Salariés, sachez obtenir le paiement de votre prime d’objectifs.

Par Judith Bouhana, Avocat.

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Explorer : # primes d'objectifs # interprétation contractuelle # preuve des objectifs atteints # pouvoir de direction de l'employeur

Le principe des primes sur objectifs a été élaboré aux États-Unis durant les années 60. Appliqué en France au secteur privé depuis une décennie le système a été étendu l’année 2000 à certaines catégories de fonctionnaires (Michel Spielmann Les objectifs et la prime sur objectifs 30 mai 2005 http://lecercle.lesechos.fr/).

Les primes de performance individuelles et collectives représentent le 1/3 du montant total des primes versées aux salariés. En 2009 dans les entreprises de 10 salariés ou plus les primes représentaient 13,4 % du salaire (Table ronde salaires 9 et 10 juillet 2012 http://travail-emploi.gouv.fr)

-

Le contentieux judiciaire des primes d’objectifs est à la mesure de l’importance de ce mode de rémunération. De la jurisprudence la plus récente émergent trois thèmes principaux :

Pour interpréter les clauses de primes d’objectifs ambiguës ou lacunaires les juges se fondent en premier lieu sur l’intention des parties et la bonne foi contractuelle (I).

C’est à l’employeur de prouver que le salarié a atteint ses objectifs et non l’inverse (II)

L’employeur peut modifier dans le cadre de son pouvoir de direction les modalités de fixation de la prime d’objectifs dans le respect des conditions strictes fixées par les juges. (III).

I – L’interprétation par les juges des clauses de primes d’objectifs

La plupart des décisions rendues en matière de primes d’objectifs font mention en visa de l’article 1134 du Code civil :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

Comment les juges fixent-ils la prime d’objectifs qu’ils estiment due au salarié lorsque les clauses du contrat sont ambiguës ou lacunaires ?

- Lorsque la prime d’objectif est prévue par le contrat :

Si le contrat de travail fait obligation de mettre en place une prime annuelle sur objectifs alors la prime doit être payée.

Un contrat de travail prévoit une prime sur objectifs dont le versement est subordonné à la réalisation d’objectifs fixés annuellement d’un commun accord. Aucun accord n’a été fixé entre les parties et le salarié réclame le versement de sa prime sur objectifs.

L’employeur prétend que le bon accomplissement de ses fonctions par le salarié serait, selon les clauses du contrat de travail, le critère déterminant le paiement de la prime d’objectif. Considérant que le travail du salarié n’était pas qualitatif, il contestait le règlement de la prime sur objectifs.

Constatant que le contrat faisait obligation de mettre en place cette prime sur objectifs annuels ce qui n’avait pas été fait par l’employeur, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir reconnu l’employeur débiteur de cette prime d’objectif et d’en avoir unilatéralement fixé le montant à défaut d’accord entre les parties (C. cass ch.soc. 11 juillet 2012 n°11-14167).

- Lorsque le contrat de travail est lacunaire :

Le juge doit fixer la prime d’objectifs en fonction de critères réalistes.

1/ Si les objectifs sont fixés lors des entretiens d’évaluation et que l’entretien d’évaluation n’a pas eu lieu :

Un salarié sollicite un rappel de prime sur objectifs 2008/2009 alors que le salarié n’a pas eu d’entretien annuel durant cette période.
La cour d’appel rejette cette demande aux motifs que le salarié n’aurait pas rempli ses objectifs en se basant sur les objectifs fixés lors du précédent entretien de 2007.

La Cour de Cassation reproche à la cour d’appel de fixer les objectifs du salarié pour 2008/2009 identiques à ceux de 2007 sans motiver cette décision et sans avoir vérifié si les objectifs fixés en 2007 restaient réalistes pour 2008 (C. cass ch.soc. 10 mai 2012 n°11-14 635) :

« Qu’en statuant ainsi, sans indiquer en quoi les objectifs du salarié pour 2008 ou 2009 étaient nécessairement ceux fixés pour 2007, ni vérifier, alors que cela était contesté, si les objectifs fixés pour 2007 étaient encore réalistes pour 2008, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

2/ Si le contrat de travail prévoit une concertation entre l’employeur et le salarié pour fixer la prime qui n’a pas eu lieu :

Le contrat de travail d’un salarié prévoit une prime d’objectif fixée suivant les objectifs décidés après concertation entre les parties, seule une fourchette de prime maximale étant mentionnée dans le contrat.

