce de Lille, ordonnance du 22 février 2007, N° 2006/05217).

Les faits soumis au Juge de Lille étaient simples : une société avait été autorisée, par le Président du Tribunal de Commerce, à saisir à titre conservatoire les comptes bancaires de sa débitrice.
La débitrice avait alors demandé au Président du Tribunal de rétracter son ordonnance : elle sollicitait la caducité de la saisie conservatoire pratiquée, au motif que la société créancière s’était contentée de déposer une requête en injonction de payer dans le délai d’un mois suivant la saisie, mais n’avait pas obtenu dans ce délai l’ordonnance sollicitée.

En décidant de ne pas suivre la position établie par le Juge de l’Exécution de Carpentras, le Président du Tribunal de commerce de Lille revient à la lettre de l’article 215 du décret du 31 juillet 1992 et considère que le Juge ne peut ajouter au texte une condition qu’il ne prévoit pas.

Il précise sa position, en indiquant qu’on ne peut imposer au créancier d’obtenir une ordonnance d’injonction de payer dans le délai d’un mois suivant la saisie conservatoire, alors que le créancier n’a aucune influence sur le délai dans lequel cette ordonnance peut être rendue.

On peut regretter aujourd’hui que les seules décisions commentées en la matière soient des décisions de première instance.
En l’absence d’une position clairement définie par la Cour de Cassation, ou d’une tendance dégagée par les juridictions du second degré, le recours à l’injonction de payer afin de valider une saisie conservatoire reste donc aléatoire, car les débiteurs continueront sans doute de soulever le moyen de caducité en dépit de cette évolution jurisprudentielle. Il convient donc de ne pas céder à la facilité…

Natacha MIGNON

Avocat

LAMY LEXEL Avocats Associés

Département Contentieux Commercial

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