Dans le but de lutter contre l’évasion fiscale internationale et principalement d’éviter que des personnes physiques résidant fiscalement en France n’échappent à l’impôt français en procédant à la localisation de leurs revenus dans une structure étrangère à des fins d’optimisation fiscale, le législateur a introduit dans le droit français1 une disposition codifiée au CGI sous l’article 123 bis qui est le pendant de l’article 209 B applicable aux sociétés françaises qui détiennent des participations dans des sociétés établies dans des pays à fiscalité privilégiée.
I- La présomption d’évasion fiscale
L’article 123 bis du CGI précise que sont réputés distribués entre les mains des personnes physiques résidentes fiscales en France, les bénéfices des personnes morales, qui détiennent, directement ou indirectement, 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité étrangère soumises à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI et dont l’actif ou les biens sont principalement constitués de valeurs mobilières ou d’actifs financiers. Le régime fiscal privilégié est présumé si le prélèvement fiscal à l’étranger est inférieur d’au moins un tiers à l’impôt sur les sociétés qui aurait été supporté en France à raison des mêmes bénéfices et revenus
En l’absence de distribution de dividendes, les bénéfices de l’entité étrangère sont réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers de la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient directement ou indirectement dans cette entité (CGI, art. 231 bis, 1) le premier jour du mois qui suit la clôture de l’exercice de l’entité étrangère ou, en l’absence d’exercice clos au cours d’une année, le 31 décembre2.
Même si le nombre de contrôles effectués par l’administration fiscale sur la base de cet article reste très faible et ne dépasse pas 9 en 2005, 6 en 2006 générant un redressement fiscal global de 4,6 millions d’euros et 5 en 2007 portant sur un montant de 7,2 millions d’euros et 2 durant les neuf premiers mois de 20083, l’article 123 Bis du CGI présente un caractère dissuasif pour le contribuable résidant fiscal.
De nombreux auteurs se sont interrogés sur la conformité de l’article 123 bis du CGI aux dispositions des conventions fiscales internationales et du droit communautaire et à plus forte raison depuis que l’article 209 B du CGI a été jugé incompatible avec certaines conventions fiscales internationales par la jurisprudence du conseil d’Etat4. L’intervention de la jurisprudence, était donc attendue, pour sanctionner les dispositions de l’article 123 bis du CGI en vertu de l’article 55 de la constitution qui prévoit que les dispositions internes ne peuvent s’appliquer que sous réserve des traités et conventions internationales5.
II- L’arrêt de la Cour d’appel administrative de Nancy du 22 août 2008
Par une décision inédite rendue par la cour administrative d’appel de Nancy en date du 22 août 20086, la jurisprudence a jugé que les dispositions de l’article 123 bis du CGI étaient contraires au principe de liberté d’établissement et de liberté de circulation des capitaux, principes du droit communautaire.
L’affaire soumise aux juges d’appel concernait une personne physique résidente fiscale française qui détenait une participation majoritaire (99,95 % du capital social) initialement dans une société « holding 1929 » qui avait été transformée ensuite en SOPARFI. La société luxembourgeoise qui gérait des portefeuilles de valeurs mobilières avait réalisé des revenus qu’elle n’avait pas distribués aux associés. L’administration, confirmée par une décision du Tribunal administratif de Nancy en date du 27 mars 2007, a considéré sur le fondement de l’article 123 bis du CGI que les revenus réalisés par ladite société étaient réputés distribués aux associés et les a assujettis à l’imposition chez l’actionnaire résident fiscal Français.
Contestant l’imposition à laquelle, il avait été soumis ainsi que la décision des premiers juges, le contribuable français a saisi les juges d’appel et demandait que l’article 123 bis du CGI soit déclaré non conforme aux principes du droit communautaires et aux dispositions de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
Infirmant la décision des premiers juges, les juges d’appel qui se sont prononcés uniquement au regard du droit communautaire, ont décidé que les dispositions de l’article 123 bis du CGI n’étaient pas conformes aux principes du droit communautaires consacrés par le traité Rome.
