Introduction.
Contrairement à l’impôt indirect (comme la TVA), perçu par un intermédiaire (généralement un commerçant) qui le répercute ensuite à l’État, l’impôt des personnes physiques (IPP) est un impôt direct. Celui-ci est directement prélevé sur les revenus ou le patrimoine du contribuable, et payé par ce dernier à l’État sans intermédiaire. Il est calculé sur les revenus que les personnes physiques perçoivent (revenus du travail, revenus mobiliers, immobiliers, etc.), et chaque contribuable est directement responsable de son paiement.
L’impôt sur les personnes physiques en Belgique repose sur un système progressif de taxation par tranches. Ce mécanisme est censé garantir l’équité et la justice fiscale en tenant compte de la capacité contributive de chaque citoyen. Cependant, ce système peut poser plusieurs problématiques, notamment en termes de confiscation de revenus et d’égalité devant l’impôt.
I. Les fondements de la progressivité des taux d’imposition face aux principes de non-confiscation et d’égalité.
Le régime d’imposition belge pour les personnes physiques applique un système de tranches progressives. Cela signifie que chaque tranche de revenus est soumise à un taux d’imposition croissant. En 2023, les taux appliqués sont les suivants (à titre indicatif) :
25% sur les revenus inférieurs à 15 200 € ;
40% sur les revenus entre 15 200 € et 26 830 € ;
45% sur les revenus entre 26 830 € et 46 440 € ;
50% sur les revenus supérieurs à 46 440 €.
Ce système vise à garantir une répartition plus équitable de la charge fiscale, en fonction du principe de capacité contributive. Ce principe est consacré par l’article 170 de la Constitution belge du 7 février 1831, qui établit que chacun doit contribuer aux charges publiques selon ses moyens.
A. Le caractère confiscatoire de l’impôt.
Le caractère progressif de l’impôt, bien qu’équitable en apparence, peut dans certains cas engendrer des effets jugés « confiscatoires ». Cela survient lorsque l’imposition atteint un niveau tel qu’elle diminue de manière significative la capacité de subsistance d’un contribuable ou affecte de manière disproportionnée son revenu net.
L’article 170 de la Constitution belge, en consacrant l’obligation de chacun de contribuer selon ses moyens, exclut en principe tout impôt qui serait jugé confiscatoire. La Cour constitutionnelle a, à plusieurs reprises, affirmé que l’impôt ne peut pas être si élevé qu’il priverait les citoyens de leur capacité économique.
L’impôt confiscatoire peut être invoqué lorsque la taxation progressive conduit à une ponction excessive des revenus, en particulier lorsqu’un contribuable passe à une tranche d’imposition supérieure pour une augmentation relativement faible de ses revenus. Il s’agit du phénomène dit de "trappe fiscale", où l’augmentation marginale des revenus entraîne une imposition disproportionnée, réduisant ainsi l’incitation à travailler plus ou à investir.
En réponse à cette situation, les autorités fiscales et les législateurs belges s’efforcent d’introduire des déductions, réductions d’impôt et autres mécanismes d’atténuation pour limiter l’effet confiscatoire de l’impôt sur certaines catégories de revenus. Par exemple, les exonérations fiscales et les crédits d’impôt sur les revenus modestes visent à corriger ces effets.
B. L’égalité devant l’impôt et le principe de proportionnalité.
Le principe d’égalité devant l’impôt est ancré à l’article 10 de la Constitution belge, qui stipule que « tous les Belges sont égaux devant la loi ». Appliqué en matière fiscale, ce principe impose que les contribuables se trouvant dans des situations similaires soient traités de manière identique, et que ceux dans des situations différentes soient traités différemment, selon un critère objectif et raisonnable.
Le système progressif de taxation respecte ce principe en établissant une distinction basée sur la capacité contributive, un critère généralement accepté en droit fiscal international comme en droit belge. Toutefois, le problème survient lorsqu’on analyse la proportionnalité des taux et des tranches.
Le Conseil d’état belge, ainsi que la Cour constitutionnelle, ont souvent rappelé que la progressivité de l’impôt doit respecter un juste équilibre entre les exigences de l’État et la capacité contributive du contribuable. Un impôt qui serait manifestement disproportionné violerait non seulement le principe d’égalité, mais aussi les droits fondamentaux de protection de la propriété et du libre exercice de l’activité professionnelle, tels que consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme [1].
La Cour constitutionnelle de Belgique a plusieurs fois été saisie pour examiner des réformes fiscales ou des contentieux liés à la progressivité de l’impôt et aux risques de confiscation. Dans ses arrêts, la cour a jugé que l’imposition progressive est compatible avec le principe d’égalité pour autant qu’elle repose sur des critères objectifs et raisonnables, liés à la capacité contributive.