En l’absence de précisions de la prime d’objectif pour 2008 la cour d’appel s’était appuyée sur les objectifs fixés en 2007 ayant généré le paiement d’une prime au salarié.

Reprochant à la cour d’appel d’avoir dénaturé l’argumentation du salarié qui constatait qu’il ne disposait pas des moyens de vérifier le mode de calcul de sa prime la Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel (C. cass ch.soc. 11 juillet 2012 n°11-15344) :

« Qu’en statuant ainsi, alors que dans ses conclusions en cause d’appel reprises oralement à l’audience, le salarié soutenait qu’il n’avait jamais "signé d’objectifs individuels" et qu’il ne disposait "d’aucun moyen pour vérifier le mode de calcul de la prime", la cour d’appel en a dénaturé les termes clairs et précis ».

3/ Le calcul de la prime d’objectif doit reposer sur des objectifs réalistes :

Un salarié demande en justice un rappel de prime sur objectifs et sa demande est rejetée par la cour d’appel qui considère que les formules utilisées par l’employeur pour le calcul de la prime d’objectif ne présentent pas de difficultés particulières de compréhension et qu’en outre ils n’ont jamais fait l’objet de critiques du salarié durant toute l’exécution de son contrat de travail.

La Cour de Cassation conteste l’argumentation des juges d’appel auxquels elle reproche de ne pas avoir vérifié le caractère réaliste des objectifs fixés par l’employeur :

« Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les objectifs fixés au salarié et non atteints étaient réalistes, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » (C. cass ch.soc. 15 février 2012 n° 09 - 72283).

- Si le salarié quitte en cours d’année la société la prime d’objectif doit être forfaitisée :

Un salarié quitte l’entreprise avant la fin de l’exercice annuel et réclame le règlement de sa prime d’objectif au prorata de son temps de présence dans l’entreprise.

L’employeur lui répond qu’en l’absence de clauses expresses en ce sens dans son contrat de travail il n’est pas tenu de la lui régler.

Il ajoute que le contrat prévoit que la rémunération variable garantie était au moins égale à celle perçue au cours de l’exercice précédent, ce qui signifierait que la volonté des parties n’était pas de mettre en place le versement de la prime au prorata temporis.


La Cour de Cassation approuve la cour d’appel d’avoir relevé que la prime étant versée aux salariés en contrepartie de son activité, elle s’acquérait nécessairement au fur et à mesure. Le salarié pouvait donc prétendre à un règlement de sa prime au prorata de son temps de présence (C. cass ch.soc. 23 mars 2011 n° 09 - 69127) :

« Mais attendu que la cour d’appel ayant relevé que la prime litigieuse constituait la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité de sorte qu’elle s’acquérait au fur et à mesure, en a justement déduit que M. X... dont le départ était antérieur au versement de cette prime, ne pouvait être privé d’un élément de sa rémunération auquel il pouvait prétendre au prorata de son temps de présence ».

II - C’est à l’employeur de prouver que le salarié a atteint ses objectifs (C. cass ch.soc. 9 mars 2011 n° 09 - 16 0313) :

Une cour d’appel a écarté la demande de prime d’objectifs d’un salarié au motif qu’il ne prouverait pas avoir réalisé les objectifs fixés ni les conditions d’attribution et du mode de calcul de la prime.

Cassant cette décision au visa de l’article 1315 du code civil

(Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation),

la cour de cassation rappelle qu’il incombe à l’employeur (se prétendant libéré…) : « de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié avaient été atteints » et non l’inverse.

