Administration légale : la banque n’est pas garante de l’emploi par l’administrateur des capitaux échus au mineur.

Par Aubéri Salecroix, Avocat.

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Explorer : # administration légale # responsabilité bancaire # protection des mineurs # gestion des capitaux

L’administrateur a le pouvoir de recevoir les intérêts échus sur les capitaux du mineur dont il a la charge et de les retirer du compte sur lequel il les a versés sans que la banque ne puisse être tenue responsable.

Civ. 1re, 11 oct. 2017, FS-P+B+I, n° 15-24.946

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L’arrêt du 11 octobre 2017 vient apporter d’importantes précisions sur les pouvoirs de l’administrateur légal et l’obligation d’alerte – ou du moins de vigilance – de la banque dépositaire des fonds d’un mineur.

En l’espèce, une mère agissant en qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire avait placé sur un compte ouvert au nom de son fils les fonds revenant à ce dernier dans le cadre de la succession de son père. Elle a ensuite prélevé à son profit les deux tiers de ces fonds. L’enfant ayant été placé sous la tutelle du département, l’aide sociale à l’enfance a assigné la banque en versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le mineur.

La cour d’appel accueille sa demande au motif que « les prélèvements effectués par la mère sur le compte de celui-ci […] auraient dû, par leur répétition, leur importance et la période resserrée d’une semaine sur laquelle ils ont eu lieu, attirer l’attention de la banque et entraîner une vigilance particulière de sa part, s’agissant d’un compte ouvert au nom d’un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire ».

En revanche, appliquant sa jurisprudence constante (Civ. 1re, 20 mars 1989, n° 87-15.899), la Cour de cassation censure les juges du fond pour violation des articles 389-6 et 389-7 du Code civil, au motif qu’« il résulte de ces textes que l’administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire, a le pouvoir de faire seul les actes d’administration ; qu’il peut, à ce titre, procéder à la réception des capitaux échus au mineur et les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés ; que la banque n’est pas garante de l’emploi des capitaux ».

Cet arrêt illustre la difficulté de qualification juridique des actes de l’administrateur, lesquels s’insèrent généralement dans un continuum. La réception des capitaux précède leur retrait puis leur emploi. Ces opérations reçoivent, pourtant, des qualifications différentes.

L’annexe I du décret du 22 décembre 2008, applicable sous l’ancienne administration légale sous contrôle judiciaire par le jeu du renvoi opéré par l’ancien article 389-7 aux règles de la tutelle, qualifie la réception et le retrait des capitaux d’actes d’administration, cependant que leur emploi au-delà du seuil fixé par le juge des tutelles relève de la catégorie des actes de disposition.

Or l’ancien article 389-6 ne permettait à l’administrateur légal sous contrôle judiciaire d’effectuer sans l’autorisation du juge des tutelles que les seuls actes d’administration.
L’article 499 du Code civil, pareillement applicable à l’ancienne administration légale sous contrôle judiciaire, règle cette question en énonçant que les tiers « ne sont pas garants de l’emploi des capitaux » de la personne protégée et donc des dysfonctionnements de l’administration légale imputables au(x) parent(s) du mineur.

Pour autant, la mauvaise gestion de l’administrateur n’emporte-t-elle jamais de conséquences pour les tiers ?
La réponse est négative dans la mesure où :
- d’une part, l’article 499 al 2, impose aux tiers, et spécialement aux prestataires de l’administrateur (banquiers, notaires, notamment), de dénoncer au juge des tutelles les actes ou omissions qui, à l’occasion de l’emploi des capitaux du mineur, compromettent manifestement ses intérêts ;
- d’autre part, l’acte effectué par ce dernier en violation de ses pouvoirs est entaché de nullité, nullité s’appliquant tout à la fois à l’acte lui-même et à celui accompli consécutivement à ce dernier sans pouvoir être couverte par le recours à la théorie du mandat apparent (Civ. 1re, 17 mai 2017, n° 15-24.840).

Ces solutions rendues sous la loi ancienne demeurent pour l’essentiel exactes actuellement pour la tutelle, mais la question se pose de savoir si elles le restent depuis les nouveaux textes relatifs à l’administration légale.

L’ordonnance du 15 octobre 2015 a supprimé la distinction de l’administration légale sous contrôle judiciaire et de l’administration légale pure et simple pour les soumettre à un régime unique, applicable à tous les enfants ayant au moins un parent vivant.

Désormais, l’administrateur, qu’il soit unique ou conjoint, peut en principe conclure sans autorisation judiciaire tous les actes relatifs aux biens du mineur, y compris les actes de disposition, ce qui semble à première vue réduire les risques de dépassement de pouvoirs, sous réserve des actes de disposition les plus dangereux demeurant soumis à l’autorisation du juge (C. civ., art. 387-1), ainsi que la nécessité dans l’administration conjointe de recueillir l’accord des deux parents pour la conclusion des actes de disposition (C. civ., art. 382 et 382-1). De plus, l’article 387-3 confère au juge des tutelles la faculté de mettre en place un contrôle renforcé, en soumettant à son autorisation un acte ou une série d’actes de disposition non énumérés par la loi.

Sur le terrain de la protection des tiers, il convient d’appliquer l’article 387-3 qui fait peser sur les tiers, « ayant connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d’une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci » un devoir d’alerte du juge des tutelles et précise que « les tiers qui ont informé le juge de la situation ne sont pas garants de la gestion des biens du mineur faite par l’administrateur légal ». Dès lors, la responsabilité des tiers ne pourra plus être recherchée, comme en matière de tutelle (C. civ., art. 499, al. 2), qu’en cas de carence à leur devoir d’alerte (non dénonciation d’une situation manifestement et gravement préjudiciable au mineur).

Si la solution est sans doute de nature à rassurer les professionnels de la gestion de patrimoine, elle marque en revanche un net recul de la protection patrimoniale du mineur du fait de la déjudiciarisation du régime de protection.

Aubéri Salecroix
Avocat
asalecroix.avocat chez gmail.com
https://www.facebook.com/Cabinet-davocat-Aub%C3%A9ri-Salecroix-1914523838761774/
Droit de la famille
Droit pénal

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