Par exemple, dans des affaires récentes, la cour a estimé que des prélèvements fiscaux jugés excessifs sur certaines catégories de revenus pouvaient contrevenir à la Constitution si les critères de progressivité n’étaient pas justifiés ou si des exonérations injustifiées étaient accordées à certains groupes [2].
Le système fiscal belge a par ailleurs fait l’objet de nombreuses réformes visant à simplifier et à corriger les déséquilibres potentiellement confiscatoires. Les gouvernements successifs ont introduit des réformes pour réduire la pression fiscale sur les revenus les plus faibles et moyens, tout en augmentant les prélèvements sur les revenus du capital et les patrimoines élevés.
Cependant, la question de l’égalité devant l’impôt demeure un sujet de débat, notamment en ce qui concerne la taxation des revenus du travail par rapport aux revenus du capital. Les critiques portent souvent sur le fait que les revenus du capital bénéficient de taux d’imposition plus bas ou de régimes d’exemption partielle, ce qui pourrait violer le principe d’égalité et de justice fiscale.
D’autres sources de pression fiscale découlent de la répartition des compétences en matière de création de l’impôt entre l’État fédéral et les collectivités fédérées, soulevant des débats sur l’équité fiscale et la cohérence du système entre les différentes entités fédérées.
II. La lisibilité controversée des taux plafond progressifs consécutive au fédéralisme asymétrique Belge.
En Belgique, l’imposition des personnes physiques est particulièrement complexe du fait du fédéralisme asymétrique, où des compétences fiscales sont réparties entre l’État fédéral et les entités fédérées. Ces dernières comprennent les Régions (la Région wallonne, la Région flamande et la Région de Bruxelles-Capitale) et les Communautés (la Communauté francophone, la Communauté néerlandophone et la Communauté germanophone). Cette situation engendre une diversité de régimes fiscaux selon les entités fédérées, ce qui complique encore la fiscalité directe et indirecte pour les contribuables belges.
A. Le fédéralisme fiscal belge : une répartition complexe des compétences.
Le fédéralisme asymétrique belge découle de plusieurs réformes de l’État, la plus récente étant la sixième réforme de l’État (2014), qui a transféré de nombreuses compétences fiscales aux Régions, créant ainsi une disparité entre les régimes fiscaux régionaux. Cette réforme a profondément affecté la gestion des impôts directs et indirects, tels que l’impôt des personnes physiques (IPP), les précomptes, ainsi que les taxes environnementales et sur le patrimoine.
L’article 170 de la Constitution belge consacre la compétence fiscale des autorités fédérales, mais les Régions disposent de compétences autonomes en matière de fiscalité régionale, notamment via l’article 1er de la loi spéciale du 16 janvier 1989 sur le financement des Communautés et des Régions. Les Régions peuvent également moduler certaines parties de l’impôt des personnes physiques, par exemple en accordant des réductions, déductions ou majorations d’impôt sur certains revenus.
D’une part, les précomptes sont un impôt à cheval entre le fédéral et les entités fédérées.
Le précompte mobilier (sur les revenus de capitaux et placements) et le précompte immobilier (sur les revenus fonciers) relèvent des compétences fiscales de l’État fédéral, mais les régions et communautés exercent également une influence considérable à travers des mécanismes de surcharge et d’abattement.
Le précompte immobilier, par exemple, est perçu par l’État fédéral mais revient pour l’essentiel aux régions. L’État fédéral fixe le cadre général du précompte, mais chaque région a la compétence pour accorder des exonérations partielles ou des réductions (par exemple, pour les propriétaires d’immeubles éco-énergétiques). Cela engendre des disparités régionales importantes, tant en termes de taux que d’exemptions, créant une asymétrie entre les régions en matière de charge fiscale sur la propriété.
La loi spéciale de financement du 16 janvier 1989 permet aux Régions de lever certaines taxes sur les revenus immobiliers, donnant lieu à des surcharges locales, modulées en fonction des priorités régionales (par exemple, des abattements sur le précompte immobilier pour encourager la rénovation de bâtiments à Bruxelles ou en Wallonie).
D’autre part, l’IPP reste globalement une compétence fédérale, mais la sixième réforme de l’État a permis aux Régions d’introduire des modulations sur cet impôt, contribuant ainsi à une différenciation accrue entre les Régions.