III – Enfin l’employeur a le pouvoir de modifier la prime d’objectifs dans le cadre de son pouvoir de direction dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice (C. cass ch.soc. 2 mars 2011 n° 08-44977) :

Un salarié dont le contrat de travail prévoit une prime d’objectif en cas d’atteinte d’objectifs fixés unilatéralement par l’employeur dans le cadre de plans annuels de rémunération variable (PRV) prétend que la société aurait modifié sans son accord la part variable de sa rémunération.

Faisant une application stricte de l’avenant signé par le salarié et l’employeur, la Cour de Cassation constate que dès lors que le contrat prévoit que l’objectif est défini unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction celui-ci peut donc les modifier sous deux conditions : que ces objectifs soient réalisables et qu’ils aient été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice :

« Attendu que lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu’ils sont réalisables et qu’ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice…
que l’avenant au contrat de travail stipulait que la détermination des objectifs conditionnant la rémunération variable du salarié relevait du pouvoir de direction de l’employeur ».

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com

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Discussions en cours :

  • Bonjour
    je suis salarié dans une entreprise internationale. Nous venons d’apprendre par un représentant du syndicat que la direction en France à décidé de saisir plus de 35% de notre prime sur objectif basé sur le CA de 2019. Sous prétextes du contexte actuel du COVID-19. Aucun des salariés n’a été prévenu et nous avons même un communiqué prouvant le contraire que nous aurions 100% de notre prime.
    L’employeur est il dans son droit ? Sinon comment peut on obtenir la totalité de notre prime ?
    Je vous remercie

    • par Judith Bouhana , Le 8 mai 2020 à 19:52

      Bonjour, non, l’employeur ne peut pas de son plein gré procéder à une retenue sur votre salaire sans accord express du salarié, cela constitue une modification unilatérale du contrat de travail irrégulière. Pour obtenir l’intégralité de votre prime d’objectifs, je vous invite tous à adresser dans un premier temps une lettre recommandée avec avis de réception à votre employeur en lui demandant de respecter les clauses de votre contrat de travail et de régler votre prime d’objectifs à objectif atteint, et à défaut de règlement de saisir le conseil de prud’hommes en référé pour obtenir une ordonnance de condamnation par provision de la somme due. Je vous invite préalablement à prendre conseil auprès d’un avocat de préférence spécialiste en droit du travail

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail
      www.bouhana–avocats.com

  • Bonjour,

    Mon employeur vient d’envoyer une note d´information à tous les salariés en précisant que compte tenu de la situation inédite de la pandémie du covid-19 qui sévi à l’heure actuelle, le paiement des primes sur objectifs de l’année 2019-2020 allait être décalé, mais sans nous préciser de date. Je me tourne donc vers vous pour savoir si l’employeur est dans ses droits ?
    Merci

    • par Judith Bouhana , Le 26 mars 2020 à 14:20

      Bonjour,
      Non, l’employeur n’a pas le droit de modifier votre rémunération et donc son règlement sans votre accord exprès. S’il a des difficultés à régler votre prime d’objectifs c’est-à-dire que son actif ne suffit plus à régler son passif, il doit alors se déclarer en cessation des paiements et vous serez réglée par l’assurance de garantie des salaires.

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail
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  • Bonjour Maître,

    J’ai débuté une nouvelle expérience professionnelle dans mon entreprise actuelle en février 2019.
    Mon contrat de travail stipule que ma rémunération est constitué d’une prime basée sur la réalisation d’objectifs fixés par la Direction Générale.
    En l’absence de précisions supplémentaires dans mon contrat dois-je en déduire qu’il s’agit d’une prime collective ou individuelle ?
    N’ayant pas eu d’objectifs fixés pour l’exercice en cours, serais-je en droit de réclamer le prorata de cette prime ?

    Par avance merci.