Ils ont affirmé que conformément aux dispositions des articles 106 et 52 du traité de Rome (Traité CE, art. 43 et 56) telles qu’interprétées par la Cour de justice des communautés européennes, une mesure susceptible d’entraver la liberté d’établissement ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général, et ce à condition que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci7.
Si la lutte contre l’évasion fiscale constitue l’un des objectifs légitimes compatibles avec le droit communautaire que les Etats membres peuvent poursuivre et répond à une raison impérieuse d’intérêt général, les mesures ayant pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation fiscale nationale ne peuvent être admises.
C’est dans ce cadre strictement limité que les dispositions internes peuvent donc faire échec aux principes de la liberté d’établissent et de la circulation des capitaux communautaires.
Ainsi, selon la Cour d’appel de Nancy, les dispositions de l’article 123 bis du CGI ne peuvent trouver application au motif qu’elles ne concernent pas spécifiquement l’hypothèse d’un montage purement artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française, mais visent de manière générale toute situation dans laquelle un contribuable domicilié en France détient au moins 10% de participation dans une institution établie hors de France.
Les juges précisent que l’article 123 bis, par son caractère général instaure une présomption irréfragable d’évasion fiscale à l’encontre de l’ensemble des contribuables ayant effectué un tel placement et excède largement ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Les dispositions de l’article 123 bis constituent donc une entrave à l’application du principe de liberté d’établissement et circulation des capitaux.
Madame Marie Pierre STEINMETZ-SCHIES, commissaire du gouvernement affirme dans ses conclusions que la mesure prévue à l’article 123 bis du CGI est susceptible d’entraver la liberté d’établissement, et doit être écartée comme contraire au traité de Rome. Elle expose que l’article 123 bis du CGI conduit à une discrimination selon que le contribuable français est actionnaire d’une holding française ou d’une holding luxembourgeoise « Ainsi par exemple, une détention de titres par l’intermédiaire d’une société holding étrangère établie dans un Etat membre est imposée, en l’absence de distribution de dividendes, à 64%, alors que cette même détention par l’intermédiaire d’une société établie en France a un coût fiscal nul. Dès lors, l’article 123 bis du CGI aboutit à imposer plus lourdement en France les résultats de la Holding à raison de la situation de son siège dans un autre Etat membre…Le contribuable ainsi taxé plus lourdement sera dissuadé d’implanter sa société Holding dans un autre Etat membre. ».
Enfin, Madame le commissaire du gouvernement précise que c’est seulement si la vérification des éléments concernant la réalité de l’implantation de la société révélait que la société correspond à une implantation fictive n’exerçant aucune activité économique effective mais sert seulement de boite aux lettres qu’on pourrait soutenir qu’il n’y a pas d’atteinte au principe de liberté d’établissement.
Cette position n’est partagée par les juges qui considèrent que à supposer même que la SOPARFI doive être regardée comme n’exerçant aucune activité économique effective au Grand-Duché de Luxembourg, le champ d’application de l’article 123 bis du CGI, seul fondement légal invoqué par l’administration pour procéder à l’imposition litigieuse, s’étend au-delà des hypothèses de création de sociétés de gestion de participations ou institutions comparables présentant le caractère d’un montage purement artificiel. C’est donc le caractère général de l’article 123 bis qui est sanctionné puisque seules les restrictions strictement nécessaires pour atteindre un objectif légitime compatible avec le traité et justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général sont admises.
La nouvelle jurisprudence conforme au principes généraux du droit communautaire annonçait sans doute la réforme législative de l’article 123 bis du CGI, parallèlement à ce qui a été réalisé en 2005 concernant l’article 209 B du même code qui permettait dans son ancienne version l’imposition en France des bénéfices résultant de l’exploitation d’une société établie à l’étranger.
KADRI Nabil
Avocat
Barreau de Luxembourg