L’article 5, § 3 de la loi spéciale de financement permet aux régions d’adapter l’impôt des personnes physiques par le biais de surimpositions ou de réductions d’impôt, qui influencent directement la charge fiscale supportée par les contribuables dans une Région donnée. Par exemple, la région flamande peut accorder des crédits d’impôt pour encourager les investissements dans des énergies renouvelables, tandis que la Région wallonne pourrait favoriser les jeunes ménages propriétaires par des réductions spécifiques.
Cependant, la structure fédérale continue de déterminer la progressivité des tranches fiscales et les taux applicables sur les revenus bruts. Les régions n’ont donc qu’un pouvoir limité sur les tranches et les taux de l’IPP, mais peuvent influencer la charge fiscale globale à travers des mécanismes spécifiques.
B. Les effets de la régionalisation sur l’égalité devant l’impôt et la progressivité.
Le système asymétrique introduit des inégalités fiscales importantes entre les contribuables en fonction de leur lieu de résidence. Bien que l’IPP soit globalement progressif au niveau fédéral, des variations apparaissent à travers les modulations régionales, notamment en termes de réductions d’impôt, d’exemptions fiscales, ou d’aides à l’investissement. Cela remet en question l’égalité devant l’impôt (article 10 de la Constitution belge), car deux contribuables ayant des revenus équivalents, mais résidant dans des Régions différentes, peuvent être soumis à des charges fiscales différentes.
La Cour constitutionnelle belge a reconnu à plusieurs reprises que la fiscalité régionale est légitime dès lors qu’elle respecte le principe d’égalité et repose sur des critères objectifs. Toutefois, la cour a également estimé que cette différenciation ne pouvait pas être arbitraire et devait être raisonnablement justifiée par les différences régionales, telles que les disparités économiques ou environnementales [3].
Il s’ensuit le risque d’une fiscalité confiscatoire dans le cadre du fédéralisme fiscal asymétrique belge.
Si la progressivité de l’impôt au niveau fédéral vise à garantir l’équité, les modulations régionales peuvent accroître le risque d’une fiscalité excessive dans certaines Régions, notamment si celles-ci ajoutent des taxes sur des revenus déjà fortement imposés.
Ainsi, la combinaison de l’IPP, des précomptes immobiliers et mobiliers, ainsi que des taxes régionales sur le patrimoine peut engendrer une charge fiscale cumulée qui pourrait être perçue comme confiscatoire pour certains contribuables, particulièrement ceux ayant des revenus moyens ou élevés. La répartition des compétences entre les niveaux fédéral et régional rend difficile une harmonisation qui éviterait ces effets.
La Cour constitutionnelle a établi que la proportionnalité de la charge fiscale doit être respectée à tous les niveaux de pouvoir. Par exemple, une surcharge régionale excessive sur le précompte immobilier, combinée avec une progressivité élevée de l’IPP, pourrait être jugée incompatible avec l’article 170 de la Constitution si elle entrave la capacité des contribuables à subvenir à leurs besoins.
Les réformes fiscales ad futurum devront chercher à simplifier cette architecture complexe, en tentant de mieux coordonner les initiatives fiscales fédérales et régionales. Cela pourrait passer par des mécanismes de compensation ou des harmonisations partielles afin de limiter les distorsions fiscales entre les différentes Régions.
Conclusion.
En droit belge, le système progressif d’imposition des personnes physiques repose sur un principe constitutionnel de justice fiscale, prenant en compte la capacité contributive. Cependant, lorsque cette progressivité atteint des niveaux excessifs, elle peut aboutir à une situation où l’impôt devient confiscatoire, mettant en péril la légalité constitutionnelle de l’impôt.
L’égalité devant l’impôt est assurée pour autant que la différenciation des taux et des tranches soit justifiée par des critères objectifs, en relation avec la capacité contributive. Toutefois, les questions autour de l’équilibre entre la taxation des revenus du travail et celle des revenus du capital demeurent centrales dans les débats fiscaux belges contemporains.
D’un autre côté, la fiscalité belge est marquée par une répartition complexe des compétences entre l’État fédéral et les Régions, exacerbée par le fédéralisme asymétrique. Bien que le système de taxation progressive tente de garantir l’équité fiscale, les modulations régionales et les précomptes locaux ajoutent une couche de complexité, risquant d’introduire des disparités et des charges fiscales parfois excessives. Il est impératif, tant pour des raisons d’égalité constitutionnelle que de justice fiscale, que cette asymétrie soit gérée avec prudence, pour éviter toute fiscalité confiscatoire ou inéquitable.
Ainsi, le défi reste de maintenir un système fiscal capable de répondre aux besoins financiers de l’État tout en respectant les droits fondamentaux des contribuables.