    • par Bouhana judith , Le 14 septembre 2019 à 09:51

      Bonjour,
      Selon les informations que vous donnez, il s’agirait d’une prime basée sur des objectifs individuels, sous toute réserve que la rédaction de votre clause dans votre contrat de travail soit conforme à celle que vous donnez sur le forum. Effectivement, en l’absence d’objectifs fixés pour l’exercice en cours, vous pouvez solliciter le prorata de votre prime d’objectifs par lettre recommandée avec à AR adressée à votre employeur, et sans réponse sous huit jours, en saisissant le conseil de prud’hommes juridiction compétente pour trancher votre litige. Je rappelle que la prescription en matière salariale est de trois ans à compter de cette saisine judiciaire. En savoir plus : https://www.village-justice.com/articles/salaries-sachez-obtenir-votre-bonus-2018,29691.html

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail
      Défense des salariés
      www.bouhana-avocats.com

  • Bonjour, je suis cadre dans une entreprise depuis 11 ans. Depuis 1 an mon manager direct est en brun out. Lors des entretiens individuels j’ai demandé aux RH comment cela se passerait. Il m’a répondu que ce serait mon N+2 qui le ferait. Ce dernier n’a jamais fixé ce rdv malgré des relances de ma part et je n’ai eu que 50% de ma part variable sans aucune explication. Que puis-je faire ? Merci

    • par Bouhana judith , Le 14 septembre 2019 à 09:56

      Bonjour,
      À supposer que votre contrat de travail fixe bien une prime d’objectifs contractualisée, votre employeur doit fixer vos objectifs chaque année en début d’exercice. À défaut, vous pouvez solliciter l’intégralité de votre prime d’objectifs et donc dans votre cas de figure en réclamer l’autre moitié non versée. Je vous invite à solliciter votre prime d’objectifs par lettre recommandée avec avis de réception et à défaut de réponse sous huit jours de saisir le conseil de prud’hommes en tenant compte de la prescription de trois ans qui court à compter de votre saisine judiciaire. En savoir plus :https://www.village-justice.com/articles/salaries-sachez-obtenir-votre-bonus-2018,29691.html

      Judith BOUHANA
      Avocat spécialiste en droit du travail
      Défense des salariés
      www.bouhana-avocats.com

  • Bonjour,

    Je suis dans une situation délicate. Depuis le 31 décembre 2018, le payplan a été changé avec des objectif plus élevé et l’enveloppe de variable revue à la baisse.
    Depuis le 1er janvier 2019 un nouveau payplan a donc été mis en place, cependant ce document ne m’a jamais été remis et encore moins signé. Aujourd’hui je suis en conflit avec mon employeur car celui-ci ne m’a pas remis mes primes sur les objectifs qui ont été attient. Je voulais savoir comment procéder et si c’était "légal" de la part de mon employeur.

    Bonne journée à vous et merci d’avance.

    • par Bouhana judith , Le 14 septembre 2019 à 09:42

      Bonjour,
      Tout dépend de la rédaction de votre clause d’objectifs. Par exemple si votre contrat stipule que l’employeur vous informera chaque année des objectifs fixés, ces objectifs peuvent être revus par celui-ci chaque année en début d’exercice à la condition bien entendu de fixer un objectif réaliste et non potestatif ( en avoir plus :https://www.village-justice.com/articles/salaries-obtenez-votre-prime-objectif-2019,31157.html). Par contre, si votre contrat stipule les conditions de fixation de votre prime d’objectifs et que par la suite votre employeur modifie ces objectifs comme vous l’indiquez sans recueillir votre consentement, cette modification de votre rémunération vous est inopposable. Je vous suggère de clarifier votre situation auprès d’un avocat de préférence spécialiste en droit du travail puis de solliciter de manière argumentée sous huit jours par lettre recommandée avec avis de réception le règlement de votre prime d’objectifs à objectif atteint. À défaut de paiement, je vous invite à saisir le conseil de prud’hommes dans les plus brefs délais, seule la saisine judiciaire interrompant le délai de prescription de trois ans en matière salariale.

      Judith Bouhana
      Avocat spécialiste en droit du travail
      Défense des salariés
      www.bouhana-avocats.com

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